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Attentats du 13 novembre : le nombre "noir" des victimes qui ne se sont pas fait connaître
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SOS solidarité nationale

Me Denis Tailly-Eschenlohr est l’avocat de 40 victimes directes et indirectes des attentats du 13 novembre et suit de près l’enquête sur les attentats du Bataclan. Malgré l’énorme émotion nationale, 2 ans plus tard, les victimes se battent pour obtenir des indemnisations décentes.

Denis Tailly-Eschenlohr

Denis Tailly-Eschenlohr

Me Denis Tailly-Eschenlohr est avocat au Barreau de Paris, Pénaliste et Criminologue.

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Atlantico : Deux ans après les attentats du 13 novembre où en est l'enquête ?

Denis Tailly-Eschenlohr : Ce qui est intéressant c'est de voir où nous en sommes de façon globale. Les responsabilités des auteurs sont établies, par contre les commanditaires, ceux qui ont permis la réalisation des attentats est aujourd’hui encore sujette à des questions. La seule personne qui détient sans doute une grande part des réponses c'est M. Abdeslam. Or l'ancien président a commis une faute politique majeure en fanfaronnant qu'il allait le faire revenir de Belgique alors qu'on aurait eu tout intérêt à le laisser là-bas pour aller l'interroger sur place. En effet, on a offert à cet homme ce qu'il espérait, la possibilité de refuser de répondre aux questions. Possibilité que ne lui offrait pas le droit procédural belge. Les gouvernants, les politiques qui cherchaient à se mettre en avant sont tombés dans un piège grossier alors que tous les avocats des parties civiles dénonçaient cela depuis le début.

Il y a encore énormément de zones d'ombre. Nous sommes tenus par des délais. Il faudra à un moment donné clôturer l'instruction et renvoyer devant la chambre de l’instruction qui elle-même renverra devant une Cour d'assises. Nous n'aurons pas à ce moment toutes les réponses.

Il a été dit qu'il y aurait un procès et  les victimes s'accrochent à cet espoir. Tout le monde pense qu'il aura lieu, on ne sait pas quand mais ce sera une première. Nous n'avons jamais connu un procès de cette importance en France. Dans le cadre d'un procès du 13 novembre, nous aurons plus de 3000 parties civiles sans doute. Et encore, beaucoup sont des victimes qui ne sont pas reconnues comme parties civiles. Niveau organisationnel ce sera du jamais vu. Ce n'est pas pour rien que le cas de Jawad Bendaoud, le logeur de St Denis est disjoint de la procédure. Il y a eu une correctionnalisation d'opportunité et le procès va se tenir en janvier et février à Paris, en correctionnelle et pas aux assises. C'est une aberration. Personne n'en parle et au dernier moment on préviendra les chroniqueurs judiciaires. Toutes les victimes, tous ceux impactés par le 13 novembre vont un jour découvrir que l'on a décidé de juger cet individu rapidement en catimini et en dehors de tout le reste du dossier.

Quel est le sentiment général de vos clients deux ans après les attentats du 13 novembre ?

D'abord je pense que mes clients se fichent des petits débats qui rythment l'actualité. Ils ont le sentiment que depuis le début on essaye de leur mettre du miel sur les plaies, qu'on leur tient des discours lénifiants, sympathiques…  Mais vous savez, les victimes, ce sont des grandes personnes, des adultes qui ont souffert et qui souffrent encore pour la plupart, soit physiquement soit moralement. Les victimes ont le sentiment que les pouvoirs publics ont tout fait pour cacher la réalité de leur souffrance. Aujourd'hui  elles sont avant tout extrêmement aigries.

Il ne faut pas oublier qu'il y a énormément de victimes qui ne sont pas reconnues pénalement comme tel.  J'ai une cliente qui était dans la fosse et qui n'a pas été blessée. Elle avait 20 ans au moment des faits et aujourd'hui, deux ans après elle n'a toujours pas ses règles. Voilà une gamine dont personne ne sait plus tard quelles seront ses capacités à enfanter. Aujourd'hui on considère que vu qu'elle n'a pas été blessée, elle n'a pas été victime au sens du droit pénal. A partir de là, qu'est-ce que vous voulez qu'elle ait à faire des considérations et des petits débats des uns et des autres qui rythment l'actualité.

Vos clients considèrent-ils qu'il y a aujourd'hui un manque de solidarité de la part de l'Etat, notamment sur les questions d'indemnisation ?

La question de l'indemnisation est un scandale. Tout d'abord il faut prendre en compte ce que je vais appeler moi le nombre "noir" des victimes. Le nombre inconnu de toutes ces victimes à qui l'on a rabâché au lendemain du 13 novembre qu'il ne fallait surtout pas aller voir les avocats car ces derniers voulaient faire de l'argent avec leur douleur. Qu'il fallait négocier avec le FGTI (fond de garanti des victimes). Ce que l'on sait maintenant c'est que le FGTI fait des propositions à tour de bras pour essayer d'avoir des accords à l'arraché et bien sûr le moins cher possible.

