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Le Bahreïn, un royaume à la dérive
©MARWAN NAAMANI / AFP

Obstination

L’agence Bloomberg révélait il y a quelques jours que le petit royaume du Bahreïn avait sollicité l’assistance financière de ses voisins du Golfe (Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis et Koweït).

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Les réserves de change du royaume ont fondu comme neige au soleil, en étant divisé par quatre au cours de ces trois dernières années. Le FMI alertait d’ailleurs récemment sur la nécessaire diversification des économies du Golfe, afin que ces pays sortent de leur dépendance trop accrue aux richesses tirées des hydrocarbures.

Surtout, l’institution de Washington pointe du doigt les effets négatifs qui devraient prochainement toucher les économies du Golfe si le blocus à l’encontre du Qatar continue. Si Doha semble plus résilient que le quartet ne l’aurait imaginé, Manama voit déjà son économie couler. Pourtant, alors les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) auraient tout intérêt à favoriser les échanges commerciaux entre eux, le Bahreïn s’obstine avec les autres membres du quartet à vouloir mettre le Qatar au pilori. Loin d’avoir une attitude neutre et constructive comme essaient de l’avoir Oman et le Koweït, les dirigeants bahreïnis adoptent une politique belliqueuse et jusqu’au-boutiste rappelant les traits sombres de la politique émiratie, mais avec moins de succès.

Autoritarisme et répression avec le parrainage saoudien

Mais la spirale infernale n’est pas qu’économique, elle touche aussi les libertés publiques et politiques. Les chiites du royaume, constituant la majorité de la population, sont tous dépeints comme de potentiels terroristes comme en témoigne l’accusation « d’intelligence avec l’ennemi » (en l’occurrence avec le Qatar) à l’encontre du chef de l'opposition chiite à Bahreïn, cheikh Ali Salmane, qui purge déjà une peine de prison de neuf ans. La presse est également muselée afin de faire toute voix contraire à la propagande du régime. Le seul parti d’opposition Al Wifaq, de la branche des Frères musulmans, a été dissous, et ses membres sont pourchassés à travers le pays.  Bref, la violence politique est partout et plus personne n’est à l’abri de l’arbitraire.

Ce qui se trame dans cette monarchie remonte à février 2011, date du début du Printemps de la Perle, nom de la place emblématique de la capitale Manama. Des milliers de manifestants descendent dans la rue, demandant plus de justice dans un pays où une fracture sociale s’est creusée depuis des années : entre les dirigeants et le peuple tout d’abord, car le Bahreïn est  gangrené par la corruption, les inégalités économiques, et les violations des droits de l’Homme; mais de façon plus subtile, il existe une frustration de la majorité chiite envers ses dirigeants sunnites, laquelle se sent visée de par son appartenance religieuse par des discriminations et la violence du régime. Une foule galvanisée par la chute des dictateurs arabes se forme dans les rues et l’espoir de réformes est fort. Il sera pourtant insuffisant, car les balles, les arrestations, les emprisonnements font taire rapidement la contestation. Une intervention militaire saoudienne assure que le travail sera bien fait, et les images de ces chars traversant le pont reliant l’Arabie Saoudite au Bahreïn envoient un message très clair à l’ensemble du monde arabe : en péninsule arabique, les monarques despotiques ne peuvent et ne doivent pas tomber.  

« No one can protect you », la campagne d’Amnesty International qui dénonce les crimes du Bahreïn

Un rapport d’Amnesty International publié en septembre se base sur une collecte de données et de témoignages qui a duré un an, au cours duquel près de 169 critiques du régime ont été arrêtés, intimidés, interrogés, persécutés, emprisonnés, empêchés de voyager hors du pays, ou encore menacés. La liste est longue car le régime des Al Khalifa vise les défenseurs des droits de l’Homme, les journalistes, les avocats, les activistes politiques, les manifestants pacifiques et les membres du clergé chiite. La cruauté des moyens de répression est telle, que beaucoup de ces personnes sont partis en exil. On retient ainsi l’histoire de l’activiste Ebtisam al-Saegh, agressée sexuellement lors de sa détention, à qui l’on a finalement imputée des charges de terrorisme : « les hommes de la NSA (National Security Agency, les renseignements bahreïnis) m’ont dit que personne ne pouvait me protéger. Ils m’ont pris mon humanité ».

Le rapport pointe directement les dirigeants occidentaux quant à la responsabilité de cette répression : l’Amérique de Donald Trump tout d’abord, qui signe des contrats d’armement avec l’Arabie Saoudite alors que son armée écrase le Yémen ; la Grande-Bretagne ensuite, qui souhaite ménager de très utiles alliés commerciaux dans la tourmente du Brexit ; le silence enfin de tous les autres. Autant de facteurs qui, selon les termes de l’ONG, ont « enhardi » le Bahreïn dans sa lutte contre toute opposition interne.

Mais la responsabilité première se situe avant tout dans le climat délétère qui règne dans les pays du Golfe. La répression comme moyen de gouvernement est devenue généralisée et l’échelle de la brutalité a été redessinée par le conflit syrien, la guerre au Yémen. La dynastie du Bahreïn, protégée par son puissant voisin sait que plus personne ne peut encore parler de droits de l’Homme au Moyen-Orient, sans se retrouver empêtré dans des accusations de complaisance avec l’islam politique ou le terrorisme, et le chantage à la stabilité. Pour les Bahreïnis, pris au piège des calculs politiques, l’espoir est mince de briser le cercle de la violence.

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