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L’identité, ce cache-sexe idéologique qui masque opportunément LA véritable question piège pour LR
©BORIS HORVAT / AFP

Ligne

Laurent Wauquiez place les questions identitaires au cœur de sa stratégie, nombre de commentateurs se focalisent eux sur la droitisation du parti mais la question à trancher est autre : la droite est-elle encore libérale économiquement ?

Maxime  Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l'immigration, l'intégration des populations d'origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l'intérieur.

Il commente l'actualité sur son blog  personnel

 

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Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : Laurent Wauquiez lançait sa campagne pour la présidence des LR, ce 25 octobre à Mandelieu, notamment au travers d'un discours qui a pu être qualifié "d'identitaire". Cependant, cette thématique identitaire n'est elle pas un voile qui tend à masquer la difficulté des LR à trancher réellement​ la question économique ? En quoi le flou entourant ​cette question économique​, laissant supposer que la droite serait naturellement libérale (ce qui n'est pas aussi évident) ​permet-il à Laurent Wauquiez de ne pas avoir à trancher entre une droite libérale ou non libérale ?

Maxime Tandonnet : Cette question du libéralisme économique est en effet au centre du malaise chez les Républicains. La posture a en effet été largement préemptée par le président Macron et son mouvement LREM à travers l’opération des « ordonnances ». D’où l’embarras des Républicains sur cette question. Le libéralisme économique n’est pas forcément populaire en France. Alors que faire ? Les mesures prises par le pouvoir, même si elles vont dans le bon sens pour les entreprises, n’ont en vérité rien de révolutionnaire : elles ne touchent pas aux 35 heures, ni aux seuils, ni au contrat de travail, ni au retraites, ni même aux charges des entreprises.  Cependant, elles passent pour ultralibérales dans l’opinion. L’opposition de droite se trouve donc piégée : elle ne veut pas les approuver et donner ainsi un quitus au gouvernement. Elle ne peut pas non plus proposer des réformes plus ambitieuses, par exemple sur les 35 heures, car alors elle apparaitrait comme étant dans une logique de fuite en avant ultralibérale et se condamnerait à un rejet par l’opinion. Dès lors, le choix qui est fait est de parler d’autre chose, en effet des questions de société, l’immigration, l’identité, l’Europe, la sécurité.

Chloé Morin : A priori, le flou entretenu par Laurent Wauquiez sur sa ligne économique peut s’expliquer par des raisons conjoncturelles. Il tient d’abord à ce que, pour beaucoup d’électeurs républicains, la ligne économique « traditionnelle » de la droite est exactement celle que suit le gouvernement. Rappelons que l’exécutif a effectué une spectaculaire remontée dans l’électorat de droite depuis le mois d’août, car ce dernier se reconnait dans certaines des réformes lancées - notamment la réforme du marché du travail, la réforme de l’ISF, ou encore la priorité donnée à la baisse des dépenses publiques. Ce parti dont le candidat aux dernières présidentielles avait fait de sa radicalité économique un des principaux marqueurs de la politique qu’il entendait conduire, se trouve privé d’un de ses principaux thèmes de campagne de ces dernières années: la dénonciation d’une gauche crispée sur ses acquis, incapable de mener « les réformes courageuses » indispensables à la survie du pays. Les contorsions des ténors LR dans le débat budgétaire montrent que Wauquiez a probablement raison d’éviter la question à court terme: entre le jusqu’au-boutisme sur la réforme de l’ISF, et la contestation de la baisse des APL ou des emplois aidés, on voit bien que la droite peine à trouver un positionnement cohérent. 

Pour Laurent Wauquiez, qui sait qu’il est toujours plus simple de se poser en s’opposant, il est donc probablement préférable d’éviter la question, plutôt que de devoir distribuer des bons points au gouvernement ou s’enfermer dans un discours incohérent. Sans doute Laurent Wauquiez parie-t-il sur le fait que le Président reviendra immanquablement à une politique plus « sociale » et « de gauche » à un moment donné, pour coller aux attentes d’électeurs qui viennent majoritairement des rangs de la gauche, et qu’à ce moment là la droite retrouvera son espace et sa voix sur les questions économiques. Cela lui permettrait d’éviter un lourd exercice de reconfiguration idéologique, et de trancher entre une ligne économique libérale et une ligne plus protectionniste. 

