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Du "troufion" du XIXe siècle au "supercop" d'aujourd'hui : les mille et un visages du policier français
©REUTERS/Benoit Tessier

Bonnes feuilles

Si le 36 quai des orfèvres pouvait parler, il en aurait des choses à dire. Eh bien, le pari d'un 36 bavard a été relevé ! Il ne s'agit pas de le confesser à la première personne, d'imaginer un tas de pierres bavardes, mais de débusquer la petite histoire de la Police Judiciaire derrière la grande. Extrait du livre "Les dessous du 36" de Matthieu Frachon, aux éditions du Rocher (1/2).

Matthieu Frachon

Matthieu Frachon

Matthieu Frachon est journaliste, spécialiste de l’Histoire de la police.

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Depuis que le roman s’est emparé du policier, on lui a donné tous les visages. Le cinéma a évidemment suivi le mouvement. Nous avons donc eu droit au flic intrépide, au roi du remue-méninges, au taiseux qui fume la pipe, au beau gosse qui culbute les filles et les gangsters, au dépressif, au cynique, à l’alcoolique, au tout-cassé-par-lavie… Ne rayez rien, il n’y a aucune mention inutile!

Au sommet de l’échelle de la fiction, se trouve le flic du 36. Ce n’est la faute de personne si Paris est la capitale de la France, sa plus grande cité, et que les crimes et délits y sont plus nombreux. Alors la fiction a tout piqué à la réalité. En l’enjolivant ou en la noircissant, au choix.

À la fin du xixe siècle et même au début du xxe , le flic est surtout un ancien militaire! C’est après son service, voire sa carrière, que le militaire se dit que ça va bien cinq minutes de saluer le drapeau et l’officier. Le troufion veut bien continuer à servir la France, mais il aspire à un quotidien plus apaisé. Ce qui tombe bien, puisque la Police trouve en l’ancien soldat une recrue de choix : discipliné, habitué à la bagarre, solide, taillable et corvéable à merci.

La Préfecture de Police privilégie chez ses policiers le dossier militaire. En retour elle offre un emploi stable dans la fonction publique, une discipline ferme, mais moins féroce, et la mission exaltante de poursuivre le crime!

L’arsenal de base du néo-flic a quelque peu évolué. Il  reçoit toujours une carte tricolore. Elle était majestueuse, elle a aujourd’hui le format d’une carte de crédit et comporte une puce électronique. Y était libellé: « Service de sûreté», de forme ovale, et enjoignait «de prêter main-forte au porteur» de ladite carte. Les menottes sont fournies. C’est un progrès, au début du 36 le policier devait acheter, ou fabriquer, lui-même le «cabriolet»: une chaîne avec deux morceaux de bois immobilisant par torsion les poignets du malfaiteur. L’armement a évolué fortement. On est passé de «pas du tout armé» à «flingue à la ceinture».

Petite mise au point: si le policier de 1900 n’est pas armé, ce n’est pas parce que la criminalité est moindre, que le voyou est inoffensif. Non, c’est parce que l’administration a un train de retard sur la société… Enfin, un train… disons deux, et n’en parlons plus. Car on tue à tout va durant la fin du siècle et la Belle Époque. Et le préfet de Police ne voit pas l’intérêt d’armer ses hommes… C’est d’ailleurs aussi valable pour les agents en uniforme: une bonne matraque, et basta ! Il faudra attendre 1912 pour comprendre que la réponse du voyou à : «Rends-toi, Police!» est: «Parle à mon colt, ma tête est malade!» Alors, à quoi il ressemble le flic des débuts du 36? Avant tout à Monsieur tout le monde! Car l’obsession du policier est de ne pas se faire repérer, de pouvoir arrêter son gibier sans risquer de le voir fuir, ou pire de mettre fin à sa carrière administrative d’un maître coup de surin (couteau). Un préfet dont nous reparlerons, Louis Lépine, a poussé le vice jusqu’à inventer un «examen de binettes». C’est un concours de tronche: le préfet (1,40 m au garrot) passe entre les rangs des futures troupes. Ces hommes se croient tirés d’affaire, ils ont réussi le dur concours de la PP, mais le verdict tombe:

– Trop grand! À une époque où la taille moyenne d’un homme est d’1,67 m, le géant d’1,75 m est viré!

– Faites-vous pousser la moustache!

– Trop gros!

– Trop petit!

– Trop beau!

La tête basse, les recalés doivent quitter l’administration de leurs rêves.

Et cela a duré! Jusque dans les années 1960, l’examen de binettes est la règle. On ne plaisante pas avec la discrétion au 36 !

Ni avec les résultats.

L’avènement d’un certain Nicolas S au ministère de l’Intérieur a amené en 2002 la comptabilité policière. En termes plus clair, la politique du chiffre! Plus tu arrêtes, plus tu passes pour supercop ! (Bon, O.K., c’est un peu plus complexe, prière de consulter votre criminologue habituel.) Et 120 ans auparavant, c’était pareil! Le policier qui ne ramène pas du gibier est comme le chasseur bredouille, un peu considéré comme un pauvre type. Cela ne se nommait pas «politique du chiffre», mais «faire des crânes».

Au sein du 36 tout neuf, c’est la brigade de la Voie Publique qui est sommée de ramener au dépôt le plus grand nombre de prises. Elle va élever le flag en véritable art. Le flag ? Le flagrant délit bien sûr, le nirvana du policeman, son Graal. La VP (l’acronyme est au policier ce que les carottes sont au bœuf) est la reine de la rue. Ses 15 agents arpentent Paris nuit et jour. Ils connaissent chaque recoin du Paris-sur-Crime, les endroits où opèrent les pickpockets, ceux où la prostituée vient se vendre, le coin « à rupins» (riches) qui attire l’agresseur, l’hôtel propice aux visiteurs de chambre, le quartier où ça cambriole sec… «On décarre, il y a de la chaussette à clous dans le secteur.»

Le surnom vient des grosses chaussures que portent certains policiers, équipées de clous pour ne pas glisser par mauvais temps… C’est pratique, mais repérable. L’agent en civil, le « bourgeois», ou l’inspecteur de la Sûreté, n’a plus qu’à s’en aller, il a été «détronché».

Une seule solution: le camouflage! Et le maître du camouflage, c’est Rossignol ! L’inspecteur Gustave Rossignol, dit «l’Oiseau-mouche» (après on dira que la Police n’a pas d’esprit!), sévit de  1875 à  1894. Devinez quoi? C’est un ancien militaire.

Ce pur Parigot a le verbe argotique, haut et sonore. Il peut se transformer en tout! Parti du deuxième étage du 36 en policier anonyme, avec son costume noir, son chapeau et sa cravate, il se transforme en un instant en un ouvrier. Il tire une casquette de sous sa veste, enfile la blouse qui lui faisait un gros ventre de bourgeois et devient un «populo » indétectable, un ouvrier sans doute… Le soir même, son gibier fermement menotté, il revient au Quai en cocher de fiacre!

Une épée, un as, les voyous se découvrent devant lui et l’appellent papa ! J’exagère à peine… Il est fort, l’oiseau!

Extrait de "Les dessous du 36" de Matthieu Frachon, aux éditions du Rocher

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