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Gérald Andrieu : "Pourquoi les Français des frontières apprécieraient-ils une Europe capable d’encourager la “guerre” industrielle, commerciale et financière dont ils se sentent la chair à canon ?"
©ALAIN JOCARD / AFP

Entretien politique

D’octobre 2016 à mars 2017, de Dunkerque à Menton, Gérald Andrieu a parcouru à pied la frontière terrestre de notre pays, à la rencontre du peuple français.

Gérald Andrieu

Gérald Andrieu

Journaliste indépendant, Gérald Andrieu a été rédacteur en chef à Marianne. Il est coauteur de Bienvenue dans le pire des mondes. Le triomphe du soft totalitarisme (2016).

 

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Atlantico : Vous commencez votre récit par une citation de Jack London qui déclare vouloir découvrir les "fondations de l'édifice" social. Ces fondations, vous êtes allé les chercher le long de la plus grande frontière terrestre française, celle qui sur 2.200 kilomètres relie la Mer du Nord à la Méditerranée. Avec Jack London vous poursuivez en parlant d'une rencontre avec le "peuple de l'abîme". L'avez-vous trouvé ?  La France des frontières d'Andrieu rencontre-t-elle systématiquement la France périphérique de Guilluy ?

Gérald Andrieu : Si je l’ai trouvé ? Les lecteurs en jugeront. Je l’espère en tout cas. Sinon, à quoi bon aller marcher pendant cinq mois durant la campagne présidentielle, c’est-à-dire en partie en hiver, le long de la frontière ? Néanmoins, que les choses soient claires : en faisant ça, je n’avais pas en tête d’aller explorer une contrée exotique pour donner à voir une sorte de tribu ! Cette France, je la connaissais. L’objectif premier de ce périple consistait à m’éloigner le plus de Paris, des candidats et des médias, et à ralentir au maximum. Car on ne peut pas parvenir à rencontrer, puis montrer ces “déjà déclassés” et ces “en voie de déclassement” quand on débarque en voiture, avec ses certitudes dans le coffre, pour un reportage d’une demie journée seulement. C’est devenu la règle dans les médias : l’efficacité, ou plutôt la rentabilité l’a emporté sur toute autre considération. Et puis se pose une autre question : les médias veulent-ils vraiment montrer et faire entendre cette partie-là du pays ? Grâce à Christophe Guilluy, la France périphérique — qui est bien celle que j’ai croisée sur ma route — a désormais un nom et une existence. Certes, journalistes et politiques l’évoquent aujourd’hui. Hélas, ça n’est souvent pour eux qu’un “concept” ou une “ clientèle” à capter. Le quotidien de leurs habitants, leurs joies et leurs peines, ne paraissent guère les préoccuper.

Vous affirmez que les habitants de la "France des frontières" ne parlent pas d'Emmanuel Macron. Car votre voyage est aussi celui de la France de l'abstention et du vote blanc. Vous parlez d'un phénomène de "désaffiliation". Qu'est-ce qui explique selon vous leur désintérêt de la politique française ?

En tout cas, pendant la campagne, avant le premier tour, le nom d’Emmanuel Macron n’était que très rarement évoqué dans les conversations. Pour une raison simple : la transe macronienne qui s’était emparée de la presse, des grandes agglomérations et de l’Ouest du pays, ne pouvait pas toucher la France que je traversais. Ils n’avaient rien en commun. Lui appelait à l’optimisme, mais eux savent que l’optimisme ne se décrète pas, qu’il faut avoir des raisons d’espérer. Macron en appelait au mouvement, à se mettre « En Marche ! », mais eux souhaitent protection et permanence, que l’on mette un frein à la marche folle dans laquelle nous sommes engagés, notamment sous l’effet de la mondialisation. Reste que cette partie du pays ne s’est pas retrouvée derrière un seul candidat. Le FN a peut-être fait le meilleur score de son histoire, Marine Le Pen n’a pas été leur unique représentante. Et ce qui devrait préoccuper les personnes attachées à la chose publique, c’est justement que nos concitoyens s’en désintéresse dans des proportions colossales. Nous avons connus à la présidentielle et aux législatives qui ont suivies, une abstention de masse et de classe. Est-il vraiment nécessaire d’expliquer un tel désintérêt vis-à-vis de la politique française ? Toute personne sensée qui écoute le matin les informations à la radio trouvera mille raisons d’en arriver là.

En marchant du côté français de la frontière, comment avez-vous ressenti l'influence de cette proximité des autres pays européens et de l'Union européenne sur ces territoires ? Et quid de l'influence et la présence de ces frontières qui n'en sont plus ?

Le rapport à la frontière des habitants de ces zones-là est assez paradoxal. Ils sont ravis de ne plus avoir à faire la queue pour franchir les postes de douane. Ils vous expliqueront même qu’elle n’existe plus. Ce qui est vrai physiquement, matériellement. Mais quand vous leur signifiez qu’en un sens elle existe encore, du moins socialement et fiscalement — sans quoi pourquoi y aurait-il des usines côté luxembourgeois et suisse et plus du côté des Français ? —, ils vous rejoignent rapidement. Par ailleurs, cette proximité des autres pays européens ne crée pas mécaniquement un attachement à l’Union européenne. Le géographe Michel Foucher l’explique très bien dans son livre L’Obsession des frontières (Ed. Perrin) : si « les frontaliers savent utiliser les avantages comparatifs, écrit-il, l'obligation de travailler hors de France ne suscite pas nécessairement un sentiment proeuropéen dès lors que c'est un choix par défaut. » A la périphérie de la France, comme ailleurs dans la France périphérique, on croisera donc plus d’eurocritiques que d’europtimistes comme l’est le chef de l’Etat. Là, encore, ça n’est pas bien compliqué à saisir. Pourquoi apprécieraient-ils une Union européenne qui ne les préserve pas ou, pire encore, qui est capable d’encourager la “guerre” industrielle, commerciale et financière dont ils se sentent la chair à canon ?

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