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Au delà de la désindustrialisation, les marques victimes de l'ère du zapping
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EDITORIAL

Il y a 20 ans jour pour jour l'usine Renault-Billancourt devait fermer ses portes. Depuis, d'autres industries ont subi la dure loi du marché... Et doivent désormais faire face à un nouveau péril.

Alain Renaudin

Alain Renaudin

Alain Renaudin dirige le cabinet "NewCorp Conseil" qu'il a créé, sur la base d'une double expérience en tant que dirigeant d’institut de sondage, l’Ifop, et d’agence de communication au sein de DDB Groupe.

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Il y a exactement 20 ans, le 27 mars 1992, la dernière voiture sortait de Renault Billancourt. Le site fermera 4 jours plus tard, le 31 mars 1992. Avec regrets, les ouvriers tourneront la page sur 60 ans d'histoire de l'industrie automobile.

C’est proche et lointain à la fois. Navire amiral mythique de Renault, mais au delà, de toute l’industrie automobile française, la fermeture de l’île Seguin fut un des symboles avant-gardiste de la désindustrialisation.

Comme une rencontre dans le temps, dimanche soir, l'émission d'M6 « Enquête Exclusive » nous livrait un portrait absolument sidérant et vertigineux de Detroit, la mythique capitale automobile américaine devenue ville fantôme en quelques années de crise. Usines désaffectées, magasins abandonnés, maisons en ruine, rues sauvages, écoles silencieuses, la ville est devenue un énorme terrain vague, en friche.

A Détroit nous nous rendons bien compte qu’il ne s’agit pas de préserver par perfusion publique un ou deux sites en difficulté, mais à quel point une filière économique, industrielle en l’occurrence, est un poumon générateur de vie, d’échanges, de développement, mais aussi de liens et d’attachement. Lorsque l’entreprise s’arrête, la ville s’éteint.

Les sites de production sont des bassins d’emplois, mais ce sont aussi des ciments sociaux et des socles identitaires. Michelin à Clermont-Ferrand, l’aéronautique et Airbus à Toulouse, le textile à Roubaix, la métallurgie en Lorraine, les chantiers navals à Saint Nazaire, le Champagne à Reims, le vin à Bordeaux, la porcelaine à Limoges, la distribution à Lille, l’industrie pharmaceutique à Lyon, la Marine à Brest, PSA à Sochaux ou Aulnay, Renault à Billancourt … Toyota à Valenciennes. (poursuivez la liste). 

Avec la désindustrialisation et la tertiairisation de l’économie, les entreprises et les marques ont simultanément, imperceptiblement, perdu en liens affectifs. Notre relation aux services est différente, nécessairement plus distante, plus immatérielle. Et s’il s’agit de produits, lorsque ceux-ci sont fabriqués ailleurs, le lien à la marque s’est lui aussi distancié, géographiquement et relationnellement.

Si la ré-industrialisation est un enjeu économique et social, c’est aussi un enjeu de marque, de relations clients. La relation aux marques s’opère désormais via l’achat et l’usage, et non plus par la production. En délocalisation, les entreprises et les marques ont perdu en proximité, leur fameuse « relation client » s’est en partie virtualisée. Elles ont besoin de se ré-incarner, de recréer du lien, de l’ancrage, le « community management » des réseaux sociaux n’y suffira pas. Des marques virtuelles, des marques fantômes, des marques transparentes à qui on ne peut même plus parler, des marques sans voix, avec des touches, des marques à qui on dit son attachement en cliquant sur des boutons via des portails soi-disant communautaires remplis d’amis inconnus. Des marques qui vous rendent cette « affinité » au mieux en offres promotionnelles et privilèges, le plus souvent en une multitude d’incitations à la dépense … achètes moi si tu m’aimes.

Aujourd’hui, le danger des marques, c’est la banalisation, l’indifférence et le zapping. Le fait d’être « aimées » ne les protégera pas assez. Nous vivons l’émergence de cette culture du zapping, et de nombreuses études auprès des consommateurs montrent l’érosion de l’image des marques et des entreprises (le contexte médiatico-politique actuel le confirme). Une culture conjoncturelle qui n’est pas propre aux marques, mais dont celles-ci ne sont pas exemptes. Faire défiler, latéralement, avec l’index est d’ailleurs, même du point de vue de la gestuelle, très révélateur de cette culture de la relation instantanée et superficielle. On fait glisser comme on balaye d’un revers de la main.

Le défi de l’industrie ne se limite donc pas à l’industrie. La désindustrialisation a aussi généré une forme de distanciation avec les entreprises et les marques, y compris pour le secteur des services. Même les produits Apple tant aimés aujourd’hui ont des cycles de fabrication invisibles. Si nous avions l’habitude de voir les chaines de montages de l’industrie automobile, nous ne connaissons pas les usines Apple, nous exigeons la traçabilité de nos produits alimentaires, mais surtout ne nous montrez rien.

Les marques doivent se reconstruire, recréer du lien, de l’aspérité, et pas uniquement via l’usage. L’entreprise doit retrouver sa place, retrouver les moyens de reprendre de l’emprise sur la société, sur nos quotidiens. Si ce n’est par des sites de production, qui eux aussi s’automatisent, ce doit être en tant que parties prenantes agissantes via leurs responsabilités sociales, économiques et environnementales, via le contact humain de leurs collaborateurs, de leurs front office, de leurs réseaux (comme tentent de le faire les opérateurs télécoms face à Free). Des marques-parties prenantes incarnées par leurs dirigeants et leurs collaborateurs, vis-à-vis de l’externe mais aussi en interne, où là aussi les liens se sont distanciés entre équipes, entre salariés, et entre les salariés et leur propre entreprise. 

En 1936, le front populaire gagne les élections législatives. Les mouvements de contestation s'amplifient dans le monde ouvrier. Renault-Billancourt, avec la plus forte concentration de grévistes du pays est à la pointe de la lutte ouvrière dans le pays, et le restera jusque dans les années 80. Face à cela les ouvriers du tertiaire sont des armées d’anonymes sur les esplanades de la Défense ou des quartiers d’affaires. Les ouvriers en noir et blanc de nos « informations » d’antan étaient aussi anonymes bien sur, mais curieusement, des anonymes à visages humains. Doisneau et Pagnol ne sont plus là en 2012 pour illustrer le monde ouvrier, nous avons Mélenchon !

Hier on fêtait la millionième 4L sortie de Billancourt, aujourd’hui Apple fête le 25 milliardième téléchargement d’application. La nature de la relation change, mais ce qui demeure, c’est que nous restons fait de chair et d’os. Notre monde s’est digitalisé, virtualisé, et je ne suis pas sûr que cela nous plaise tant que ça.

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