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Macron, Castaner, la République en Marche et le flou d'un parti pensé comme une marque
©Dimitar DILKOFF / AFP

Pas clair

La situation de La République en Marche est paradoxale, avec d'un côté parti qui reste à l'état gazeux et, de l'autre, la vision verticale d'Emmanuel Macron. La dynamique d'En Marche n'en fait pas une vision du monde.

Erik Neveu

Erik Neveu

Erik Neveu est un sociologue et politiste français, professeur des universités agrégé en science politique et enseigne à Sciences Po Rennes.

Il est l'auteur de l'ouvrage "Sociologie politique des problèmes publiques".

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Atlantico : Dans quelle mesure peut on estimer qu'il existe un paradoxe entre le pouvoir incarné par Emmanuel Macron et la République en Marche ? Entre un parti dont les membres, sur le modèle de Christophe Castaner qui a pu être régulièrment pris en défaut entre ses positions de l'année 2016 et celles de 2017​, suivent le Président, mais tout en affichant un réel flou sur les positions défendues et sur la notion même de changement, et un président qui s'inscrit effectivement dans la verticalité en assumant une vision du monde tranchée, un décalage apparaît. Quel est l'ampleur de ce décalage ?

Erik Neveu : Le président a une vision de la politique qui revendique quelques choix nets : renforcer l'Union européenne, réduire une série de protections sociales qu'il tient pour facteur de rigidité, appuyer fiscalement les détenteurs de capitaux qu'il juge capables de recréer de l'emploi. La mise en œuvre de ces choix est tranchée en effet sur la réforme du code du travail, la fiscalité, plus molle quand pour éviter la mobilisation des routiers on leur préserve les accords de branche, plus imprécise sur l'éducation où l’habilité du ministre a adresser de signes rassurants aux parents ne fait pas encore une politique. Le gouvernement est il dans le flou ? Il y a matière en effet au sourire, ou au haut le cœur, quand on voit les formules assassines que certains de ses ministres d'aujourd'hui (Bruno Lemaire serait un autre cas) distillaient sur le Président en début d'année. Mais une des règles pratiques du jeu politique n'est elle pas de taper très fort sur ceux qui vous sont proches car c'est « votre » électorat qu'ils menacent ?

Au delà de ces inconséquences, même s'ils viennent du PS ou des Républicains, les ministres de l'actuel gouvernement étaient inscrits dans un espace politique où les convergences avec la politique mise aujourd'hui en œuvre l'emportent sur les divergences. Il faut aussi prendre en compte le fait que, quelque soient leurs possibles frustrations, les ralliés ont brûlés leur vaisseaux. Ils ne seraient pas accueillis à bras ouverts s'ils faisaient retour aux Républicains ou chez des socialistes d'autant moins attractifs qu'ils sont condamnée à une longue cure d'opposition. Les ralliés ne peuvent exister politiquement que dans le gouvernement, et la remarque vaut plus encore pour les ministres dont la seule identité politique est « En marche ». Le maillon faible pourrait être Nicolas Hulot dont on se demande combien de temps il sera capable de sublimer des capitulations (les perturbateurs endocriniens) ou des renoncements (le Glyphosphate, la remise à plat du traité CETA) en signes d'avancées de la cause  écologique.

Si En Marche a pu être décisif lors de l'élection présidentielle, le décalage entre le président et le mouvement ne peut il pas devenir un handicap pour Emmanuel Macron ? 

Peut-on dès maintenant parler de "décalage" ? Ce qui reste le plus marquant à ce jour tient davantage à une relative discipline du groupe parlementaire. Des fissures existent, comme a pu le montrer le 22 octobre dernier l'appel de 54 députes "En marche" pour une élimination rapide et complète de l’herbicide glyphosphate. Mais sur les textes stratégiques (habilitation des ordonnances, intégration de dispositions liées à l'Etat d'urgence dans le droit commun) la majorité n'a pas fait défaut. La force et la faiblesse d' "En marche" sont celles de toute force politique nouvelle : agglomérer sur une "marque" des engagements, des personnes, des votes aux motivations diverses. 

