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Politique de la ville : et Emmanuel Macron commit la même erreur majeure que ses prédécesseurs..
©AFP

Bis repetita

Malgré des annonces positives concernant les emplois francs, un réinvestissement des services publics, ou la construction de crèches, pour sa politique de la ville, Emmanuel Macron poursuit les erreurs commises par ses prédécesseurs. En fixant un cadre strict à sa politique contre la pauvreté, le gouvernement rate sa cible en oubliant la très grande majorité des pauvres du pays.

Louis Maurin

Louis Maurin

Louis Maurin est directeur de l’Observatoire des inégalités.  

 
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Dans son discours relatif à la politique de la ville de ce 14 novembre, Emmanuel Macron a souhaité mettre l'accent sur les "quartiers qui en ont le plus besoin" c'est à dire en restreignant les mesures de cette politique à une faible part des quartiers prioritaires, dans une rhétorique de "test". Pourtant, en elle-même, la politique de la ville n'est-elle pas déjà une vision tronquée de la pauvreté en France, étant donné que les territoires couverts ne concernent qu'un pauvre sur quatre ? Un tel ciblage ne peut-il pas induire une vision faussée d'un visage plus large de la pauvreté en France ?

Louis Maurin : Il y a d'autres points à prendre en compte dans la politique d'Emmanuel Macron, sur la formation, les maisons de santé, les discriminations, la politique de sécurité du quotidien, ou sur les services publics. Parce que si la promesse est tenue pour la formation des jeunes peu qualifiés, par exemple, cela peut avoir un effet massif pour ces quartiers-là. Il est quand même important de rappeler que ce qu'il se passe dans ces territoires ne dépend pas que de la politique de la ville.

Mais le point qui pose un gros problème, c'est quand même l'expérience des premiers mois de ce gouvernement ; la diminution des allocations logement qui pénalisent les plus pauvres et donc ceux qui vivent dans ces quartiers, les emplois aidés qui, même s'il ne s'agit pas d'une solution miracle, sont quand même une aide pour un certain nombre de jeunes de ces quartiers ; mais également une baisse de 5 milliards d'euros des recettes fiscales pour les personnes les plus aisées A titre de comparaison, la politique de la ville représente bien moins d’un milliard d’euros pour l’ensemble du territoire. Sans faire de procès d'intention, il y a pour l'instant une dissonance énorme entre les discours et les actes. Ce qui a été fait jusqu’à présent n’a pas été du tout dans le sens de la politique de la ville. Un sentiment qui est renforcé par le fait que le budget qui va être voté montre une baisse des crédits sur ce poste. En termes d’opinion publique, cela risque de coincer parce que les actes ne sont pas en accord avec les discours.

Mais le fait principal, la tarte à la crème du débat public qui existait déjà sous le quinquennat précédent, c’est l’idée de « recentrer les aides sur ceux qui en ont le plus besoin ». Cela semble être marqué du sceau de l’évidence parce que bien sûr, il vaut toujours mieux aider ceux qui en ont le plus besoin mais alors il faut définir le périmètre sur lequel on raisonne. Est-ce qu’il s’agit de retirer à « ceux qui en ont besoin » pour en donner plus à ceux qui « en ont le plus besoin » ? On retire de l’argent à des « un peu pauvres » pour donner aux « très pauvres », parce que l’on part toujours dans l’idée d’un budget fixe. L’idée de départ est qu’il y a un montant alloué pour les pauvres qui paraît intangible. Mais il faut bien comprendre que le périmètre de ce budget reste une décision politique.

En agissant ainsi, on accentue les ruptures des politiques publiques entre les différentes catégories de pauvres et les couches moyennes de la société, en réduisant les moyens de ceux qui sont quand même touchés par la crise mais qui ne sont pas ceux qui sont les plus touchés.

Dans quelle mesure une telle politique opérant une différence entre les territoires peut-elle également aboutir à une perte de soutien des populations exclues de ces programmes ? Une telle approche ne peut-elle pas conduire à la formation d'une concurrence entre pauvres, d'autant plus que les dénonciations d'une France de « l'apartheid » peuvent également être mal perçues par les populations exclues de ces politiques ? 

Comme la politique de la ville ne disposait pas de moyens énormes, le désengagement de la politique de la ville n’aura pas un impact massif. Et il ne faut pas oublier qu’à l’intérieur de ces quartiers, il y a des différences. Il y a des gens très pauvres dans des quartiers moyennement pauvres. Mais plus on cible, plus on va rater des populations.

