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Jean-Luc Mélenchon face au défi de la schizophrénie de la France insoumise
©Reuters

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Ce 25 novembre s'ouvre à Clermont-Ferrand la convention nationale de la France Insoumise, mouvement reposant à la fois sur la personnalité de Jean-Luc Mélenchon et sur l'idée d'une convergence des luttes.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Ce 25 novembre s'ouvre à Clermont-Ferrand la convention nationale de la France Insoumise. ​Comment analyser ce qu'est véritablement la France Insoumise, parti reposant sur Jean Luc Mélenchon, figure ancienne de la politique française, ancien sénateur socialiste rompu à une certaine habileté, mais également sur une idéologie nouvelle, basée notamment sur les thèses développées par la philosophe Chantal Mouffe, supposant le marxisme comme insuffisant et reposant sur l'addition des luttes (féministe, écologique, minorités ethniques et sexuelles etc..) ? Quelle est la part de vieille politique, et la part de nouvelle idéologie dans la France Insoumise ? 

Jean Petaux : La « France Insoumise » est une organisation paradoxale. Une partie de sa généalogie idéologique puise ses racines dans le trotskysme. Le moluvement s’inscrit, ainsi, dans une remise en cause de toute organisation fondée sur le « centralisme démocratique » (cher aux communistes staliniens). Leur crédo se résume dans le fameux « Tout le pouvoir aux Soviets »), prônant une critique systématique du stalinisme systémique, se voulant donc hostile à toute organisation partisane hiérarchisée, mais « en même temps » (Mélenchon, Marcon, même combat !…) capable de construire l’Armée Rouge (l’œuvre de Trotsky) qui est un modèle d’organisation pyramidale. Sans compter l’attachement des « Trots » à la figure de leurs leaders (Trotsky évidemment, mais aussi, peu ou prou, Lambert, Hardy, Krivine, etc.) élevés quasiment au rang de gourous.  Le parti « La France insoumise » est paradoxal parce qu’il montre, au-delà de toute raison, une dimension quasi schizophrène.

Considérons d’abord le leader de ce mouvement. L’histoire de Jean-Luc Mélenchon est indissociable des « années pouvoirs »  telles que les socialistes vont les vivre entre 1981 et 2017 avec des interruptions entre 1985 et 1987 ; 1993 et 1997 et de 2002 à 2012. Jean-Luc Mélenchon est effectivement un notable socialiste. Tantôt, en bon trotskyste de conviction, d’opportunisme et de stratégie d’appareil, il court sous ses propres couleurs, en déposant sa propre motion (ex. au Congrès de Rennes, automne 1990, un des plus délirants  qu’a  pu connaitre le PS), tantôt, adepte du « suivisme », il pratique un « entrisme »  cher aux Trotskystes et se « cache » sous d’autres parapluies. Mais Mélenchon n’est pas seulement un « notable socialiste », c’est aussi, un « social-démocrate revendiqué comme tel qui trouve chez Rocard (tout comme Hamon d’ailleurs) un corpus complet de valeurs, empruntant tout aussi bien aux « Cathos de gauche » qu’à certaines obédiences franc-maçonnes. Jack Lang qui était ministre de l’Education nationale lorsque Mélenchon fut ministre délégué à l’Enseignement professionnel, sous son autorité, entre mars 2000 et mai 2002, raconte à qui veut l’entendre qu’aussi bien lui-même ou le Premier ministre Lionel Jospin, devaient rappeler régulièrement au sénateur de l’Essonne, devenu ministre, qu’il était dans un gouvernement de gauche… ce dernier ayant tendance à l’oublier. « France Insoumise » est un peu dans la situation du PS dans les années 70 : un leader aux allures de tribun, ne détestant ni l’emphase ni l’enflure, forcément moins talentueux que son mentor et son modèle, fantasmé d’ailleurs, Mitterrand, à la tête d’une formation parcourue de courants et de tendances, mais les reniant officiellement, courants et tendances cachés qui considèrent pour la plupart que Mélenchon est une « tête de gondole » et qu’ils sauront le contrôler, le manipuler, voire s’en débarrasser, une fois arrivés au pouvoir. Un peu comme le MIR, au Chili, courant d’extrême-gauche, chercha à mettre Allende « sous-curatelle politique » en menant une lutte permanente dans la surenchère gauchiste et jusqu’au boutiste jusqu’au 11 septembre 1993 date du « golpe » de Pinochet. A « France Insoumise » vous trouvez plus facilement des militants qui vont vous dire que Mélenchon est suspect et qu’il faudra vraiment le « coacher » pour éviter qu’il ne trahisse, une fois au pouvoir, que de vrais mélenchonnistes, portés par une adoration du « lider ».

