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Vu de l'étranger, Jean-Luc Mélenchon reste un ovni politique
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Place du Capitole à Toulouse, plusieurs milliers de personnes sont venus écouter Jean-Luc Mélenchon, jeudi soir. Troisième homme de cette présidentielle et crédité de 15% d'intentions de vote, il éclipse désormais Marine Le Pen et François Bayrou. Grâce à une pratique politique atypique, il attire l'attention des médias étrangers qui l'analysent comme un phénomène franco-français.

Hugh  Schofield, Jacqueline Hénard,Juan Pedro Quinonero

Hugh Schofield, Jacqueline Hénard,Juan Pedro Quinonero

Hugh Schofield, Jacqueline Hénard et Juan Pedro Quinonero sont journalistes et correspondants respectivement de médias britanniques, allemands et espagnols. 

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Atlantico : Avec 15% d'intentions de vote, Jean-Luc Mélenchon s'impose comme le troisième homme de cette élection présidentielle et réussit par son discours à fédérer une grande partie de la société française. Comment est-il perçu par les médias britnanniques, allemands et espagnols ?

Hugh SchofieldLes médias britanniques prêtent attention à Jean-Luc Mélenchon car c’est un phénomène imprévu et intriguant qui fait une apparition une peu brutale sur la scène politique française. Pour l’étranger, c’est un phénomène étrange, et en même temps pas tant que ça quand on connaît un peu la France. En effet, il existe dans ce pays, une réelle force de gauche, sous une forme qui n’existe pas en Angleterre. A chaque élection on doit réexpliquer pourquoi la gauche réalise des scores allant de 10 à 20%. La force de Jean-Luc Mélenchon c’est qu’il a su réunir des voix éparpillées entre trois ou quatre partis. Il a profité de la faiblesse des autres petits partis de gauche, et qui avaient du mal à rassembler et de ce fait lui ont ouvert la voie.

Jacqueline Hénard : La montée de Jean-Luc Mélenchon est un phénomène assez étrange pour les Allemands aussi. Nous n’avons pas la même tradition d’extrême gauche que la France, sous sa forme révolutionnaire. Il est étonnant de voir comment ce candidat qui partait sur des positions très marginales arrive peu à peu à se positionner au centre du débat par un talent d’orateur, en faisant appel à une tradition rebelle de la France, sans pour autant avoir un grand contenu programmatique, en tout cas un contenu raisonnable. En effet, pour l’instant ce qu’il propose c’est ce que les Français voudraient entendre tel que le retour à une retraite à 60 ans. Ces mesures sont en décalage avec le sérieux du débat que la France devrait mener aujourd’hui et si Jean-Luc Mélenchon arrive là aussi ça prouve que ce débat manque.

Juan Pedro Quinonero : C’est tribun démagogue, populiste redoutable, de par son efficacité, mais aussi par l’archaïsme de ses idées. Ce personnage fait tout à l’envers, il avait commencé dans un Ministère mineur sous François Mitterrand, à l’époque il était d’ailleurs soumis à la pensée mitterrandienne faisant preuve d'une lâcheté intellectuelle redoutable, puis il s’est découvert gauchiste attardé. Au lieu d’avancer vers la social-démocratie, la liberté, un socialisme disons européen en accord avec la réalité du temps, il devient le porte-parole de tous les archaïsmes idéologiques de la gauche française.

Dans l'horizon politique européen peut-on trouver un homme politique qui soit comparable à Jean-Luc Mélenchon ?

Jacqueline Hénard : En Allemagne, on pourrait rapprocher Jean-Luc Mélenchon de Grégor Gysi. Tous les deux ont un talent d’orateur assez incroyable. En revanche, Gysi a grandi en RDA et son positionnement est une survivance de la partition allemande. Il joue sur le tableau de la nostalgie de la RDA. Il est à la tête de Die Linke (La Gauche) qui est un parti très à gauche mais sans aucune tradition révolutionnaire. C'est un parti d’Etat, mais surtout de survivants frustrés et d’une jeune gauche de l’est qui a fini par s'y greffer. Cependant, il n’a jamais eu la même dynamique que celle prise par Jean-Luc Mélenchon.

Hugh Schofield : On ne peut difficilement imaginer un personnage tel que Jean-Luc Mélenchon dans le système politique britannique. Plus précisément, même s'il n’est pas impossible qu’il existe, il est improbable qu’un tel personnage réalise un score de 15% lors d’une élection. Quand on regarde la scène politique britannique, le parti socialiste qui est certainement plus à gauche que les trois autres partis majoritaires, est cependant plus à droite que Nicolas Sarkozy. Il n’y a donc pas de tradition de radicalisme de gauche. Certes il y a eu des partis minoritaires, un petit parti communiste notamment mais si peu connu qu’il n’existe pratiquement pas.

