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2, 3 idées utiles à la France et à l’Europe qu’Emmanuel Macron pourrait glisser à son homologue allemand ce vendredi
©Capture d'écran du site du Dailymail

Thérapie de couple

Ce vendredi 10 novembre, Emmanuel Macron rencontrera Franck-Walter Steinmeier à l’occasion de l’inauguration de l’Historial franco-allemand du Hartmannswillerkopf. L'occasion de faire le point sur ce fameux "couple" qui bat de l'aile.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Ce vendredi 10 novembre, Emmanuel Macron rencontrera Franck-Walter Steinmeier à l’occasion de l’inauguration de l’Historial franco-allemand du Hartmannswillerkopf. Au dela d’un tel symbole pour les deux nations, quels sont encore leurs intérêts communs ? Quelles pourraient être les bases d’un renouvellement du couple franco-allemand?

Edouard Husson : Il y a de quoi être très partagé. D’un côté, il est est bon que le président français rencontre son homologue allemand. Cela fait longtemps que les présidents français auraient dû prendre de la hauteur et laisser leurs premiers ministres rencontrer les chanceliers successifs. Le président doit se concentrer sur les enjeux stratégiques ou symboliques avec l’Allemagne. Et laisser les affaires gouvernementales au gouvernement. Que de Gaulle ait beaucoup rencontré le chancelier Adenauer, c’était normal, l’Allemagne se reconstruisait, à l’Ouest. Que Pompidou ait traité avec égards le plus grand homme politique allemand du XXè siècle, Willy Brandt, résistant et homme de paiix, cela se comprend. Mais après? Les présidents sont devenus les « copains » des chanceliers, ce qui n’a pas empêché ces derniers de n’en faire qu’à leur tête: Schmidt a relancé l’Europe de l’Ouest dans la Guerre froide malgré la sagesse de Giscard. Malgré la poignée de main de Verdun, en 1984, Kohl a surtout agi sur des impulsions, bien peu « franco-allemandes » derrière les professions de foi: il a imposé son mode de réunification ou sa vision du conflit yougoslave, malgré les gages d’européisme que ne cessait de donner Mitterrand. Emmanuel Macron est en train de faire la même expérience avec Angela Merkel. Il tend la main et elle le fait attendre; elle ne fait pas de l’entente prioritaire avec la France un sine qua non de l’accord de coalition  gouvernementale qu’elle est en train de négocier avec les libéraux et les Verts. Je crains que Macron ne répète les erreurs de Mitterrand: beaucoup de démonstrations d’amitié un 11 novembre, comme à Verdun voici 34 ans, mais peu de bénéfices politiques ou économiques en retour. 

Quelles ont été les erreurs commises par le passé? En dépassant une question économique qui paralyse les dirigeants français, comment expliquer un tel déséquilibre politique au sein du couple?

Première erreur: Giscard n’a pas retenu les leçons de la séquence 1963-1974. Le Bundestag avait ajouté un préambule atlantiste au Traité de l’Elysée, qui le vidait de son sens; de Gaulle, après 1963, prend ses distances, contrairement à ce que dit la légende et il esquisse un rapprochement avec la Grande-Bretagne que Pompidou parachève en 1973, avec l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun.. A partir de Giscard, on dilapide la carte britannique: pourtant, en 1989, Margaret Thatcher propose à Mitterrand de bloquer la fuite en avant de Kohl vers une réunification mal conçue. La même erreur se répète régulièrement: Hollande puis Macron ne font rien pour ramener la Grande-Bretagne à la table de négociation afin de rééquilibrer l’Union européenne. Deuxième erreur, qui découle de la première: avoir choisi une politique monétaire à l’allemande, dogmatique et déflationniste, et non pas à l’anglaise, pragmatique et donnant la priorité à la lutte contre le chômage. L’euro est le résultat d’une lente dérive amorcée sous Raymond Barre. Il a donné à l’Allemagne une véritable rente de situation en Europe qui est à la fin délétère pour le continent. Troisième erreur: avec des bons sentiments, on fait de la mauvaise politique. Il serait temps de se rappeler la célèbre formule de Palmerston: « Nous n’avons pas d’ennemi héréditaire; nous n’avons pas d’allié éternel ». Cela fait longtemps que les relations franco-allemandes sont normalisées et même banalisées. L’Allemagne est un partenaire pour la France; mais ce n’est pas le seul en Europe et, surtout, nous devons empêcher l’Europe de se couper de la Russie; or c’est ce à quoi nous conduit l’Allemagne. Le déséquilibre au sein du partenariat franco-allemand ne vient pas tellement de je ne sais quelle supériorité intrinsèque d’un « modèle allemand » mais d’une série d’abdiccations françaises. Nous avons renoncé à faire valoir nos intérêts et nous ne récoltons que mépris ou indifférence de la part du partenaire allemand. 

Un renouvellement du couple franco-allemand ne devrait il pas justement passer par une reconnaissance commune des interets divergents, notamment d’un point de vue économique? Cette reconnaissance ne pourrait elle pas aboutir à une relation plus constructive?

Oui. Mais arrêtons, pour commencer, de parler du couple franco-allemand. Les Allemands n’utilisent jamais l’expression. L’Allemagne est notre premier partenaire commercial, la maîtresse de notre politique monétaire et la neutralisatrice de notre souveraineté diplomatique et militaire. Il est temps de faire entendre, à nouveau, notre voix. Macron a choisi la voie du fédéralisme européen; eh bien! Il faut aller au bout et, si les Allemands ne suivent pas, il faut en tirer les conséquences et revenir à une politique plus gaullienne. Les Français ne maîtrisent pas l’art de la négociation avec les Allemands: nous devrions pourtant savoir depuis Bismarck que les Allemands sont « euclidiens » en termes de relations diplomatiques; ils pensent que la ligne droite est le plus court chemin entre deux négociateurs. Cela surprend toujours les Français, qui croient toujours qu’il y a un second intérêt, caché, derrière l’annonce d’un premier intérêt par le partenaire de négociation allemand. Les Français croient aussi que les Allemands demandent 80% d’une affaire pour en obtenir 50. Mais non! Les Allemands demandent 80% pour obtenir 80%. Une négociation avec Berlin doit pour cette raison toujours commencer par mettre, en face de l’exigence allemande, la totalité de l’exigence française. Et ensuite, il faut être patient, renvoyer la balle du fond du cours, sans se lasser. Les Allemands pensent toujours qu’ils auront leur partenaire à l’usure. C’est ce qu’Helmut Kohl appelait « aussitzen », « rester assis et attendre »; on surnommait Adenauer, pour des raisons similaires, en caricaturant le surnom de Bismarck, « le chancelier à la vessie de fer »: il n’avait jamais besoin d’écourter ou interrompre une réunion. C’est pourquoi, avec l’Allemagne, il vaut mieux une absence d’accord qu’un mauvais accord. C’est la politique de la chaise vide! Elle a permis à de Gaulle d’obtenir le compromis de Luxembourg oublié par ses successeurs. J’ai bien conscience d’aller contre toutes les idées reçues mais des générations de politiques et de hauts fonctionnaires français se sont laissés bercer par les sentences soporifiques et les voeux pieux qu’égrenait ’Alfred Grosser, rue Saint Guillaume; il serait temps de se remettre à parler de l’Allemagne telle qu’elle est et non telle que nous voudrions qu’elle  soit. 

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