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La Chine, partagée entre des valeurs communistes et un système économique capitaliste
La Chine, partagée entre des valeurs communistes et un système économique capitaliste
©REUTERS/David Gray

Universel panda

Chinois et Occidentaux semblent parfois condamnés à s'opposer sur le plan des valeurs. La Chine persiste à vouloir rester communiste tout en développant un système économique capitaliste, à s'ouvrir à l'étranger sans remettre en question ses habitudes politiques. La Chine est pourtant une véritable éponge culturelle qui sait s'approprier les habitudes et les modèles qui lui plaisent sans pour autant se départir des traditions qui font son identité.

Alice  Ekman

Alice Ekman

Alice Ekman est chercheur spécialiste de la Chine à l'Institut français des relations internationales (Ifri) et enseignante à Sciences Po, Paris. Elle conduit régulièrement des missions de recherche en Chine et en Asie de l’Est, et conseille plusieurs institutions publiques et privées françaises implantées dans la région.

 

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Atlantico: Les Chinois sont-ils sensibles aux valeurs occidentales ? Droits de l'Homme, égalité, droits sociaux, liberté de la presse sont-ils des combats qui ont un sens en Chine ?

Alice Ekman : Ces valeurs ne sont pas spécifiquement occidentales. Elles sont avant tout générées et développées par le contexte politique. Beaucoup de valeurs dites "occidentales" sont également présentes dans les modèles traditionnels chinois. Et des contextes politiques différents peuvent mener au mêmes valeurs: par exemple, le régime communiste de Mao a contribué en Chine à la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes,  un des rares aspects positifs de cette période.

Même si les valeurs traditionnelles et l’héritage historique chinois peuvent prédisposer à certaines pratiques de gouvernance (respect de la hiérarchie, du consensus, etc), la culture chinoise peut tout à fait cohabiter avec différents types de régime.  Par exemple, il n’existe pas d’incompatibilité entre démocratie et culture chinoise, ou culture confucéenne au sens large. L'existence de démocraties tels que Taïwan, où la culture chinoise traditionnelle reste omniprésente, ou le Japon, toujours fortement imprégné des valeurs confucéennes, en sont la preuve. Dans ce contexte, les combats en faveur de l'égalité ou encore de la liberté d'expression ont assurément un sens en Chine, et existent, en témoigne l'augmentation des mouvements sociaux ces dernières années. 

Quelles sont les composantes typiquement chinoises qui perdurent et devraient perdurer au sein du modèle de valeurs de la Chine ?

Globalement, on note en Chine une forte perméabilité aux changements venus de l’extérieur, notamment en terme de modes de vie et de pratiques de consommation. En l’espace d’une génération, les pratiques se sont métamorphosées sans réticences apparentes. Les classes moyennes émergentes se sont largement tournées vers l’étranger dont elles s’inspirent. Il est difficile d’identifier des freins culturels dans ce contexte, tellement la population chinoise s’adapte aux changement économiques et sociaux avec facilité et rapidité. 

L’héritage confucéen est toujours bien présent dans la société chinoise contemporaine (on reste notamment dans un société assez hiérarchisée, que ce soit au sein de la famille ou de l'entreprise), il a survécu aux critiques de l'époque maoïste, on note même un regain d’intérêt partagé pour les pensées traditionnelles chinoises au sein de la population des grandes villes, mais son application est moins rigide qu’en Corée du Sud par exemple, où certains principes confucéens sont encore appliqués à la lettre, et où cohabitent des comportements à la fois modernes et traditionnels. 

Outre l’héritage confucéen, le contexte démographique et social favorise des valeurs et comportements particuliers, qui inscrits sur le long terme peuvent caractériser la société chinoise. Deux éléments me semblent exercer une influence particulière sur les comportements de nombreux chinois: la population imposante, et la faible protection sociale. Depuis très longtemps, les Chinois vivent dans un pays très peuplé, "trop peuplé" selon une perception partagée par l'ensemble de la population. Cela implique des comportements particuliers, la notion de compétition est cruciale : lors des examens de la fonction publique par exemple, très sélectifs. Encore aujourd'hui, même un étudiant chinois issu de la classe moyenne supérieure et diplômé d'une université prestigieuse doit redoubler d'efforts pour sortir du lot.  Cette hargne et cette ambition restent indispensables ensuite pour arracher une progression de carrière, de meilleures conditions de vie, etc. Et la faible protection sociale renforce l'idée que l'on ne peut compter que sur soi-même, ou éventuellement ses proches, en cas de coup dur. Parallèlement, des liens particulièrement forts de solidarité familiale et amicale se sont développés en Chine, permettant notamment d' "assurer ses arrières".

Quel regard portent les Chinois sur les grandes puissances occidentales ? Y-voient-ils une source d’inspiration ou un modèle sur le déclin ?