Mais le problème principal, c’est la confusion qui est faite entre ces quartiers qui sont effectivement ceux ou le taux de pauvreté sont parmi les plus élevés (jusqu’à 60-70%) et très supérieurs au reste du territoire, et la répartition de la population pauvre. Comme ces quartiers ne représentent qu’une petite fraction de la population française, il est un fait que l’immense majorité des pauvres ne vit pas dans ces quartiers. Cela veut dire que l’on présente comme « politique pour pauvres » des politiques qui ne touchent qu’une petite fraction d’entre eux. Il y a là une opération de communication. On fait des choses pour les pauvres en territorialisant et en disant « notre politique pour pauvres est une politique vers les quartiers ou vivent les pauvres ». Sauf que si les taux de pauvreté de ces quartiers sont élevés, ils ne représentent qu’une faible proportion du nombre de pauvres. Un quart du total. On donne donc l’impression de faire une politique pour les pauvres, mais cela est une politique pour une minorité d’entre eux. Mais cela est aussi vrai pour les politiques scolaires qui ne touchent qu’un quart des enfants défavorisés. Parce que ce réseau de scolarité prioritaire ne représente qu’une petite fraction de l’ensemble du territoire. Aussi parce que contrairement à ce que l’on dit et à ce que l’on laisse souvent penser, notre pays n’est pas marqué par des ghettos, un apartheid urbain, et une ségrégation binaire entre pauvres d’un côté et riches de l’autre. Et c’est effectivement cette situation qui rajoute aux tensions du pays.

Pourquoi Emmanuel Macron est-il si impopulaire ? Parce qu’il y a un décalage énorme entre la réalité de la société et la façon dont les élites la comprennent. La façon dont on réfléchit la société française, dont on la présente, dont on pense à ses besoins, ne correspond pas à ce que vit la population. Une partie des élites et des experts est hors sol. Cela ne veut pas dire qu’ils ne comprennent pas la misère, mais ils ne comprennent pas la façon dont on vit aujourd’hui. Cela peut être de l’exagération dans tous les sens. Aujourd’hui, lorsque l’on dit qu’il y a 9 millions de pauvres en France, on amalgame des situations trop différentes, qui vont de l'extrême misère aux familles modestes. Et cette exagération n’aide pas non plus. Lorsque l’on dit aussi qu’il y a une « fatigue de la compassion », on voit que l’on ne comprend plus. C’est le symptôme d’une incompréhension très forte de la société française. Et tout cela est le résultat d’un déficit d’analyse de la société française. Quand on dit aujourd’hui que seuls 16 % de la population française a un diplôme supérieur à un bac +2, hors personnes encore en études, il y a une incompréhension totale dans certains milieux. On ne se rend même plus compte de ce qu’est aujourd’hui la société française. La classe moyenne du diplôme aujourd’hui, c’est le CAP ou le BEP.

Quelles sont les origines de cette incapacité politique à aborder cette question sous un angle universaliste, prenant en compte l'ensemble de la population ?

On voit la société sous un prisme totalement déformé.  Il y aurait beaucoup de choses à dire sur les think tanks, la république des énarques, les notes de synthèses…c’est-à-dire sur la simplification. Il y a aussi des formes de polarisation, la formation des élites, les modes de recrutement des partis politiques, qui recrutent toujours les mêmes, des mêmes écoles etc…Et peut être que ce changement de mode de recrutement tient aussi à la présidentialisation sur un nom de tous les pouvoirs qui provoque une polarisation du marketing politique avec un seul programme, et ce, sans contraintes d’alliances, de compromis ou de négociations, et qui tendent à produire des choses très tranchées.

Même s’il y a quand même des gens qui se posent des questions par rapport à cela. Mais globalement, il y a un formatage de l’information et de l’expertise, qui est aussi dû au poids pris par certaines institutions dans l’expertise et la faiblesse donnée à l’Université et aux travaux universitaires, pour moi, qui explique ce déficit de compréhension. Je ne détiens pas la vérité mais cela est pour moi un des fondements de ce type de mesures politiques qui font que depuis Jacques Chirac, chaque président est de plus en plus impopulaire parce qu’il y a un éloignement par rapport à la réalité sociale que l’on comprend de moins en moins bien. Et il y a sans doute un poids bien trop important donné aux sondages, dans leur expression des besoins sociaux, pour la prise de décisions. On a l’impression que les politiques publiques se construisent par un cocktail de sondages et de pages débats des grands quotidiens. C’est le cas avec cette idée de «concentrer les politiques publiques sur ceux qui en ont vraiment besoin ». 

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