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Canal de Panama, emprunts russes, Ponzi et autres Marthe Hanau : comment l’épargne publique a été pillée au début du capitalisme
©Reuters

Bonnes feuilles

L’argent semble aujourd’hui mener le monde et le plier à sa loi ; est-il devenu un danger pour l’équilibre de nos sociétés, une menace pour la démocratie ? Est-il responsable des crises économiques, coupable de la fraude et de la corruption, néfaste et incontrôlable ? Extrait du livre "Le procès de l'argent" de Frédéric Peltier aux éditions Albin Michel (2/2).

Frédéric Peltier

Frédéric Peltier

Docteur en droit reconnu comme l’un des plus éminents spécialistes du droit financier en France, Frédéric Peltier a été sollicité dans les grands dossiers des dernières années (EADS, Altran, Libor, etc.). Auteur de plusieurs ouvrages juridiques, il est expert du Club des Juristes et fondateur d'un cabinet d’avocats considéré aujourd’hui comme l’un des meilleurs en matière de contentieux financier.

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Le XIXe siècle n’a pas manqué pas de scandales financiers, mais c’est à partir de l’affaire du canal de Panama que l’on entre de plain- pied dans les grandes affaires de l’ère capitaliste.

La toute jeune IIIe République a été confrontée au scandale de la concession du canal confiée à la France sous la direction de Ferdinand de Lesseps qui fait appel à l’épargne publique. Le publi- rédactionnel financier s’invite dans la presse. On vante les mérites du projet et les perspectives de rendement en pleines pages dans les journaux. Mais En 1889, malgré l’aspiration massive des économies de nombreux épargnants pour renflouer les caisses de la compagnie, c’est la faillite et la liquidation. Le ministre des Travaux publics de l’époque, Charles Baïhaut, sera condamné à cinq ans de prison pour corruption, peine rapidement amnistiée, toutefois.

À la même époque, les épargnants français sont toujours autant sollicités pour souscrire des emprunts russes. L’affaire avait commencé en 1870. La défaite contre l’Allemagne et la volonté de récupérer l’Alsace- Lorraine a incité les gouvernements français successifs à se rapprocher de la Russie en encourageant les épargnants français à soutenir le financement du tsar pour combattre les Empires centraux, la Triplice. On a donc entendu, jusqu’à la Première Guerre mondiale, que prêter à la Russie, c’était un peu prêter à la France. Pendant plus d’un quart de siècle, les épargnants français ont été encouragés à financer le développement de la Russie. Près d’un tiers de l’épargne française est allé vers des emprunts russes, ce qui correspond à environ 3,5 % du PNB de la France de l’époque.

Les ménages français vont apprendre à leurs dépens ce que signifie un oukase. Les révolutionnaires de 1917 n’ont cure du droit de créance de ceux qu’ils considèrent comme des rentiers. Le 29 décembre 1917, un simple décret des bolcheviks répudie unilatéralement l’intégralité des dettes de l’empire. Malgré la répudiation, les cours boursiers des emprunts russes demeurèrent relativement élevés pendant trois années. Les investisseurs espéraient une reprise partielle de la dette par l’État français qui l’avait déjà fait pour la dette mexicaine, car il avait considéré être responsable de son placement auprès du public. Il n’en ira pas de même pour la dette russe qui avait été placée sous la bienveillance de la France, mais grâce à une propagande financière organisée par l’emprunteur lui-même.

Après la répudiation de cette dette colossale, des enquêtes ont révélé que le gouvernement tsariste avait mis en place une véritable organisation de corruption de la presse française, avec des intermédiaires rémunérés, des comptes en banque secrets et des représentants quasi officiels sur le sol français. Parmi eux, Arthur Raffalovitch, représentant du ministère des Finances russe à Paris. L’enquête établira qu’il avait distribué beaucoup d’argent, entre 1900 et 1914, à de nombreux titres de la presse parisienne, de manière à assurer le succès du placement des emprunts russes dans le grand public. On découvrira que dans une lettre adressée le 2 novembre 1904 au ministre des Finances russe, il rendait compte : « J’ai l’honneur de remettre à Votre Excellence les chèques payés par l’agent Lenoir pour le concours donné par la presse française durant le mois de septembre. J’y joins une sorte de clef, c’est-à- dire le numéro du chèque en face du journal qui a touché. »

Il n’est pas encore certain que l’épilogue des emprunts russes soit achevé. En 1999, le ministère des Finances a recensé 316 219 porteurs français d’emprunts russes, représentant près de 9 millions de coupures. Une part d’entre eux n’a jamais cessé de réclamer régulièrement une indemnisation.

Au niveau des États, les gouvernements russe et français ont négocié un accord aux termes duquel chacun s’engage à ne plus présenter à l’autre ses créances nées avant 1945, et à ne plus soutenir devant l’autre les créances de ses ressortissants nées avant cette même date.

Cet accord s’est accompagné du versement par la Russie à la France d’une somme qui représenterait moins de 1 % de la valeur actualisée de la dette, qui serait estimée à plus de 40 milliards de dollars.

La France a donc décidé de passer par perte et profits la manne des épargnants français versée à la Russie. Mais cet accord entre États n’éteint cependant pas les velléités des porteurs qui continuent à se battre. L’association AFPER mène toujours des actions devant les juridictions françaises en vue de recouvrer la créance de ses porteurs, notamment par des tentatives de saisie de biens russes situés en France. Des biens immobiliers comme la cathédrale Saint- Nicolas de Nice, dont la propriété a été rendue à l’État russe par un jugement du 20 janvier 2009, ou des oeuvres d’art, comme les tableaux prêtés par le musée de l’Ermitage de Saint- Pétersbourg, ont fait l’objet de procédures de saisie qui ont défrayé la chronique.

Cette affaire des emprunts russes demeure en France le symbole de la ruine des épargnants.

Aux États- Unis, en 1919, ça n’est pas l’affaire Raffalovitch et les emprunts russes qui faisaient la une des scandales financiers, c’était l’escroquerie imaginée par un dénommé Charles Ponzi. Il s’est fait connaître pour la construction d’une pyramide, qui contrairement à celles de Gizeh, n’entrera pas dans le club fermé des merveilles du monde. Ponzi, au travers de la Security Exchange Company, qui, elle aussi, fera une campagne de presse soignée, promettait un retour sur investissement en un temps record, moins de deux mois, avec un rendement exceptionnel, le double de la mise. Très vite on s’est bousculé pour se procurer ces fameux bons. En six mois, 40 000 personnes ont participé à cette spirale vers le dépouillement. Le système qui promettait un tel miracle ne pouvait qu’exploser. Ponzi trichait. Il rémunérait les premiers investisseurs avec les dépôts des suivants. Aucun placement financier, même les plus spéculatifs, ne permet de gagner autant d’argent et si vite.

La France a aussi connu ce type de pilleur de l’épargne, à la même époque que Ponzi. C’était une femme qui sévissait, Marthe Hanau. L’opacité totale de ses opérations financières, l’inextricable réseau de sociétés qu’elle a montées et qui a fi ni par placer pas moins de 170 millions de francs d’obligations auprès des investisseurs, vont conduire à sa chute et à la spoliation des épargnants qu’elle avait séduits en étant une exception féminine, dans un monde de la finance exclusivement masculin.

Extrait du livre "Le procès de l'argent" de Frédéric Peltier aux éditions Albin Michel

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