Depuis l’ouverture de la Chine en 1978, une partie significative de la population chinoise s'est ouverte à d’autres repères sociaux et peut-être à d’autres idéaux. Depuis une trentaine d’années, la population fait preuve d’une vraie curiosité vis-à-vis de l’étranger à tous les niveaux, depuis les pratiques de consommations jusqu’aux modes de vie.

Dès qu’ils le peuvent, de nombreux Chinois voyagent à l’étranger. Souvent au sein de groupes organisés, mais également, et de plus en plus, de manière autonome et indépendante. Les urbains en nombre croissant se penchent sur l’apprentissage des langues étrangères, ont largement accès à la production culturelle et aux divertissements d'autres pays: les séries coréennes ou américaines sont plébiscités, de plus en plus de livres sont traduits en chinois, etc.

Cette curiosité induit un questionnement. Ce questionnement n’est que rarement politique, il est avant tout social, parfois philosophique. Il touche aussi bien à l’éducation qu'au modèle familial ou au style de vie. Par exemple, certains Chinois s’interrogent sur les pressions familiales liées au mariage ou à la hiérarchie parents-enfants. D'autres, étudiants ou jeunes actifs, relativisent leurs objectifs de carrière et de réussite sociale. La Chine traverse une période passionnante de questionnements et de mises en comparaison des pratiques et habitudes nationales.

Malgré cette curiosité, la connaissance de l’étranger reste faible. Une trentaine d’années d’ouverture, finalement, c’est peu, une majorité de Chinois n’a pas encore eu l’occasion d’aller à l’étranger et n’a qu'une idée très superficielle des contrastes culturels, économiques et politiques qui peuvent exister entre la Chine et d'autres pays. Et dans certains domaines, les contrastes sont tels et les habitudes tellement ancrées que l’acquisition de connaissances et la compréhension des différences nécessitent du temps. La phase de curiosité et de comparaison internationale qui anime aujourd’hui la société chinoise aujourd’hui n’en est qu’à ses débuts.

Ce qui est certain, c'est que la majorité des Chinois, y compris les autorités chinoises, est pleinement consciente que la Chine est encore un pays en voie de développement, et qu'elle a encore beaucoup à apprendre des pays développés. De nombreuses délégations officielles se rendent régulièrement dans les pays étrangers pour étudier les bonnes pratiques. Du fonctionnement de la chaîne du froid en Irlande à la performance des universités britanniques, les visites d'études sont nombreuses et l'approche est toujours la même: très pragmatique, les succès sont étudiés, et importés quand ils le peuvent. En même temps, même si la plupart des Chinois sont bien conscients qu'ils restent beaucoup de progrès à faire dans de nombreux domaines, ils s'estiment aussi capables de mener à bien ces progrès, de se mettre à niveau.

Les Chinois ont-ils conscience de leur force sur le plan économique ?

Autant l'opinion publique que les cadres du Parti semblent confiants dans le nouveau positionnement international de leur pays. Ils savent que leur économie pèse plus lourd qu'auparavant dans l'économie mondiale, et que le pays occupe une place croissante sur la scène internationale. Dans le même temps, ils sont également bien conscients des inégalités existantes. Si la plupart des citoyens chinois ont noté que leurs revenus et leurs conditions de vie ont globalement augmenté, ils partagent aussi le constat d'un décalage important entre zones rurales et urbaines, et savent que cette situation n'est pas celle d'un pays développé, mais encore émergent.

Les Chinois veulent-ils exporter leurs spécificités culturelles ?

La Chine d'aujourd'hui est pragmatique, c'est ce qu'il faut retenir. Depuis trente ans, l'idéologie n'est plus au premier rang. Deng Xiaoping a parfaitement transmis sa manière de voir les choses. Son héritage explique en partie la faible velléité de développement idéologique à l'étranger. Je n'ai pas le sentiment qu'il y ait, par exemple, une volonté d'exporter le confucianisme.

Autant le gouvernement que l’opinion publique chinoise ont envie que l'étranger, et notamment les pays développés, ait une vision positive de la Chine. Cette envie repose davantage sur une reconnaissance économique et culturelle que sur la diffusion de valeur à proprement parler. Dans tous les cas, si elle existe, l'exportation de "spécificités culturelles" est loin d'être la préoccupation première des autorités chinoises, qui se concentrent beaucoup plus sur le développement économique domestique. La diplomatie chinoise développe ces dernières années une nouvelle politique de soft power à l’étranger (création de médias chinois en langues étrangères, des Instituts Confucius - centres culturels et linguistiques, développement des programmes d’échanges académiques, etc). L’objectif de cette politique est avant tout d’améliorer l’image de la Chine à l’étranger. Cela passe aujourd'hui par la promotion de la culture chinoise, de sa langue, de ses entreprises, davantage que par l’affirmation de valeurs spécifiques.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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