Le corpus idéologique de « La France Insoumise » est un cocktail de vieux thèmes relookés au vernis pseudo-moderne de la fameuse « convergence des luttes ». Il est de coutume de dire que Mélenchon (mais aussi Hamon) ont été inspirés par les travaux de la philosophe politique belge enseignante à l’Université de Westminster, Chantal Mouffe, elle-même déclinant les travaux de son défunt mari Ernesto Laclau (décédé en 2014). Vieille recette politique : faire du neuf avec du vieux… Car les travaux de Laclau et Mouffe, s’inscrivant dans ce que l’on peut appeler le post-marxisme et la « démocratie radicale » ne sont pas d’une radicale nouveauté par contre. Ils fleurent bon le XXème siècle. Avant eux, en effet, Antonio Gramsci (cf ses travaux sur l’hégémon mais aussi sur les intellectuels organiques) ; Nicos Poulantzas (cf ses recherches sur les dictatures et l’Etat) ; Louis Althusser (cf « Lire le Capital » ou « Pour Marx » et son apport sur l’analyse des Appareils Idéologiques d’Etat), pour n’en citer que trois, ont abordé la totalité des questions réinscrites à l’agenda politique du mélenchonisme. Le mouvement « La France Insoumise » est un avatar low cost de la pensée politique. Il n’est pas plus post-marxiste que révolutionnaire. C’est un simulacre tout simplement. Un simulacre-image pour parler comme Platon qui prétend représenter ce que sera la révolution quand il aura pris le pouvoir. Mais, en réalité, tout cela n’est que reflet, représentation d’un « grand soir fantasmé » et totalement illusoire. Pour autant, comme dans l’Allégorie de la Caverne, justementchez Platon (« La République », Livre 5), il arrive que les individus dans la grotte, voyant s’agiter l’hologramme de Mélenchon contre la paroi du mur du fond de la caverne, s’imaginent qu’il s’agit de la réalité et qu’il va leur offrir, sur un plateau, une « Commune » contemporaine où Macron tiendrait lieu de Thiers, où les banquiers seraient les nouveaux Versaillais et où Gavroche aurait des allures d’Adrien Quatennens.

Le carburant de tout ce cinéma d’ombres, c’est la « convergence des luttes » espérée, attendue telle le Messie (ou le « grand soir »), répétée comme un mantra et surtout cultivée comme l’arbre de vie révolutionnaire puisque toutes celles et tous ceux qui souffrent, s’unissant dans un même combat vont gommer leurs différences, suspendre leurs antagonismes et, prendre d’assaut l’Elysée, les banquiers, et selon la formule consacrée « pendre le dernier banquier avec les tripes du dernier curé ». C’est totalement fantasmé, absolument improbable et surtout radicalement faux car une telle thèse fait totalement l’impasse sur les antagonismes de classes ; ignore les individualismes et égoïsmes considérables générés par l’ultra-libéralisme (cf Marcel Gauchet, « Le Nouveau monde », mars 2017) et prétend opérer une synthèse des luttes alors que celles-ci existent aussi à cause d’un processus de différenciation qui est, contrairement aux espoirs de « La France Insoumise », le moteur du militantisme actuel : « je milite pour la PMA et la GPA pas pour l’accueil des migrants de Syrie » ; « je mène un combat contre le glyphosate et je me fiche de la problématique de la surpopulation des prisons »… Alors « La France Insoumise » ? Rassemblement d’une gauche en phase de reconstruction ou Club Méd’ au folklore proto-révolutionnaire ? « Au bon coin » plutôt : on y trouve l’occase de la révolution. Elle ne coûte pas cher. Elle permet d’avancer dans les luttes. Mais on sait bien que cette occase-là ne durera pas…  

Quel est le potentiel politique et électoral de cette fusion entre "vieille" politique et cette nouvelle offre programmatique radicale, éclairée notamment par les propos de Daniele Obono sur les stages de non mixité raciale, ou l'attaque de Jean Luc Mélenchon à l'égard de Manuel Valls, indiquant que ce dernier poussait "à la guerre contre l'Islam" ? 

Le cas Obono échappe quelque peu aux catégories de l’entendement politique classique, il est donc difficile de le traiter ici. Quant aux relations entre Mélenchon et Valls elles méritent plutôt d’être traitées par Boris Cyrulnik au chapitre des haines et des liens entre frères de lait (rocardien) devenus frères ennemis. Il me parait assez clair que la capacité électorale de La France Insoumise va se maintenir à un niveau assez élevé dans la mesure où, en dehors du FN aucune formation politique n’est en mesure d’assumer une permanence dans la « fonction tribunitienne ». FI est donc prédestiné à demeurer structure exutoire.  Cela ne signifie en rien que FI va se contenter de ce « statut ». Pour l’heure c’est le sien.

Alors que Jean Luc Mélenchon veut "réduire" la fracture avec Benoît Hamon, ne peut on pas considérer que la France Insoumise pourrait être sérieusement concurrencée par un retour d'un parti socialiste renouvelé ? Ou Faut-il considérer qu'un Epinay 2.0 pourrait voir le jour, sur l'union des deux forces ? 

Bien sûr que oui. « La France Insoumise » n’existe, au niveau où est rendue cette forrmation politique  que parce que le PS et les partis de droite sont faibles voire inexistants. A gauche le trouble est total et la confusion mentale atteint des « sommets » ou plutôt des « culs de basse fosse » (c’est selon « l’endroit » où l’on se trouve…). Pour faire un Epinay 2 il faudrait que soient conjugués le charisme du chef (Mélenchon n’en manque pas…) et les soutiens syndicaux  (ils sont plutôt faibles). Il faut surtout que les partenaires éventuels (tous les partenaires) n’aient pas peur d’investir dans une coalition qu’ils estimeront comme susceptible non seulement de durer mais d’abord d’exister.  Si le PS parvient à se réformer, il récupérera forcément une partie des militants « partis » chez Mélenchon. C’est une pure hypothèse parce qu’il n’est pas forcément simple de reconstruire un parti politique qui a été pratiquement rayé de la carte parlementaire en juin dernier.

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