Ajoutons que la difficulté à parler économie ne vient pas uniquement d’une hésitation stratégique, mais aussi d’un bilan qui n’a toujours pas été purgé et continue d’enfermer LR plus de cinq ans après leur exercice du pouvoir. Je suis toujours frappée de constater que souvent, quand les ténors de la droite affichent leur réformisme économique, de nombreux français - y compris de droite - leur renvoient encore la question : « pourquoi le feriez-vous cette fois, alors que vous auriez pu le faire quand vous aviez les clef? ». Cela explique que le slogan « tout dire avant, pour tout faire après » ait été tant répété par la droite pendant la campagne présidentielle. Wauquiez ne veut sans doute pas être ramené à ce reproche là. Et ce, d’autant moins que le contraste avec Emmanuel Macron ne joue pas du tout à son avantage: rappelons que les premières raisons invoquées par les français qui se déclarent satisfaits du Président est « qu’il fait ce qu’il dit » et « agit vraiment, fait bouger les choses »...

Mais le refus de la droite à trancher la ligne économique ne tient pas uniquement à ses difficultés à se positionner vis à vis d’Emmanuel Macron et à surmonter la question du « pourquoi ne l’avez vous pas fait quand vous le pouviez? ». Il reflète à mon sens une vraie hésitation stratégique, un problème structurel pour la droite. D’abord, parce que son électorat  n’est pas unanimement acquis aux thèses libérales. Ensuite, parce que ce libéralisme combiné à une ligne « identitaire » engendre de graves problèmes de cohérence idéologique.

Entre les deux courants, libéral ou non libéral, ​quelles sont les forces en présence au sein même du parti et de ses électeurs ? Quels sont les rapports de force entre ces deux visions ?

Maxime Tandonnet : Je ne pense pas que les choses soit aussi tranchées. L’opposition de droite dans son ensemble est pour la liberté d’entreprise, le marché, la concurrence. Cependant il y a bien deux courants distincts : un est plus Européen, pour la libre concurrence, l’ouverture des frontières et l’autre plus étatiste, protectionniste et en faveur des frontières. Dans le premier cercle se retrouvent une majorité des personnalités dirigeantes du parti tels M. Alain Juppé, Mme Pécresse, M. Bertrand. En revanche, la seconde plus populaire, renouant avec la tradition du RPR, semble avoir les faveurs des militants et des adhérents. M. Wauquiez a choisi de s’appuyer sur cette base. Il faut dire que la frange Européiste/libérale des Républicains est sans doute affaiblie par le phénomène Macron : ses sympathisants se sont ralliés au nouveau pouvoir. La majorité de ceux qui restent aux Républicains sont ancrés ans une tradition RPR : ceux-là ont le vent en poupe dans le parti et le rapport de force est clairement en leur faveur. Cependant, la nouvelle équipe des Républicains doit faire preuve de prudence. Il est essentiel en effet de répondre aux attentes de 70% des Français sur les sujets tels que la nation, la crise migratoire et les frontières. Mais il ne faut pas se caricaturer, au risque de s’enfermer dans une impasse. Les attaques contre les chômeurs, par exemple, sont déplacées. Elles ne peuvent que blesser les millions de gens qui endurent ou qui ont enduré le martyre du désœuvrement, du déclassement social et familial, de la solitude. Il y a là une contradiction : on ne peut pas tenir un discours anti-élite et en même temps, par ce genre de propos, donner l’impression de mépriser la souffrance populaire qui est réelle, pour 5 à 6 millions de personnes privées d’emploi stable. Une chose est sûre : ce n’est pas avec ce genre de discours que la droite reprendra le pouvoir.

Chloé Morin : Je pense que l’apparent unanimisme des principaux cadres du parti sur la ligne « libérale » ne reflète pas exactement les rapports de force au sein de l’électorat traditionnel de la droite. Ou plutôt: si la droite actuelle reste la sensibilité politique la plus « libérale » du paysage politique, c’est à mon sens aussi parce qu’elle s’est coupée d’autres électorats potentiels en forçant le trait sur ses promesses de « sang et de larmes ». Ainsi, parmi ceux qui se disaient encore sympathisants Républicains en juin dernier, l’étude Fractures françaises d’IPSOS indique bien que seulement 26% estiment que « pour rétablir la justice sociale, il faut prendre aux riches pour donner aux pauvres », ou que 66% jugent que pour relancer l’économie il faut limiter au maximum le rôle de l’Etat dans l’économie. Mais sur ces deux questions, les sympathisants LR sont de loin les plus libéraux, et la majorité des français se situe à l’inverse de leurs positions. On ne peut s’empêcher de penser, au vu de ces chiffres, comment l’indispensable élargissement du socle de la droite serait compatible avec le fait d’opter pour une ligne encore plus clairement et fermement libérale ...

