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Pourquoi un bon nombre de patients atteints d’un cancer de la prostate se porteraient mieux en n’étant pas diagnostiqués
©Reuters

En fait...

La plupart des spécialistes sont aujourd’hui d’accord sur le fait qu’il faut surveiller activement, mais sans traiter systématiquement les cancers localisés et non invasifs de la prostate.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : En 2016, Freddie Hamdy (Oxford) affirmait à l'issue d'une longue enquête de 10 ans que les traitements actuels proposés contre le cancer de la prostate ne seraient pas toujours adaptés, voire pourraient être néfastes dans le cas d'un début de cancer. Qu'est-ce qui explique cette inadéquation des traitements avec le cancer de la prostate ? Quels sont les risques "comparatifs" du traitement par rapport au mal lui même ?

Stéphane Gayet : Alors que l’espérance de vie augmente continuellement dans les pays occidentaux, du fait de l’amélioration de nos conditions d’existence, des mesures préventives vis-à-vis des maladies cardiovasculaires – diététique, exercice physique, dépistage précoce – et de celles vis-à-vis des accidents de la vie (professionnels, de la voie publique, de sport, domestiques…), sans oublier celles vis-à-vis des maladies infectieuses graves, le cancer reste une hantise pour beaucoup de personnes. Il est l’une des premières causes de mortalité. Car la particularité du cancer, c’est son évolution spontanément inéluctable dès l’instant où il a atteint le stade dit invasif. Lorsqu’un cancer, quel qu’il soit atteint ce stade invasif, cela signifie que les mécanismes naturels de défense que tout un chacun possède contre le développement des cancers ont été dépassés. Le cancer est redouté pour cette raison. Il l’est aussi parce qu’il est perçu comme une maladie douloureuse et invalidante, ainsi que comme une maladie dont le traitement est lourd, agressif, pénible et dégradant.

Malgré tous les progrès accomplis en cancérologie, le cancer garde encore l’image d’une maladie peu curable et donc souvent mortelle. Les cancers des cellules sanguines ou hémopathies malignes sont tout à fait à part. Concernant les cancers dits solides, c’est-à-dire les cancers d’organe, les deux axes principaux de la lutte qui est menée contre eux sont la prévention primaire et la détection précoce. Sur le plan de la prévention dite primaire, la fumée de tabac et l’alcool sont deux facteurs majeurs de cancérogenèse. S’y sont ajoutés ces dernières années tous les polluants chimiques de notre alimentation et de notre environnement dont le rôle semble grandissant. Il faut encore mentionner selon toute vraisemblance les rayonnements électromagnétiques. Mais force est de reconnaître que la prévention par le mode de vie fait bien plus d’adeptes en paroles qu’en actes. Au sujet du cancer de la prostate, on sait à présent que l’inactivité sexuelle le favorise et c’est pourquoi l’on recommande d’éjaculer du sperme régulièrement, au moins 15 à 20 fois par mois, que ce soit par coït ou par onanisme. Les religions qui condamnent ce dernier devraient revoir leur copie.

Mais la prévention par l’hygiène de vie a ses limites ; d’où les espoirs considérables que l’on a mis dans la détection précoce des cancers. Il faut distinguer le dépistage de masse qui consiste à faire un examen biologique non invasif – ne nécessitant pas d’acte médical agressif ou pénétrant – à une population de personnes considérées comme à risque en raison essentiellement de leur âge, de la détection précoce qui est la découverte d’un petit cancer débutant à l’occasion d’un signe clinique ou d’un examen pratiqué en raison de telle ou telle manifestation anormale. Les exemples les plus typiques de dépistage systématique sont le test sur les matières fécales à la recherche de traces microscopiques de sang, le frottis du col de l’utérus à la recherche de cellules dysplasiques ou anormales et le dosage dans le sang de l’antigène prostatique spécifique ou APS (en anglais : PSA). Le premier recherche une lésion précancéreuse du côlon ou du rectum, le second du col utérin et le troisième de la prostate. Car ce sont trois cancers très fréquents et accessibles au dépistage. Cependant, si les deux premiers sont performants et débouchent sur une attitude thérapeutique assez claire, ce n’est pas le cas du troisième.

Or, le diagnostic dit positif du cancer de la prostate n’est pas facile au début de son évolution. Premièrement, l’APS ou PSA est également élevé dans le sang en cas d’hyperplasie bénigne de la prostate souvent appelée adénome prostatique. Deuxièmement, le diagnostic positif du cancer prostatique nécessite la réalisation de biopsies (prélèvements minuscules) multiples de la prostate. Elles se pratiquent à l’aide d’une aiguille et exposent à des complications (blessure, hématome, douleur, infection…). Troisièmement, l’interprétation des biopsies est elle-même délicate : il s’agit d’affirmer le cancer et, si c’est le cas, d’évaluer son potentiel invasif et métastatique ; or, il existe de nombreux cas où l’anatomopathologiste (le médecin qui examine les biopsies au microscope) a du mal à se prononcer avec certitude et précision. Car l’évolutivité du cancer prostatique est extrêmement variable d’un cancer à l’autre. Certains cancers vont rapidement envahir et détruire les tissus avoisinants, puis donner des métastases à distance (dans les os, les poumons…) : ce sont les formes graves ou agressives qu’il faut traiter vite et fort (idéalement : prostatectomie ou extraction chirurgicale de la prostate). D’autres à l’opposé vont évoluer au contraire très lentement sans donner de dommages significatifs (bien sûr en l’absence de traitement). Il existe en quelque sorte tout un gradient de malignité du cancer prostatique. Depuis que l’on préconise le dépistage par le dosage de l’APS ou PSA dès l’âge de 50 ans, on trouve énormément de cancers de la prostate à des hommes qui ne se plaignent de rien. Pour les raisons que nous avons vues, beaucoup d’hommes ont été traités par excès, c’est-à-dire qu’ils ont été l’objet d’un traitement lourd de conséquences, alors que leur cancer n’aurait évolué que très lentement et aurait pu les accompagner sans bruit ou presque jusqu’à la fin de leurs jours. Voilà le constat. Mais trouver le juste équilibre n’est vraiment pas chose facile. Quoi qu’il en soit, la plupart des spécialistes sont aujourd’hui d’accord sur le fait qu’il faut surveiller activement, mais sans traiter systématiquement les cancers localisés et non invasifs de la prostate. On a cru bien faire et on a souvent trop fait.

