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Andrej Babis, le milliardaire populiste tchèque qui pourrait vite devenir le nouveau caillou dans la chaussure de l’Europe
©Reuters

Encore un

Le bal des populistes est loin d'être terminé en Europe. Le prochain qui risque de faire parler de lui s'appelle Andrej Babis et est candidat à l'élection présidentielle tchèque.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : L'élection présidentielle tchèque, qui se tiendra en janvier 2018 devrait voir un nouveau candidat "populiste" faire parler de lui. Andrej Babis, un magnat de la presse millionnaire devenu ministre des Finances (et révoqué), que l'on compare souvent à Donald Trump ou Silvio Berlusconi, semble en bonne position. Après la victoire de l'ÖVP certainement allié au FPÖ en Autriche et les bons résultats de l'AfD en Allemagne, l'Europe "populiste" devient-elle une menace pour l'unité de l'Europe comme l'affirme le Washington Post ?

Florent Parmentier : Il faut observer que les trois cas observés témoignent d’un essor général des populistes sur le continent européen, mais également de la diversité des réactions face à des systèmes établis. 

En effet, les contestataires autrichiens ou allemands ne sont pas portés par des milliardaires, quand Andrej Babis représente la deuxième fortune du pays. Comme pour les autres pays du groupe de Visegrad, la candidature de Babis s’inscrit de fait dans le « post-post-communisme », le post-communisme ayant été caractérisé par cette période des années 1990 et 2000 pendant laquelle l’impératif politique d’intégration au sein de l’OTAN et de l’UE l’avait emporté sur toute autre considération. Moins de 15 ans après l’élargissement de l’Union européenne, on peut effectivement dresser le constat d’un affaiblissement de ces valeurs, sans pour autant considéré que l’Europe Centrale porte seule ces valeurs en elle (l’Europe de l’Ouest ayant ses propres démons populistes). 

Comme je l’avais avancé dans mon ouvrage Les chemins de l’Etat de droit (Paris, Presses de Sciences Po, 2014), il ne faut pas considérer la transition démocratique à laquelle nous avions insisté au cours des années 1990 et 2000 comme un résultat irréversible ; plutôt que de transition, il faut parler d’un « chemin » plus heurté qu’il n’y paraît. De manière parallèle, nous ne vivons pas dans une transition vers la démocratie illibérale ; toutes les démocraties européennes ont sécrété leurs propres anticorps contre les dérives autoritaires. Il n’y a rien d’inéluctable dans la vague qui vient. 

Cyrille Bret : l’internationale des populistes n’existe pas encore. En Europe, les partis considérés comme populistes restent hétérogènes. Dans les Etats l’Europe centrale et orientale anciennement démocraties populaires sous le contrôle soviétique, les partis sont aujourd’hui unis par la méfiance à l’égard des tendances fédéralistes bruxelloises, l’hostilité aux migrations et à l’islam ou encore par les revendications de « petits pays » à l’égard du couple franco-allemand. La République tchèque en général et Andrej Babis en particulier s’inscrivent dans cette mouvance. Avec la Pologne, la Slovaquie et la Hongrie, elle consolide la coopération au sein du V4 ou « groupe de Visegrad » pour porter ces messages dans les institutions européennes. Toutefois, si certaines thématiques sont communes, des divergences sont manifestes. Ainsi, l’attitude à l’égard de la Russie n’est pas la même en Pologne et en Hongrie. 

Babis s'est dit favorable à la suppression des sanctions envers la Russie et souhaiterait pouvoir développer un partenariat plus solide avec l'ancienne mère patrie de l'URSS et donc de la République Tchèque. Mais il n'est pas très critique vis-à-vis de l'Union européenne. Faut-il voir dans son positionnement une fragilisation de la solidarité économique de l'Union européenne ? Ou plutôt une fragilisation de l’hinterland économique allemand ?

Florent Parmentier : la position de Babis sur la Russie n’est pas, en soi, un facteur de surprise ; la Russie est certes un grand rival de la République tchèque en hockey sur glace, et le pays héritier de l’intervention soviétique lors du printemps de Prague en 1968, mais il n’en existe pas moins une forme d’admiration qui se même à la crainte vis-à-vis de la Russie.