Je note tout de même que, à défaut de trancher et sachant ne pouvoir évacuer totalement une question économique qui reste centrale dans les préoccupations des français, Wauquiez a adopté une stratégie qui consiste à aborder le sujet uniquement au travers de « questions de valeurs » dont il sait par ailleurs qu’elles mobilisent et fédèrent fortement son électorat. Par exemple, il fustige l’assistanat, ce qui lui permet de faire passer l’idée de manière implicite qu’il s’attaquerait aux dépenses publiques « vraiment superflues ». Autre exemple: il ne cesse de dénoncer les normes et les contrôles qui entravent ceux qui travaillent, ainsi que la lourdeur des impôts qui pèsent sur les classes moyennes. Dernier exemple: son discours sur la préférence régionale, déclinaison moins sulfureuse de la « préférence nationale » du FN, plébiscitée par un électorat en mal de protection économique. Tout cela lui permet de « parler » de manière détournée aux gens préoccupés par le chômage et le pouvoir d’achat. Mais tout ceci mis bout-à-bout est loin de dessiner une politique économique cohérente...

Alors que d'autres droites à travers le monde, aux Etats Unis, ou au Royaume Uni, ont pu revenir, au moins en partie, sur leur approche libérale, notamment au travers d'un discours parfois plus social ou protectionniste, la droite française n'est-elle pas plus ancrée dans cette approche qu'il n'y parait ?  

Maxime Tandonnet : Je dirais qu’elle l’a été pendant longtemps, depuis les années 1980, la droite est très européiste ou bruxelliste, anti-frontière, anti-Etat, anti-fonctionnaires. Telles étaient les politiques de VGE, de Balladur, de Chirac/Juppé. Nicolas Sarkozy fut une tentative de concilier sur libéralisme/européisme et le retour à un discours plus identitaire, pro-frontières et national, mais sans jamais s’éloigner d’une orientation très européiste. Aujourd’hui, les choses sont en train de changer pour les Républicains sous deux effets : le macronisme, qui a largement préempté les thèmes de l’européisme et du libéralisme, et les difficultés du FN qui permettent d’espérer récupérer une partie de l’électorat de ce parti, ancien sympathisant du RPR, qui n’a jamais adhéré aux thèses traditionnelles du FN mais s’en était rapprochée par dépit. Bref, la recomposition politique est en cours. Pour les futurs dirigeants républicains, le défi est immense et bien loin d’être gagné : ils doivent répondre aux attentes de 70% des Français mais en donnant des gages de sérieux, de compétence, d’un discours de vérité. Ils doivent à tout prix se garder d’apparaître démagogues ou provocateurs, ou pire que tout : d’être carriéristes et personnellement intéressés par l’Elysée, car ce serait forcément la voie royale vers un nouvel et retentissant naufrage.

Chloé Morin : Ce qui est certain, c’est que la droite ne pourra pas penser son re-positionnement économique sans s’interroger sur sa cohérence idéologique et électorale. Or, on voit bien que tout choix impliquerait potentiellement de faire l’impasse sur certains électorats, ou de reconfigurer profondément le logiciel de la droite. Car peut-on vraiment opter pour le libéralisme économique « et en même temps » pour une ligne identitaire assumée? Agiter la protection identitaire et le scepticisme à l’égard de l’UE pour flatter les catégories populaires (pour dire les choses de manière très caricaturale), tout en prônant des réformes libérales drastiques pour conserver le suffrage des CSP+ et retraités? C’est un pari que la droite peut tenter, mais soulignons que le résultat pourrait être exactement contraire au but recherché: le libéralisme pourrait risquer de faire fuir des couches populaires et moyennes sensibles aux injustices sociales (on le voit actuellement avec le rejet dont la réforme de l’ISF fait l’objet), et le discours « identitaire » pourrait rebuter des CSP+ plus ouvertes au monde. D’un côté, les catégories populaires risqueront de préférer les discours de Le Pen ou Mélenchon, plus cohérents dans leur offre de protection. De l’autre, les catégories en attente de liberté et de réforme pourront trouver leur compte dans la politique menée, qui a par ailleurs le mérite de moins heurter leur conscience que les discours identitaires. Pour toutes ces raisons, et a fortiori si Emmanuel Macron ne démordait pas de sa ligne économique dans les mois qui viennent, je pense que la droite finira par être obligée de faire un choix entre libéralisme économique et identité.

