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Hésitations puis naïveté, pour finir par un cauchemar... Comment le lent piège des municipales de Paris se referma sur Philippe Séguin
©FRANCK FIFE / AFP

Bonnes feuilles

Pourquoi la personnalité et le destin inachevé de Philippe Séguin continuent-ils de fasciner, comme si sa mort brutale en 2010 avait laissé un vide durable dans la vie politique nationale ? Aujourd'hui, il fait figure de visionnaire. Extrait de "Philippe Séguin, le remords de la droite" d'Arnaud Teyssier, aux éditions Perrin (2/2).

Arnaud Teyssier

Arnaud Teyssier

Arnaud Teyssier est spécialiste de l’histoire du gaullisme et de la Vème République, auteur récemment de "L'énigme Pompidou-de Gaulle" (2021) et "Demain la Ve République ?" (2022) aux éditions Perrin.

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Tant d’hésitations chez Philippe Séguin – entretenues, il est vrai, par les démarches innombrables des personnalités de la majorité qui l’exhortent à s’entendre avec Jean Tiberi  –, s’inscrivant dans un contexte aussi défavorable (la majorité parisienne qui est, de fait, divisée, entre tiberistes et antitiberistes), ne peuvent produire qu’un mauvais résultat. Les sondages, de plus en plus médiocres, transforment, à partir de la fin de l’année 2000, la campagne de Séguin en véritable cauchemar. Il n’est pas à Épinal, il le sait, et n’est pas fait pour manœuvrer entre tant d’écueils humains. Dans cette campagne, il va retrouver les quelques « orphelins » du séguinisme, appelés enfin à jouer un rôle politique quelque peu consistant : notamment les jeunes, peu nombreux mais plutôt convaincus, qui formaient naguère l’armature du RAP. La campagne pour les municipales à Paris leur laisse espérer la conquête de quelques positions politiques appréciables. Ce sera le dernier passage du train : la plupart se retrouveront ensuite dans l’entourage de François Fillon3 . Il faut ajouter que les listes qui sont constituées sous son égide sont de fort inégale qualité, associant, à côté de quelques authentiques personnalités, des éléments plus incertains –  choisis souvent parce qu’ils sont jeunes  – et de vieux routiers de la politique parisienne, souvent usés ou sans grand prestige. Séguin a lui-même consigné dans ses notes les critères du multidosage auquel il est réduit : « renouveler », « féminisme », « rajeunir », « attirer des poids lourds », « gérer les mises en examen », et last but not least, en souligné, « donner l’impression d’un desserrement de l’étreinte du système par un seul parti ». Au total, note-t-il, « même le critère de l’aptitude à animer une campagne doit passer au second plan ». Un seul exemple  : fallait-il accepter d’envoyer Henri Guaino défier Jean Tiberi dans son fief du Ve  arrondissement : un grand conceptuel, spécialiste des envolées lyriques et des formules à l’emporte-pièce, pour affronter l’élu parisien le mieux armé au plan local, le plus terre à terre, muni entre tous des réseaux les plus efficaces ?

