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Mais comment le FN a-t-il perdu sa capacité à dicter l’agenda politique et médiatique (et non, ça n’est pas dû qu’à une mauvaise campagne présidentielle) ?
©Reuters

Perte de contrôle

Ces derniers mois, le Front national semble avoir perdu complètement la place qu'il convoitait, celle de première force d’opposition à Emmanuel Macron. L'échec présidentiel a eu évidemment des conséquences... mais les raisons de cette perte d'influence sont multiples.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Le débat politique français semble évoluer au gré des scandales et des polémiques médiatiques impliquant désormais l'opposition entre Emmanuel Macron et la France Insoumise (ISF, polémique autour de la députée FI Danièle Obono). Alors que le Front national était parvenu à inscrire son agenda dans le cadre d'un tel fonctionnement politique, comment expliquer sa perte d'influence au cours de ces derniers mois ?

On se remet difficilement d’une présidentielle perdue. En 2012, Marine Le Pen, dont c’était la première campagne, avait créé la surprise en inversant la défaite cuisante que don père avait subie, cinq ans plus tôt, face à Nicolas Sarkozy. En 2017, Marine Le Pen était créditée d’unj potentiel 30% des suffrages au premier tour par la plupart des observateurs lucides, à peu près un an avant l’élection. Or elle en obtient à peine plus de 20. Ensuite, elle n’arrive pas à élargir sa base dans l’entre-deux-tours, à l’issue duquel elle a établi un rapport de force un tiers/deux tiers. Quand on regarde attentivement, il n’y a pas de secret dans cette défaite: Marine Le Pen a été atteinte du syndrome qui guette en permanence la droite, qui est sans doute constitutif de la droite française: la haine de soi.

Regardez comment, dans l’entre-deux-tours elle court après l’électorat de Mélenchon au lieu de chercher à faire basculer celui de Fillon. Mais cela avait déjà commencé durant la campagne de premier tour: Fillon était suffisamment affaibli pour que Marine Le Pen joue sa meilleure carte: mettre en avant Marion Maréchal-Le Pen, qui lui aurait rapporté 5 à 8% extrêmement précieux pour aborder le second tour dans une position bien plus favorable. En fait, Marine Le Pen n’a pas pris les moyens de dépasser les 40% au second tour, ce qui l’aurait installée en position d’opposante à Macron, capable de cantonner celui-ci à gauche parce qu’elle aurait campé solidement à droite.  

Faut-il considérer que les thématiques (sécurité, immigration, identité) ont désormais suffisamment "diffusé" pour perdre leur caractère polémique ? La défaite politique de Marine Le Pen masque t elle une forme de victoire idéologique pour le partie et ses idées, ou s'agit il simplement de la conséquence d'un parti devenu aujourdhui "insignifiant" ? 

Les enjeux liés au terrorisme, à l’afflux des réfugiés et migrants en Allemagne, aux forces de dislocation des nations dans l’Union européenne sont tels qu’effectivement, le Front National n’a plus, théoriquement, le monopole d’un discours sécuritaire, anti-immigrationniste ou identitaire. En pratique, regardez, pourtant, comme le débat est curieux, aujourd’hui: le président de la République a repris à son compte un discours d’ordre républicain, d’intégration civique et de substitution de l’identité européenne à l’identité française; il fait du Hollande avec le tempérament d’un Sarkozy. Il y a, en face, un vaste espace politique pour un discours de droite, modéré mais ferme: reprise du contrôle des frontières nationales car Schengen a échoué; immigration choisie en fonction des besoins de la France en hauts potentiels éducatifs; devoir de transmission de la culture, de l’histoire et du patrimoine français.

C’est un discours que le prochain patron des Républicains devrait tenir et que Marine Le Pen pourrait décider de tenir. Je ne crois pas que les vieilles idées du Front National soient devenues si répandues, loin de là. En revanche, contrairement aux apparences, ce qui a sauté c’est la barrière infranchissable entre Les Républicains et le Front National. Et pourtant ni Wauquiez ni Marine Le Pen n’occupent la position que devrait leur indiquer leur intérêt politique. Wauquiez a trop peur d’une traversée du désert médiatique provisoire et Marine Le Pen ne veut rien faire qui faciliterait le retour de sa nièce sur la scène politique. Regardez aussi comment l’un et l’autre sont incapables de développer un discours sur la défense du financement des familles alors que le gouvernement leur ouvre un boulevard sur le sujet. Si l’on va au fond des choses, on comprend bien que la droite souffre d’un double enfermement:  dans le populisme d’un côté; dans le libéralisme de l’autre. Il faudrait un gaullisme adapté à notre époque. 

Dans une telle configuration, quels sont désormais les enjeux qui reposent sur le Front national ? 

On se remet difficilement d’une présidentielle perdue. Ajoutons que le logiciel du Front National est totalement ringard. La manière de penser la monnaie et l’économie est inadaptée à la révolution numérique et à l’ère de la troisième révolution industrielle. Le parti est très fort pour dénoncer l’Union européenne et l’euro mais il ne sait pas ce qu’il mettrait à la place. Le club des Horace représentait un vivier mais ses membres, majoritairement sinon exclusivement de droite, ont été déboussolés par la campagne de second tour de Marine Le Pen. Plus généralement, le parti, quand bien même il aurait fait un score extraordinaire à l’élection présidentielle, n’était pas prêt à assumer le pouvoir: il était très très loin d’avoir les relais dans la haute administration, dans les réseaux patronaux, dans la société civile. Le score de Marine Le Pen au second tour représente de mon point de vue le chant du cygne du Front National. Un cycle se termine, qui avait commencé en 1983, avec la complicité active de François Mitterrand. Et c’est tant mieux! Certains pourront déplorer à droite l’étiolement de Marine Le Pen ou l’insignifiance dans laquelle sont tombés les Républicains. On devrait plutôt se dire qu’il y a le potentiel pour un renouveau complet de la droite, sur une base modifiée, celle de la protection active du pays dans la troisième révolution industrielle.

De mon point de vue, il n’y a qu’une chose à faire: dépasser Macron sur sa droite en faisant de l’éducation le sujet central. La droite doit reproduire le coup de génie de Disraëli en Angleterre, au XIXè siècle, lorsqu’il avait pris aux libéraux le thème du suffrage universel. Et bien, la droite française devrait, pour 2022, développer l’ambition d’une éducation pour tous qui, vraiment, ne laisse plus personne au bord de la route; qui prépare les jeunes Français, adapte les moins jeunes aux défis de l’époque. D’une éducation qui affiche clairement l’ambition d’intégrer les étrangers, sans compromis possible sur le socle des valeurs héritées de nos pères. Evidemment, pour cela, il faut se donner les moyens d’une fiscalité avantageuse en même temps que d’un investissement public massif. Cela implique de changer complètement la politique monétaire européenne. Pas forcement pour détruire l’euro; mais nous ne ferons pas l’économie, c’est le cas de le dire, d’un débat dur avec l’Allemagne sur les mécanismes européens. Vous voyez, dès que l’on réfléchit un peu aux vrais enjeux, le Front National est déjà très loin dans le rétroviseur. 

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