Quels autres cancers peuvent être concernés par cette situation ?

Le problème posé par le cancer de la thyroïde est proche de celui posé par le cancer prostatique. De la même façon que l’on ose parler aujourd’hui de surdiagnostic et de surtraitement du cancer de la prostate du fait du dépistage de masse, on ose également parler de surdiagnostic et de surtraitement du cancer de la thyroïde. La fréquence de ce dernier est sans commune mesure avec celle de celui de la prostate. On diagnostique chaque année en France un peu plus de 8000 cancers de la thyroïde – contre plus de 70 000 cancers prostatiques et qui ne touchent pourtant que les hommes - et le nombre annuel de décès est très inférieur à 500. C’est en effet un cancer souvent peu agressif, dont l’évolution est lente. Or, on constate depuis plusieurs années une importante augmentation de nombre de cancers thyroïdiens et au contraire une diminution du nombre de décès liés à ce cancer.

On en est arrivé à conclure à un phénomène de surdiagnostic du cancer thyroïdien. La définition du surdiagnostic est la suivante : un cancer surdiagnostiqué est un cancer détecté à un stade asymptomatique – c’est-à-dire non perceptible par la personne atteinte - qui ne serait jamais devenu symptomatique du vivant de la personne et donc n’aurait pas provoqué son décès. Il s’agit en quelque sorte d’un phénomène semblable à celui qui existe avec le cancer prostatique. Nous disposons en effet d’un arsenal performant de méthodes diagnostiques qui, comme avec le cancer de la prostate, permettent de détecter un petit cancer à peine débutant. Toujours est-il que les spécialistes affirment qu’aujourd’hui, en France, un très grand nombre de diagnostics de cancer de la thyroïde sont des surdiagnostics : les personnes concernées ont donc reçu un traitement inapproprié et même inutile ; elles ont été ensuite inutilement soumises à vie à un traitement substitutif par hormone thyroïdienne (d’où le très grand nombre de personnes prenant du Levothyrox, sujet d’actualité).

Dès lors, comment expliquer ce qui pourrait être assimilé à une surmédicalisation ? Faut il y voir une responsabilité du corps médical, ou faut il également y voir une volonté des patients ?

Cette prise en charge médicale et chirurgicale excessive de certains petits cancers à leur tout début - qui est reconnue par les spécialistes pour la prostate et la thyroïde - est essentiellement liée à la volonté de guérir ces cancers, tant de la part des médecins que bien sûr de celle des patients. Or, la possibilité de guérir un cancer est maximale quand il est encore localisé, qu’il n’a pas proliféré en dehors de la glande au sein de laquelle il s’est développé. Bien sûr, on l’aura compris, le remède peut alors dans certains cas être pire que le mal ; mais ce n’est que rétrospectivement que l’on peut l’affirmer. La prise en charge médicale et chirurgicale d’un cancer relève en réalité de la gestion de risque. Si l’on ne fait rien en présence d’un petit cancer à son tout début et qu’il s’avère ensuite agressif, on aura sous-estimé le risque et la personne concernée en pâtira dramatiquement. Au contraire, si l’on traite lourdement et radicalement un petit cancer débutant qui n’aurait pas été agressif, on aura surestimé le risque et la personne concernée aura pour le restant de ses jours des séquelles définitives et inutiles liées à ce traitement excessif.

C’est finalement une question d’estimation du risque et de responsabilité. Aujourd’hui, la profession de médecin est celle qu’il est le plus facile d’attaquer. Les dépôts de plainte pour affaire médicale ou chirurgicale sont devenus vraiment nombreux et il devient assez fréquent de voir des médecins condamnés. Or, jusqu’à présent, il reste encore difficile d’attaquer un médecin ou un chirurgien pour un surtraitement de cancer. Déjà parce que le patient aura bien du mal à obtenir cette information et que les conséquences en restent souvent d’une gravité acceptable. Ensuite, parce que cela ne vient pas à l’idée du patient auquel on a dit « qu’il avait été sauvé ». Au contraire, il est facile d’attaquer un médecin ou un chirurgien pour un sous traitement de cancer, dont les conséquences sont en général particulièrement graves. C’est donc vraiment en ces termes que se situe le dilemme devant un cancer localisé et à son tout début. Il est clair que bien des progrès restent à faire, surtout sur le plan histopathologique (étude microscopique morphologique et immunologique des petits cancers débutants).

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