L'antilibéralisme semble convaincre de plus en plus au sein de la droite comme l'illustre le succès  de personnalités comme Eric Zemmour, Patrick Buisson ou Eugénie Bastié ou de "groupes" comme Sens Commun ou la revue Limite. Quelle est cette droite pour qui le libéralisme n'est plus une matrice dominante ? Quelle importance tient une ligne buissonienne (ou néo-maurassienne?) dans cette droite ? 

Maxime Tandonnet : Il ne faut pas penser que le libéralisme, sur le plan économique, a toujours été la valeur dominante de la droite en France. Il existe une tradition qui relie la nation et l’Etat et considère l’intervention de l’Etat comme le moteur de la modernisation de la France. Elle se réfère notamment Richelieu, relie autorité et intervention de l’Etat comme moteur du développement économique. Cette tradition se retrouve dans le bonapartisme, celui de Napoléon Ier mais surtout de Napoléon III qui reconnaît à l’Etat la mission d’assurer l’essor des infrastructures, routes, rails, de favoriser le crédit, le commerce, et la politique sociale qui permet de préserver un équilibre. Des hommes qui se disaient de gauche mais qui peuvent être considérés comme conservateurs, donc de droite au sens d’aujourd’hui, ont prôné le protectionnisme notamment sur les plans agricoles et industriels : Thiers, Méline. De Gaulle se situe  dans une position intermédiaire. Il croyait à l’intervention de l’Etat pour développer de grands programmes économiques en matière d’aviation, d’énergie nucléaire, de téléphone, d’informatique et au plan quinquennal, cette ardente obligation. Mais avec son conseiller Jacques Rueff, il prônait aussi la concurrence et l’ouverture du marché. Face à une droite étatiste, il existe aussi une droite libérale, dite orléaniste, qui est favorable à l’enrichissez-vous et à la liberté économique. Dans les années 1970 à nos jours, c’est elle qui a dominé, avec VGE, Chirac, Juppé, Sarkozy. Ce libéralisme est associé à la foi dans l’Union européenne. La période de crise dramatique que traverse la France entraîne un retour de la droite bonapartiste. Dans les temps extrêmement troublés de déstabilisation de la société par le chômage, l’exclusion, la fragmentation, la violence, le terrorisme, le recours à l’Etat comme boussole dans la tempête est presque naturel en France.

Quels influence et effets ont cette mouvance au sein de LR en pleine recomposition idéologique ? Servent-ils de marqueurs ou de repoussoirs idéologiques ?

Maxime Tandonnet : Il est certain que LR est en pleine ébullition, connaît en ce moment une phase de déstabilisation et de remise en question radicale. Le contexte politique influe fortement sur cette grande secousse : le libéralisme, en tant qu’idéologie, est largement préempté par le président Macron et son mouvement LREM. La crise du Front national permet d’espérer un retour chez les Républicains d’une partie de son électorat, attaché à l’idée de nation et à l’autorité de l’Etat, déboussolé par les ébranlements de la société en cours. On voit bien qu’aujourd’hui, dans une période aussi tourmenté, les adhérents et sympathisants à LR sont en train de basculer dans un retour aux valeurs d’une droite plus autoritaire, bonapartiste, étatiste. Il me semble que le RPR des années 1980, qui s’opposait au libéralisme giscardien, est en train de renaître. Le marqueur est puissant et fédérateur en interne. D’où le succès de M. Wauquiez auprès des militants. En revanche, cette ligne est largement diabolique et inacceptable pour l’idéologie dominante dans le monde médiatique. On voit bien aujourd’hui l’obsession d’une partie de la presse et des médias dans leur ensemble qui exercent un extraordinaire matraquage destiné à associer M. Wauquiez au lepénisme, avec tout ce que recouvre ce dernier en termes de diabolisation. Pour le monde médiatique dans son ensemble, radio, télévision, une grande partie de la presse, l’ouverture des frontières, l’individualisme et l’argent roi, « l’interdit d’interdire », représentent le bien et l’avenir radieux. La question est de savoir si la nouvelle ligne de LR est en capacité de surmonter l’avalanche de caricatures et d’amalgames qui va s’abattre sur elle, et de convaincre l’opinion malgré la propagande contraire qui va se déchaîner sur toutes les ondes. Franchement, je n’en suis pas convaincu…En tout cas, il faudra beaucoup de finesse et d’habileté pour espérer y parvenir. 

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