De fait, au XIXème siècle, le panslavisme a poussé au rapprochement entre l’espace tchèque et l’empire tsariste, à la différence de l’histoire polonaise qui elle est une histoire de rivalité et de recherche d’émancipation vis-à-vis de la Russie. Cette histoire s’inscrit dans une méfiance envers le pangermanisme offensif de l’époque, et une volonté de s’émanciper vis-à-vis de l’empire habsbourgeois. De fameux congrès slaves ont eu lieu en 1848 et en 1908, et la première génération de patriotes tchèques (Josef Jungmann, Jan Kollar) était composée de russophiles. Sans être particulièrement russophile, le Président Edouard Benes a signé un traité d’assistance avec l’Union soviétique en 1943, toujours pour contrebalancer l’influence allemande. 

L’intervention soviétique à Prague a introduit une méfiance durable entre les deux pays, qui ne s’est pas totalement estompée. Pour autant, de nouvelles relations économiques ont été établies, et Vaclav Klaus avait joué au début des années 2000 ce rôle de Président souhaitant se rapprocher de la Russie par méfiance vis-à-vis de l’Allemagne et de l’UE. 

La position de Babis résulte donc d’une histoire de méfiance envers le risque hégémonique de l’Allemagne, et partant de l’Union européenne, dans la région. 

Cyrille Bret : Andrej Babis a les convictions européennes de l’homme d’affaires à succès qu’il a été. Il sait que la bonne santé de l’économie tchèque dépend tout à la fois de l’insertion dans le marché commun, de fourniture d’hydrocarbures russes, des investissements allemands et autrichiens ainsi que du tourisme en provenance de l’UE. Il est, à cet égard, le reflet assez symptomatique de l’homme de la rue en Tchéquie. La solidarité économique européenne est un fait pour le pays : les fonds structurels ont soutenu l’économie du pays et ont en retour bénéficié la prospérité allemande et au développement global de l’Europe. Renforcer les liens avec la Russie, proposer le démantèlement des sanctions prises contre la Russie en raison de l’annexion de la Crimée sont des positions en vogue dans plusieurs sphères politiques en Europe : en Hongrie, à Chypre, en Grèce, chez Les Républicains en France….

Autre personnalité en plein essor, Tomio Okamura, leader du SPD, hostile à l'Islam et à l'immigration, tout comme le président sortant qu'il refuse cependant de soutenir. Quel rôle joue la question migratoire aujourd'hui dans le paysage politique tchèque ? Cela conforte-t-il une position de rejet de l'Union européenne ?

Florent Parmentier : la personnalité de Tomio Okamura, à la fois bi-national tchèque et japonais et anti-immigré, ne manque pas de surprendre. Il est vrai que la polarisation sur les questions migratoires se concentre essentiellement sur l’Islam, l’Europe de l’Ouest étant à ce titre considérée comme un contre-exemple, confondant accueil, tolérance et faiblesse, engendrant, selon les soutiens de Tomio Okamura et plus largement au sein du spectre politique tchèque, peurs, chaos et actes terroristes. A côté des capitales, traditionnellement plus ouvertes, les régions sont généralement plus conservatrices sur ce point. La volonté de l’Union de faire en sorte que « chaque pays prenne sa part » peut être à la fois louable mais polarisante dans une partie significative de l’opinion.   

Cette position fait l’objet d’une revendication de la part des pays centre-européens, qui souhaitent conserver une homogénéité culturelle fût-ce au prix d’un déclin démographique. 

 Cyrille Bret : le rejet ou la tolérance à l’égard de l’islam sont devenus des marqueurs politiques essentiels en Europe en général et en Europe centrale en particulier depuis le début des années 2010. A vrai dire, la République tchèque est une des sociétés les plus sécularisées et les moins religieuses d’Europe. Tous les sondages d’opinion et toutes les statistiques de pratique religieuse le montre. Ce qui est en jeu, en Tchéquie comme dans les autres pays membres du V4 ou encore en Autriche, c’est le retour du christianisme comme marqueur tout à la fois culturel, national et identitaire. En Pologne, le catholicisme pratiquant fait partie intégrante de l’espace public et du débat politique. Mais dans d’autres pays, comme la Tchéquie ou la Hongrie, le christianisme est érigé en point de rassemblement identitaire contre ce qui est ressenti comme imposé par Bruxelles : l’accueil – largement fantasmé – des masses de migrants.

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