Les avocats de façon générale ont réussi à faire prendre en compte et reconnaitre le préjudice d'angoisse. Pour ce faire, l'action de l'ancienne secrétaire d'Etat a été très utile. Ce dernier s'applique à toutes les victimes et vise à faire reconnaître, ces instants, ces minutes, ces heures parfois où les victimes ne savaient pas si elles allaient vivre ou mourir. Il y a des gens qui se sont vu mourir lentement, des gens qui se sont vu partir pendant des jours et des jours. Je pense là à un de mes clients qui a eu quatre opérations abdominales en 35heures par exemple.

Ce préjudice, le FGTI a proposé de l'indemniser de façon totalement ridicule. Il propose en moyenne 2500 euros. 2500 euros si vous prenez 600 victimes (même s'il y en a plus), cela veut dire que le FGTI arriverait à résoudre ce "problème" pour 1,5 million d'euros. Pour rappel, 1,5 million c'est ce que Madame Hidalgo a dépensé pour aller faire péter des bouchons de champagne à Lima. Comment voulez-vous que nos clients puissent accepter cela.

Aujourd'hui mes clients n'espèrent absolument plus rien. Ils vont recevoir de l'argent, oui, ils le savent mais ça n'étanchera aucune larme et n'apaisera aucune douleur. Ceux qui ont vu mourir un frère, une sœur, un enfant, un ami… Vous aurez beau dédommager ces gens financièrement, la manière dont ils ont été traités est une insulte indélébile à leur douleur.

Quelles sont les attentes des familles  aujourd'hui ?

D'un point de vue juridique c'est d'entendre un jour condamner l'auteur qui est encore vivant. Que l'on puisse dénoncer un certain courant philosophique et religieux qui est à l'origine de cette barbarie. Maintenant ils attendent que ce soit un jour écrit. Cela a été fait à l'oral mais avec une certaine hypocrisie. Politiquement on a fermé des mosquées qui ont par la suite été rouvertes par exemple. Soit on les a fermé pour des raisons de sécurité et dans ce cas-là pourquoi les rouvrir ? Si ce n'est pas le cas à quoi est-ce que cela servait de les fermer si ce n'est électoralement ?

Aujourd'hui nos clients aspirent à ce qu'une vérité soit écrite et à ce que soient dénoncés ceux qui, soit n'ont eu que faire de leur douleur ou ceux qui l'ont manipulée.

Le procureur Molins a estimé vendredi sur Franceinfo que l'on peut toujours espérer que  les zones d'ombre qui demeurent sur le dossier  soient éclaircies par la coopération  de certaines personnes arrêtées dans la zone irako syrienne. Comment réagissent les victimes vis-à-vis de ces déclarations et du retour des djihadistes sur le territoire national ?

On est dans la manipulation la plus absolue. François Molins -qui est un bon technicien du droit par ailleurs- a sorti une ignominie et une incongruité absolue. Il ne peut pas en tant que procureur de la République de Paris ne pas connaître l'avancement du dossier. Il y a des zones d'ombre on est d'accord. Mais ce ne sont pas des individus que l'on pourra qualifier de "petit voyous" de "paumés" d'"exclus de la société" qui sont allé tenter une aventure sanglante en Irak et en Syrie qui sont détenteurs de secrets. Quand mes clients ont entendu cela, certains d'entre eux m'ont demandé si l'on se "foutait d'eux". Je leur ai répondu que oui. On sait que le président de la République souhaite pour des raisons philosophiques  éviter qu'un certain nombre d'individus qui ont la nationalité française ne finissent au bout d'une corde à Bagdad ou à Mossoul. On est en train de nous expliquer que l'on a pas d'argent en France pour indemniser les victimes, pas d'argent pour les forces spéciales, pour la police qui risquent leur vie tous les jours, mais qu'on en a pour rapatrier des individus qui en plus n'ont rien à voir avec les attentats du 13 novembre et à leur tour, opposeront leur droit au silence une fois revenus.

Tout cela est ridicule. On prend en otage l'affect de nos clients qui sont les seules vraies victimes pour rapatrier des assassins. Ce sont des propos ignominieux.  Ces gens dont on parle, pour mes clients, ce sont les frères, les camarades de ceux qui ont porté des armes le 13 novembre. Porter une kalachnikov à Raqqa, Mossoul ou devant le Petit Cambodge c'est toujours porter une kalachnikov. C'est inaudible pour les victimes. Prendre cet exemple et cette fausse excuse c'est insulter l'intelligence de nos clients et la mémoire des 130 morts.

Nos clients ont suffisamment souffert, il faut arrêter de se moquer d'eux ou de les manipuler.

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