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Emmanuel Macron ou le chaos ? Pourquoi il faut s’inquiéter de cette absence d’opposition crédible que soulignent les sondages
©AFP

Ca va mal se terminer

Entre une cote de popularité qui baisse, un désamour marqué des classes populaires et un sentiment d'impuissance de l'opposition, la situation est moins simple qu'on ne le croit pour le Président Macron.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Dans le JDD du 22 octobre, un sondage montre que la cote de satisfaction du Président de la République baisse de 3 points en octobre pour atteindre 42%, mais une autre enquête de l'IFOP affirme que si le premier tour d'une élection présidentielle avait lieu aujourd'hui, Emmanuel Macron serait crédité de 28% des sondages, soit 4 points de plus qu'en avril dernier. Entre une droite qui s'effondre, une gauche qui bat de l'aile (Mélenchon baisse de 2% d'intention de vote par rapport à avril) et un FN bloqué à 21%, ne faut-il pas s'inquiéter d'un paysage politique qui ne propose plus que Macron comme seul personnalité propre à gouverner, du fait de l'absence d'opposition crédible ?

Bruno Cautrès : C’est tout d’abord une question de temps. Emmanuel Macron a été élu il y a six mois seulement. C’est 10% de son mandat. Les deux familles politiques de la gauche et de la droite ont non seulement été profondément déstabilisé par le succès fulgurant du mouvement En Marche et de son candidat mais aussi du fait d’avoir été éliminés du second tour de la présidentielle. La situation serait bien différente si François Fillon ou Jean-Luc Mélenchon avaient affronté Emmanuel Macron dans le duel final.  Et il faut rappeler que Marine Le Pen, François Fillon et Jean-Luc Mélenchon réalisent des scores qui ne sont pas si éloignés les uns des autres. Tout ceci pour expliquer que les oppositions à Emmanuel Macron vont se reconstruire progressivement. Mais pour ce qui concerne aujourd’hui, seule la France Insoumise semble tenir le rôle d’opposant frontal à Emmanuel Macron. En prenant le recul du temps long, on s’aperçoit que les mois qui suivent l’élection présidentielle donnent souvent ce sentiment : le nouveau pouvoir est dans la dynamique de sa victoire, le camp qui a perdu semble durablement affaibli et sa réorganisation être son principal sujet de préoccupation. Rappelons-nous le désastre pour la gauche en 1993 alors que Lionel Jospin sera en tête du premier tour de la présidentielle de 1995  et premier ministre (de cohabitation) en 1997 ; rappelons-nous la large victoire du PS aux européennes de 2004 deux après le séisme du 21 avril 2002. Ces contre-exemples ne font certes pas une théorie et l’élection de 2017 bien marque une profonde rupture des français vis-à-vis des deux formations politiques qui dominaient à gauche et à droite. L’inquiétude quant au bon fonctionnement de notre démocratie me vient davantage vis-à-vis des effets du scrutin majoritaire à deux tours que vis-à-vis du fait que les oppositions peinent à retrouver leur rôle : au premier tour des législatives, quelques semaines après la victoire d’Emmanuel Macron, l’abstention a été majoritaire (51.30% et 57.36% au second tour) ; avec 28.21% des exprimés au premier tour, le mouvement d’Emmanuel Macron réalise 43.06% au second tour et obtient 306 sièges de députés. Mais avec 15.77% au premier tour et 22.23% au second, LR obtient 112 députés soit près de trois fois mois. Et l’on pourrait prendre l’exemple du FN ou de la France Insoumise également.

Nicolas Sarkozy aurait déclaré selon un indiscret du Parisien que le quinquennat d'Emmanuel Macron allait "très mal finir", parlant de son accession au pouvoir comme un "hold-up géant" et déclarant qu'il ne s'adressait pas à la "France qui perd". Même s'il le combat, ce sentiment est-il aujourd'hui capable de se retourner contre le Président actuel ?

Il est certain que pour le moment, l’orientation générale des mesures annoncées par le nouveau pouvoir s’inscrit d’abord et avant tout dans une perspective de « libéraliser » l’économie française. On voit bien que les annonces sont toujours dans le même sens : d’abord des mesures économiques trouvant leur inspiration plutôt au centre-droit et ensuite des annonces qui portent plutôt sur des mesures de centre-gauche. Ce sentiment est peut-être en trompe l’œil car des mesures comme la suppression de la taxe d’habitation vont bien dans le sens de mesures qui redonnent aux français concernés du pouvoir d’achat.  Mais ce sentiment vient du cadrage effectué cet été : les premières mesures annoncées ont été davantage de centre-droit que gauche. La France qui souffre le plus de l’exclusion sociale et des grandes injustices socio-économiques devrait être bien davantage une priorité ; le fort soutien dont Marine Le Pen a bénéficié dans les milieux populaires, chez les précaires, ne s’est pas volatilisé sous l’effet de la crise interne du FN et du trou d’air post-défaite de la candidate du FN. Le nouveau pouvoir doit se demander à un moment donné s’il considère les classes populaires comme une priorité ou pas de son action et de son spectre politique. Le discours d’Emmanuel Macron, sa tonalité sur l’Europe ou sur la France qui « gagne », aura du mal à incarner cette dimension plus populaire. Le grand rendez-vous pour savoir si la belle histoire « finira mal » sera le bloc élections européennes-élections municipales (2019 et 2020) qui sera la « balle de match » du mandat d’Emmanuel Macron : si les oppositions connaissent alors un fort rebond, alors la dynamique sera plutôt négative pour Emmanuel Macron quant à la fin de son mandat ; si LREM connait au contraire une victoire à ces élections, alors la belle histoire aura des chances de mieux se terminer que le sombre pronostic de Nicolas Sarkozy…

Cette tension autour d'Emmanuel Macron procède-t-elle d'une vision du pouvoir trop centrée sur la personne présidentielle selon vous ?

En partie oui. Emmanuel Macron appartient à la catégorie des « présidents gouvernant », un peu comme Nicolas Sarkozy. Tout est concentré sur sa personne et tout semble procéder de lui. L’enjeu fondamental dans les mois qui arrivent est de voir si LREM parvient à faire exister le mouvement politique, de l’incarner dans une personnalité (car pour le moment personne ne connait le nom des dirigeants de LREM) et d’éviter le modèle bien connu sous la Vème République du « parti godillot ». On a vu l’UMP ou le PS incapables d’exister hors de l’orbite exécutif sous les mandats de N. Sarkozy et de F. Hollande. Ces failles importantes de la respiration démocratique de notre vie politique ont d’ailleurs conduit nombre de ceux qui ont rallié Emmanuel Macron à le rejoindre : des personnalités de gauche et de droite se sentaient asphyxiées au sein de leur parti ; le fonctionnement de LREM pourra t’il échapper à cette tendance des organisations politiques  à se fossiliser ? Ce serait une sacrée contradiction de s’appeler En Marche et d’être bloqué…

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