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Dans les tréfonds du Trumpisme : ces étonnantes leçons des élections locales américaines
©JIM WATSON / AFP

Fausse victoire ?

Les démocrates ont remporté les sièges de gouverneurs en Virginie et dans le New Jerse. Une victoire à prendre avec prudence car le score du candidat Ed Gillepsie (Virginie) est en baisse alors que le vote noir et latino-américain est en progression... En bref, les démocrates trinquent mais c'est Trump qui se frotte les mains.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : Alors que les démocrates viennent de remporter les sièges de gouverneurs en Virginie et dans le New Jersey, il est possible de constater certaines évolutions du vote depuis l'élection du 8 novembre 2016, qui avait conduit à la victoire de Donald Trump. Ainsi, et concernant le vote en Virginie, on constate un score inférieur de Ed Gillepsie par rapport à celui de 2016. Cependant, on constate une progression du vote noir (9 à 12%, et de 13 à 17% pour les hommes noirs) et de vote latino (de 30 à 32%) en faveur du candidat républicain (malgré une position minoritaire pour ces deux catégories). Comment expliquer ce qui apparaît comme une situation plutôt contre-intuitive ? 

Jean-Eric Branaa : La victoire de Phil Murphy dans le New Jersey n’est pas réellement significative dans le cadre d’un référendum anti-Trump. En effet, une majorité d’électeur ont exprimé que ce n’est pas ce qui a motivé leur vote. Il faut davantage regarder du côté de la formidable impopularité du gouverneur sortant, Chris Christie, qui a été pris dans plusieurs scandales retentissant à l’échelle de l’Etat. D’ailleurs, il n’y a quasiment pas eu de campagne car tout semblait joué d’avance depuis très longtemps. La comparaison avec le vote de l’année dernière n’est donc pas opportune.

En revanche, concernant le vote en Virginie, le mouvement pro- ou anti-Trump a été une moteur certain et chaque camp a voulu en faire un exemple et une répétition de ce qui pourrait arriver lors du vote de  mi-mandat, en novembre 2018. Alors que le taux de satisfaction de la présidence actuelle ne dépasse pas 40% en Virginie, 34% des électeurs ont rapportés qu’ils avaient voulu exprimer un vote contre Trump et 16% qu’ils voulaient lui signifier leur soutien. La victoire de Ralph Northam est donc célébrée avec une joie non dissimulée par le camp démocrate et Tom Perez, le leader du parti démocrate, a annoncé que « ce n’était que le début d’un mouvement plus puissant, qui reste à venir ». Il n’a pas tort de célébrer cette victoire, d’autant qu’elle est complétée par un mouvement général à l’échelle de la nation, qui va dans un même sens dans les différents Etats qui ont eu une élection locale ce mardi, notamment dans les assemblées des Etats ou les mairies.

En regardant les chiffres de plus près, on constate pourtant que la satisfaction des démocrates devrait rester prudente. Car si Ed Gillepsie enregistre un score inférieur par rapport à celui qui a été réalisé par Donald Trump de 2016, cette baisse reste très limitée, à peine 2% quand on compare le vote exprimé par les hommes (50% en faveur de Gillespie vs. 52% en faveur de Trump en 2016). Pour les femmes, les scores obtenus sont rigoureusement identiques (39% dans les deux cas). Une étude plus fine encore permet de mettre en évidence qu’Ed Gillespie a perdu à cause du vote des femmes et des jeunes millenials –les moins de 30 ans–, deux catégories pour lesquelles il ne retrouvent pas le vote de l’année passée.

Gillespie a gagné très largement le vote des évangéliques et des ouvriers blancs. Les blancs, qui forment 67% des corps électoral en Virginie ont soutenu Gilespie par une différence de plus de 15% C’est donc le vote des minorités qui a fait la différence en faveur de Northam. Cependant, on constate aussi une progression du vote noir en sa faveur, qui passe de 9 à 12%, avec une pointe de 13 à 17% pour les seuls hommes noirs. Il y a également une progression du vote latino dans le camp républicain qui, si elle est très limitée (de 30 à 32%), n’en est pas pour le moins surprenante dans un Etat dont on disait qu’il exprimerait un vote contre « les positions racistes de Trump », après les événements de Charlottesville qui se sont précisément déroulés dans cet Etat en août dernier.

En réalité, c’est la question de la santé qui a motivé les électeurs et qu’ils ont placée au premier plan de leurs préoccupations. Cette réponse formulée par les électeurs de Virginie se retrouvent dans de nombreux Etats et apporte un début d’explication quant à l’érosion subit par le parti républicain. La seconde question qui a motivé le vote est celle des armes : on avait déjà observé que la fusillade de Las Vegas avait eu un effet immédiat sur les intentions de vote dans cet Etat, où le débat a été très vif sur cette question. La fusillade de Sutherland Spring à quelques jours du scrutin a donc fortement pesé. Enfin les électeurs ont indiqué avoir aussi voté, dans une mesure moindre, pour les questions d’immigrations, de réforme des impôts et de l’avortement.

Faut-il voir dans ces chiffres une forme de confirmation que les électeurs peuvent accepter les "excès" de Donald Trump parce que ceux-ci ne sont pas jugés prioritaires par rapport à leurs demandes ? Comment illustrer ce phénomène ? 

Ces chiffres apportent un premier enseignement qui confirme que la base de Donald Trump lui reste acquise et qu’elle est fidèle. Les excès de Donald Trump ne sont pas jugés comme tels par ces électeurs et ils estiment que le contrat est rempli par le locataire de la Maison-Blanche, et ils le font savoir en se portant massivement sur le nom de celui qui le représente dans ce scrutin. Leurs préoccupations sont en effet ailleurs que dans la vie tumultueuse de Washington DC et le bruit qui résonne dans la capitale fédérale ne semble pas les atteindre. Ils ne manifestent en tout cas pas une impatience démesurée ou un rejet, comme cela avait pu être annoncé. Le fait qu’il conserve cette base quasiment à l’identique peut laisser penser qu’il n’est pas dans une mauvaise posture en cas de réélection, et c’est bien ce point qui peut inquiéter les démocrates.

En revanche, ce scrutin marque aussi une polarisation encore pus forte de l’électorat et un mouvement des indépendants en direction de la gauche américaine, du moins dans cet échantillon que représente la Virginie. Il faudra observer dans les scrutins futurs si ce mouvement se poursuivra. C’est une lueur d’espoir pour les démocrates, et un danger potentiel pour Donald Trump et son camp si cela devait se confirmer.

La participation est une donnée qui est également très importante, puisque la gauche américaine a réussi à mobiliser  plus que de coutume : leur participation était de 28%  du total des vote cette fois-ci, un chiffre faible mais qui est à comparer au 18% de 2009 et au 20% de 2013. En 2016, pour la présidentielle, la participation avait été de 26% du vote total. Le vote féminin a fait la différence, Northam remportant 60% de la totalité du vote des femmes, et celui des jeunes de moins de 30 ans qui ont voté à 67% pour le candidat démocrate.

Cette mobilisation a été obtenue à la suite d’une campagne d’opposition systématique de la part du camp démocrate envers le camp républicain, et contre le président. Reste à savoir si la poursuite d’une telle campagne va produire les mêmes effets en 2018. Les victoires de ce mardi ne semble pas suffisamment solide pour l’affirmer.

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