La question est alors celle des ressources dont peuvent disposer les parlementaires pour organiser éventuellement une fronde. Notons d'abord que le mot sonne suspect quand l’échec de Hollande est – bien à tort- expliqué par la dissidence d'une partie de sa majorité. Les marges d'autonomie de certains élus, adoubés et littéralement inventés par le mouvement sont nulles. On se souvient de ces images stupéfiantes de candidats et candidates incapables de faire mieux dans des débats qu'annoner quelques engagements de campagne, ou fuyant la discussion avec leurs adversaires sur des marchés. Tout comme au sein de l'équipe ministérielle, les députés recyclés, passés par le PS ou les Républicains, n'ont guère de base de repli. D'autres élus, liés en particulier au monde des entreprises, seront avant tout attentifs aux politiques économiques et n'ont pas motif de faire défaut à court terme. La majorité est elle solide comme le roc ? Si tel était le cas il n'y aurait pas besoin de « séminaires » à répétition pour la souder. Elle demeure pour l'instant disciplinée. Des néophytes de la politique pourront déchanter demain, des élus être déçus par le traitement d'enjeux qu'ils avaient comme priorité. Mais avec 313 élus En marche et 47 Modem, il faudra à la fois l'érosion du temps et des crispations sur des enjeux majeurs pour que les dynamiques centrifuges puissent faire vaciller une majorité dont l’exécutif attend plus les votes que la cohérence.

Comment expliquer ce flou de la République en Marche, et cette incapacité à suivre de façon coordonnée les positions du chef de l'Etat ?  Qu'est ce que cette situation révèle du mouvement lui même ?

Il y a certainement un flou, mais il faut redire qu'il n'est pas à ce stade une menace (Les Républicains ou les Socialistes étaient-ils si cohérents dans la précédente législature?). Il reste une singularité de ce flou. Il tient à ce que, même si les élus intègrent nombre de « recyclés » d'engagements politiques antérieurs, « En marche » a effectivement renouvelé le profil des élus : plus jeunes, plus liés au monde de l'entreprise privée, comparativement moins inscrits dans des trajectoires déjà anciennes de professionnels du politique...et ayant donc moins du « métier », des réflexes et disciplines intériorisées qui font serrer les rangs. Le flou peut aussi être le prix de se revendiquer comme « mouvement » et non parti. Le « mouvement » suggère la fluidité, la mobilité, le refus de s'enfermer dans une doctrine ou un formalisme d'institution. La mise en place du mouvement revèle que cela n'exclut pas dans les faits beaucoup de verticalité dans le pilotage, mais cette réticence à créer une organisation pyramidale, soudée par une credo programmatique à pour contrepartie logique du flou.

Un politiste du début du siècle dernier, Ostrogorsky, avait inventé la distinction entre les partis "omnibus" (ils ont un programme qui répond à tous les problèmes) et des partis "ad hoc" (ils se fixent sur un enjeu : écologie, autonomie régionale). Ne peut-on dire qu' En marche a beaucoup d'élus ad-hoc, motivés par un enjeu (cadre juridique et fiscal offert aux entreprises, convergence européenne)... et donc sans opinions totalement arrêtées sur une foule d'autres sujets ? Si l'on ajoute que dans le solide bataillon des recyclés, élus ou candidats hier sous d'autres bannières, la première croyance peut-être celle en sa capacité à faire carrière, on repère quelques variables de l'équation du flou.

Le Président Macron aurait lancé une "traque" pour découvrir une "taupe" qui aurait fait sortir des informations confidentielles données par le Président lors de "conseils restreints". Ce genre de comportement ne le rapproche-t-il pas plus de Donald Trump ou de Nicolas Sarkozy que de l'éthique participative et démocratique qu'il avait insufflée dans En Marche ?

S'il y a une taupe ou le soupçon de la présence d'une taupe, il est assez logique que l'équipe Elyséenne tente de l'identifier et de l'éliminer. Aucun responsable d'entreprise, de collectif ou d'organisation n'accepterait que le détail de discussions confidentielles se répande de façon incontrôlée dans les heures qui suivent la délibération. Que le Président s'emploie à protéger le secret de délibérations confidentielles est en soi très logique. La vraie question est plus, si une "traque" existe: comment se déroule t-elle. Est ce qu'elle respecte les droits garantis à la presse, est ce qu'elle se développe avec les armes (puissantes) que donne le droit? Souvenons nous que Bernard Squarcini, l'ancien patron de la DGSI a été condamné en 2014 pour avoir illégalement obtenu des relevés des communications téléphoniques de journalistes du "Monde". En démocratie, même ce qu'on peut appeler une légitime défiance contre les indiscrétions doit passer par le respect du droit . A ce titre l'avalanche des lois "antiterroristes", la banalisation des règles qui étaient hier celles de l'etat d'exception sont inquiétantes parce qu'elles transforment en droit, en pratique banale, ce qui était hier interdit ou bien plus encadré pour protéger nos libertés. "Nos" libertés: celle des journalistes, celle du droit à la vie privée pour le citoyen ordinaire, de la liberté d'action sans surveillance pour celles et ceux engagés dans l'action civique, associative ou politique.

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