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Une seule vraie solution pour lutter contre les déserts médicaux : revaloriser la médecine libérale
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

SOS Médecins

Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, présentera, vendredi 13 octobre, le plan de lutte du gouvernement contre les déserts médicaux.

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard est professeur d’économie à l’ESCP, président de l’Institut de Santé et auteur de « L’Autonomie solidaire en santé, la seule réforme possible ! », publié aux éditions Michalon.

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Atlantico : Quelles peuvent être les mesures qui vont être proposées ? Offriront-elles un vrai changement selon vous ?

Frédéric Bizard : Les Pouvoirs publics accumulent les plans anti-déserts médicaux sans aucune analyse lucide de la situation réelle de la médecine de ville. On s’acharne sur un traitement qui ne traite rien de la cause du mal. Le plan Buzyn est un copié-collé du plan Touraine, qui était un copié-collé du plan Bachelot.

On y retrouve des incitations financières. Celles-ci s existent déjà et l'on va renforcer ce qui conduit inévitablement à des effets d'aubaine pour les médecins installés. C’est du court terme qui gère la pénurie là où elle existe mais ne donne aucune visibilité de long terme aux jeunes médecins susceptibles de s’installer. Le cœur de cible d’un plan de lutte contre les déserts médicaux sont les jeunes et le facteur clé de succès est la confiance dans l’avenir de l’installation en ville (et en campagne). Nouveaux contrats responsables, sur-administrationpar les agences régionales de santé, pas de financement pour l’innovation en médecine de ville… donnez-moi une mesure non contraignante pour l’installation en ville qui ait été prise ces 20 dernières années!

A l’heure où le salariat va reculer au profit de l’entrepreneuriat et du statut d’indépendant dans tous les secteurs économiques du fait de la révolution numérique et de la mutation du travail, on voudrait nous faire croire que le salariat serait l’avenir des professionnels de santé en ville ! C’est une plaisanterie d’autant plus ridicule que le plus grand désert médical se trouve à l’hôpital, en particulier dans les hôpitaux de périphérie. On a transformé 6000 praticiens hospitaliers en mercenaires, en chasseurs de primes, payés trois fois le salaire normal pour les attirer dans les hôpitaux désertés. On ne règle rien au problème d’attractivité et on gère la misère au prix fort pour la collectivité. C’est exactement ce qu’on est en train de faire en ville.

Quant aux maisons de santé pluri professionnelles dont on veut doubler le nombre (174 en 2012, il y en a près d'un millier en 2017), c’est le gri-gri qui masque l’impuissance crasse de l’administration. On fait de ce nouveau moyen d’installation, qui s’inscrit parmi les autres types d’exercice de groupe, l’objectif du plan de lutte. Rien ne démontre que c’est un remède à la désertification mais cela permet d’occuper l’espace médiatique et de donner l’impression d’agir.

On nous fait croire que cet outil est un excellent rempart contre la désertification médicale, mais il n'y a à ce jour aucune preuve de leur efficacité. C'est un outil qui sert avant tout à renforcer le contrôle administratif des installations des libéraux médicaux et paramédicaux par les agences régionales de santé. Le plan actuel est de contrôler administrativement cet exercice libéral en conditionnant toute aide à des autorisations administratives de l’ARS.

Si les solutions proposées –les primes à l’installation et les maisons de santé pluri professionnelles –ne produisent que peu d'effet, que doit faire le gouvernement ? Existent-ils d'autres solutions ?

Je serais surpris que la Ministre parle aujourd’hui de l’avenir de la médecine de ville sur un plan stratégique et sur le long terme. C’est le seul thème qui compte pourtant puisque les déserts médicaux ne sont qu’un symptôme, en ville comme à l’hôpital, du déclin de notre système de santé.  Quelle médecine de ville demain pour le nouveau monde ?

Cette approche structurelle conduit à aborder trois points : l’innovation, la gouvernance et la liberté de choix de l’exercice.  Aucun gouvernement à ce jour n’a avancé un quelconque plan crédible sur ces trois points essentiels pour reconstruire notre médecine de ville.

Il faut investir dans les nouvelles technologies pour généraliser le numérique et la télémédecine dans toutes les formes d’exercice de ville. Je rappelle que le numérique permet à des petites entités d’être parfaitement connectées avec tous les autres acteurs. Il est paradoxal de faire du regroupement sous le même toit la solution idéale à l’heure du numérique. L’innovation n’est pas que technologique, elle est aussi politique. Il faut réformer les ordonnances Debré de 1958 pour créer surtout le territoire des Centres ambulatoires universitaires(CAU) de médecine générale. Reconnaître par la loi que la ville est aussi un lieu de recherche et d’enseignement. Ce serait un levier important en faveur de l’attractivité.

Dans cette phase de transition entre deux mondes, il faut libérer la créativité et l’intelligence humaine. La gouvernance doit être véritablement participative avec les professionnels de santé, et d’autant plus lorsque ce sont des décisions locales. L’agence régionale de santé doit vérifier à postériori le bon respect des règles et non tout décider à priori. Tous les professionnels de santé se plaignent de l’écrasante bureaucratie liée aux MSP et à la télémédecine. Seul un changement d’organisation de la gouvernance peut changer cela. De même qu’elle a asphyxié l’hôpital public, elle est en train d’asphyxier la ville. Même causes, mêmes effets.

<--pagebreak-->Encore une fois, je serais surpris que le Premier Ministre et la Ministre de la santé annoncent leur confiance dans l’avenir de l’exercice libéral dans notre pays. La haute administration, qui n’a pas changé depuis 20 ans en santé, veut progressivement étatiser la gouvernance et fonctionnariser l’offre de ville. Ainsi, les politiques, qui laissent les hauts fonctionnaires décider de l’essentiel en santé, restent dans l’ambiguïté sur les types d’exercice. LesMSP évitent de parler de l’exercice libéral et permettent d’ailleurs d’encourager le salariat. Mais salarié de qui ? De l’État ? De la sécurité sociale ? Des Mutuelles ? Des collectivités territoriales ?

Aujourd'hui, la situation des déserts médicaux n'a cessé d'empirer. Quelles sont les causes de cette aggravation ?

Mêmes causes, mêmes effets, la situation ne peut qu’empirer en ville comme à l’hôpital. Seule un changement de cap politique inversera la tendance et une décision au sommet de l’État d’adapter structurellement notre système de santé au nouveau monde. Il est paradoxal de parler de nécessité de transformation de l’organisation du marché du travail, de la formation professionnelle, desretraites… et de laisser penser que notre système de santé n’est pas concerné par la transformation de la société.

Avec 25% des médecins généralistes installés qui ont 60 ans et plus, je vous laisse deviner l’avenir de la couverture médicale des territoires avec une telle politique qui garantit la continuité dans l’échec.

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