Philippe Séguin, hésitant toujours, et sans doute la proie d’un entourage aussi hésitant, divisé ou incertain devant une situation quasi inédite, accumule les erreurs, y compris sur lui-même. Personne ne comprend ainsi qu’il choisisse de se présenter en quatrième position sur la liste du XVIIIe   arrondissement, avec pour tête de liste une jeune femme qu’il apprécie, mais qui vient directement de l’appareil parisien. Il croit frapper ainsi « un grand coup », parce que, notera-t-il, « je veux montrer qu’il faut conquérir Paris et non la conserver », qu’il est le vrai « challenger » et non l’héritier du passé – ce sera exactement le même défi que relèvera, mais avec succès, Nicolas Sarkozy pour l’élection à l’Élysée en 2007. « Lutter pour des idées, pas pour des places », certes… mais dans le marigot parisien avec la présence multiple de listes dissidentes… Il tâche, par moments, de se servir de son expérience à Épinal, mais, encore une fois, ne trouve jamais le bon registre  : local ? National ? Il commence par évoquer une nécessaire réforme du statut de Paris, mais c’est un terrain compliqué, peu porteur sur le plan politique et médiatique. Il fait préparer par des collaborateurs de confiance un « code de déontologie de l’élu parisien », réponse bien naïve à l’étendue du passif qu’il faut assumer. Il publie même une Lettre ouverte à ceux qui veulent encore croire à Paris, qui doit beaucoup à son travail personnel, mais dont le titre même est une maladresse : il sent déjà la défaite assumée. Il en vient à lâcher des banalités peu dignes de lui, sans doute parce qu’elles sont destinées à plaire au fameux électorat « bobo » : « On ne peut plus prendre une décision publique comme il y a dix ou vingt ans. La décision publique doit être débattue et concertée au préalable. » Tout cela est bien peu « Séguin »… Il essaie même, contre sa nature et pour contenter tout le monde, de bâtir un discours sécuritaire, ou un autre encore sur les baisses d’impôts, sujets sur lesquels il est naturellement mal à l’aise… Mais tant de discours à thèmes multiples –  la démocratie locale, Internet, l’environnement, la culture, le « mieux vivre à Paris » –, traversés certes de fulgurances typiquement séguiniennes mais au final peu compréhensibles ou audibles dans un tel contexte, traversés aussi de banalités foudroyantes, font ressortir une grande absente  : la passion . Or l’expression d’une passion en politique, c’est là le grand talent d’un Séguin. Du coup, il se dit partout et en tous lieux qu’il va perdre, et que d’ailleurs il ne souhaite pas vraiment gagner.

Dans l’Itinéraire, Séguin reconnaîtra lui-même, presque avec naïveté, qu’il avait découvert toutes sortes de réalités concrètes de la rue parisienne –  trafic de drogue, immigration clandestine, économie parallèle. Il revendiquera en revanche avec fierté et émotion l’entretien qu’il accorda à une revue gay et les propos qu’il tint sur le sida au cours de multiples rencontres avec les associations : rien d’électoraliste assurément, tant il avait été marqué par la maladie et la mort de son frère Bernard.

Face à Bertrand Delanoë, qu’il affronte dans un débat télévisé décisif le 28  février 2001 –  sur Canal+, où les Guignols 5 , bien conscients de l’enjeu, s’attachent particulièrement à le ridiculiser –, Philippe Séguin, porteur d’un programme trop détaillé et politiquement illisible, paraît mal à l’aise. Il l’a pourtant beaucoup préparé, et demandera spécifiquement à ses collaborateurs que son dossier soit conservé pour d’autres usages. Son adversaire joue sur du velours, avec un programme que Séguin rebaptise « La transparence si je mens ». Il mise entièrement sur le local, sur son ambition « parisienne » au service des Parisiens, avec une grande connaissance des dossiers et une aisance que son adversaire ne peut évidemment égaler. Il est plus en difficulté lorsque Séguin parvient à l’entraîner vers des sujets de fond, plus nationaux. Mais il le met en difficulté à son tour en revenant vers le local. Séguin s’en tire comme il peut, évoque Paris comme « un lieu d’excellence pour servir » et fait cette profession de foi  : « Je suis candidat aux fonctions de maire de Paris parce que j’aime Paris, moi aussi, et parce que j’ai été élevé et éduqué dans l’idée du service public. » Il pense donc toujours « national ». « Vous êtes un homme d’appareil », lance-t-il assez justement à son adversaire.