Juan Pedro Quinonero : Son profil est très franco-français et il n’est pas exportable.Contrairement a ce que l’on pense le succès de Jean-Luc Mélenchon n’est pas du à la crise, mais à l’archaïsme intellectuel de la classe faussement prolétaire puisque l’on sait que le premier parti prolétaire en France est le Front National. Par contre, il y a une sorte de mélange, sorte paëlla franco-française entre les anciens et les nouveaux communismes, et c’est une réalité qui n’existe nulle part en Europe, et encore moins en Espagne. Le parti socialiste espagnol, est un parti qui a négocié le processus de l’austérité européenne. Dans les discours, il est peut-être plus à gauche que Jean-Luc Mélenchon, mais plus à droite que M. François Hollande. Lui ne veut pas réformer le projet de traité qui impose à la zone euro la règle d’or.

Vu de l'étranger qu'est-ce-que Jean-Luc Mélenchon révèle de la politique française à la fois dans la forme et dans le fond ?

Juan Pedro Quinonero : La France est un pays extrêmement conservateur et ce conservatisme prend de nombreux visages. D'un côté un archaïsme populiste d'extrême-droite représenté par Marine Le Pen, qui mobilise beaucoup d’électeurs, et de l'autre un archaïsme de gauche ou soit disant de gauche qui regroupe une ribambelle de candidats. Cette situation est unique dans une démocratie industrielle avancée, de voir qu’il y a encore quatre ou cinq partis soit disant trotskystes ou gauchistes.

Jacqueline Hénard : La France est en décalage total par rapport aux exigences et défis du moment. C’est une fuite dans le populisme alors que les caisses sont vides. Il ne s’agit pas de rêver à un Etat social encore plus protecteur qu’il ne l’est, mais de se demander comment la France peut réduire son train de vie, et c’est la même question qui occupe l’Espagne, l’Italie, la Grèce et le Portugal. De ce point de vue la France est une planète à part sur le continent européen. Or en France, les candidats principaux ne posent pas la question, et à la marge : extrême gauche ou extrême droite, des promesses totalement intenables sont faites.

Hugh Schofield : Jean-Luc Mélenchon révèle que la politique française est bien plus à gauche que la nôtre, et c’est ainsi chaque fois qu’on compare la France et l’Angleterre. Tout est décalé. Je dirais même plus tout est décalé par rapport à l’Europe. La France est une société post-révolutionnaire, il y a une mémoire de la révolution qui donne une force politique très liée à la rue et c’est une chose que l’on ne retrouve pas chez les Anglais. Quant à son style, il me rappelle Jean-Marie Le Pen car chez les deux le pouvoir passe par la parole et ils se distinguent par une expertise dans la manipulation de la langue française. Cela séduit toute une population un peu marginale qui est rupture par rapport au système politique, qui déteste le système.

Comment analysez-vous la campagne menée jusque-là par Jean-Luc Mélenchon  ?

Jacqueline Hénard : Le drame de Toulouse est venu perturber le regard que l'on portait sur la campagne présidentielle et qui se focalisait uniquement sur le duel entre Nicolas Sarkozy et François Hollande. Cela révèle que c’est un peu par défaut que les médias étrangers se sont intéressés à ce candidat, tout simplement parce que les deux principaux hommes politiques ne posent pas les vraies questions, sur l’avenir des finances publiques en France et sur les défis que posent l’endettement. Comme la campagne est atone, on cherche des sujets plus intéressants et de par son attitude Jean-Luc Mélenchon incarne le palliatif parfait. En réalité l’exception française c’est surtout cette obstination éluder les choix douloureux que devra faire la France dans un avenir très proche.

Hugh Schofield: La campagne de Jean-Luc Mélenchon est très futée. Même s’il sait très bien qu’il ne va pas gagner ces élections, il veut garder la possibilité de peser sur le gouvernement Hollande. Cependant, il n’est pas précis sur ces intentions d’y participer ou pas, il se crée des chances pour le futur. Je le regarde avec beaucoup de cynisme, car il est une personnalité très égoïste, il prétend rassembler le peuple et la gauche mais tout ce qu’il propose est totalement irréaliste, et s’il participe au gouvernement, il sera obligé de diluer son discours. Il ne peut donc pas durer, si le gouvernement Hollande faisait ne serait-ce qu’une petite partie de ce qu’il propose, ce serait un virement à gauche incroyable et je crains pour les marchés. 

Juan Pedro Quinonero : Selon moi, sa campagne fait surtout du bien à Nicolas Sarkozy. François Hollande risque d’être pris dans un triangle infernal composé de Jean-Luc Mélenchon, de l'abstention, et de Nicolas Sarkozy. Ici l'élément clé est l'abstention, c'est à ce niveau que tout ce jouera, mais pour l'instant, sur ce point on est dans l'hypothétique.

Propos recueillis par Priscilla Romain 

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