Mais que faire ? Ce n’est pas le bon débat, ni le bon adversaire. Surtout, l’ancien président de l’Assemblée nationale porte sur ses épaules toutes les contradictions de la droite, accumulées depuis des années, et portées jusqu’à la caricature dans la capitale. L’élection municipale parisienne prend les dimensions de la cérémonie sacrificielle tant redoutée depuis ce fameux 14  juillet 2000 où Chirac l’a benoîtement et publiquement lâché. Il va perdre non parce qu’il n’a pas su séduire le fameux « électorat nouveau parisien » –  il s’y est essayé à moitié, et si mal –, mais parce qu’il a en face de lui un homme qui ne parle pas la même langue, ni ne parle des mêmes choses, et qui a intégré cette donnée avec beaucoup d’intelligence et d’habileté dans sa stratégie. Il va perdre pour une autre raison, décisive  : parce qu’il conduit une armée divisée, et que ses listes doivent affronter les listes dissidentes. Dans les derniers jours de la campagne, il s’efforce de marquer de son empreinte « les » différentes campagnes d’arrondissement, où les candidats oublient parfois d’invoquer son patronage. Les listes Tiberi ont souvent le vent en poupe. Séguin paraît éternellement décalé, ou surajouté à une juxtaposition de campagnes locales, au total médiocres, auxquelles il n’a pas réussi à imposer l’unité de ton et de style qui était toute son ambition. Cet homme remarquable, dans cette élection qui ne l’est pas, est en surcharge.

Le premier tour des municipales dans l’ensemble de la France se révèle contrasté. Ni la droite ni la gauche n’obtiennent de résultat décisif, et le jeu reste largement ouvert pour le second tour. Quelques jours avant le premier tour, le président du groupe RPR à l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, a suggéré publiquement qu’une entente soit passée entre les listes « Séguin » et les listes « Tiberi », afin de préparer des fusions ou des retraits réciproques pour le second tour. Philippe Séguin fait la sourde oreille, mais au soir du premier tour, la situation est claire  : la droite est presque sûre de perdre Paris si elle ne passe pas un accord avec les « dissidents » ; mais si l’accord se fait, il est vraisemblable aussi que Paris sera perdue, l’entente survenant trop tard et pouvant surtout être mal comprise par l’électorat. Philippe Séguin fait donc le choix qui lui permet de perdre la tête haute, même si, dans la pratique, des retraits de listes « spontanés » ont lieu dans plusieurs arrondissements.

Le second tour des élections municipales est un paradoxe en lui-même. Sur le plan national, la droite sort victorieuse, puisqu’elle prend aux socialistes et aux communistes une trentaine de villes de plus de 30 000  habitants, dont Strasbourg, Rouen et Aix-en-Provence. Il reste que cette « victoire » de la droite a des allures étranges : les deux premières villes de France, Paris et Lyon, sont passées à gauche. À Paris, les causes sont faciles à analyser. À Lyon, si le candidat socialiste, Gérard Collomb, a réussi à prendre la ville à la droite, il le doit d’abord aux divisions de l’adversaire, et notamment au refus de la majorité des élus conservateurs de passer un accord avec les listes dissidentes conduites par Charles Millon. Dans les deux cas, la défaite de la droite est de mauvais augure, à Paris surtout, qui fut le fief symbolique de Jacques Chirac pendant dix-huit ans. Même si les états-majors s’efforcent, au lendemain de l’élection, de charger au maximum les épaules de Philippe Séguin – qui entame alors à nouveau une période de purgatoire, dont il ne sortira que pour participer, avec discrétion mais loyauté, à la campagne de l’élection présidentielle  –, son mauvais caractère et ses opinions prétendument antieuropéennes, la perte de la capitale, massive en termes d’arrondissements, est avant tout un échec pour Jacques Chirac. Mais que lui importe, dans le fond : l’essentiel est surtout que la capitale ne passe jamais sous la coupe d’un rival éventuel. Cette leçon sera retenue plus tard par Nicolas Sarkozy.

Extrait de "Philippe Séguin, le remords de la droite" d'Arnaud Teyssier, aux éditions Perrin

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