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Wolfgang Schauble met en garde contre une nouvelle crise financière mais oublie allègrement le coût pour l’Europe de l’ordoliberalisme allemand qu’il incarnait
©Reuters

Auf wiedersehn Herr ministre des Finances

Alors qu'il était en poste depuis 2009, l’intraitable ministre des Finances de l'Allemagne va prendre la présidence du Bundestag. Figure emblématique de l'orthodoxie budgétaire et de l'austérité, il a mis en garde, avant son départ, contre les risques de crise financière , face à "l'accumulation de quantités toujours croissantes de liquidités et la croissance des dettes publiques et privées".

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, doit prendre la présidence du Bundestag, le Parlement allemand, après avoir occupé le poste de ministre fédéral des finances pendant huit ans. Dans un entretien au Financial Times, pour ses "adieux européens", il a mis en garde contre les risques de crise financière , face à "l'accumulation de quantités toujours croissantes de liquidités et la croissance des dettes publiques et privées" dans le monde entier. Que peut-on retenir de la politique de ce "père fouettard" très apprécié outre-Rhin?

Christophe Bouillaud : Bien sûr, sur le plan européen, on retiendra sans doute son obstination à faire respecter les traités signés dans les années 1990 et leur orientation « ordo-libérale ». Toute son action semble avoir été inspirée par un refus obstiné des déficits publics et par la volonté que la solidarité européenne s’opère sous de strictes conditionnalités et ne soit pas l’occasion d’une charge supplémentaire pour les contribuables allemands. Sa vision anti-keynésienne de l’économie, ou faut-il dire ante-keynésienne de l’économie, n’aura pas aidé à relancer l’économie du continent. Il n’a jamais d’ailleurs pensé l’économie continentale comme autre chose que la juxtaposition d’économies nationales. Il faut tout de même souligner qu’il n’a jamais souhaité aller jusqu’à la rupture de l’Eurozone. Il semble bien avoir menacé les autorités grecques en ce sens, mais il n’en a pas fait son unique combat.

Et, puis sur le plan allemand, c’est l’homme du « déficit zéro ». Ce qu’il a cherché à imposer aux autres pays par les nouveaux traités et règles européennes  adoptées depuis 2010, à savoir le déficit le plus faible possible,  il a réussi à le faire en Allemagne. On aura beau souligner les déboires des infrastructures publiques en Allemagne faute d’investissements de la part de l’Etat, le Ministre s’enorgueillira toujours de sa capacité à ramener le déficit public au minimum. C’est aussi l’homme qui n’a jamais remis en question la vertu du modèle allemand d’une économie tirée par les exportations, au grand dam de la planète entière voyant s’accumuler les excédents courants allemands année après année.

Bref, du point de vue de bien des Allemands, il a incarné parfaitement l’ordo-libéralisme, et aux yeux de beaucoup de gens hors d’Allemagne, une incapacité extraordinaire à sortir de ses certitudes, sauf lorsqu’un rapport de force lui était défavorable.

Dernier membre d’une génération de conservateurs allemands faisant de la construction européenne une priorité de la politique extérieure de la République fédérale, quel impact son départ aura-t-il sur la zone euro?

Tout dépend bien sûr de qui va le remplacer aux Finances. Il semble que les libéraux du FDP veulent ce poste en priorité, alors même qu’ils sont une ligne encore plus dure, si possible, que W. Schäuble. En particulier, non seulement ces derniers ne veulent en aucun cas comme ce dernier d’une « union de transferts », mais, en plus, ils déclarent qu’ils seraient prêts à accepter la sortie d’un pays de la zone Euro, plutôt que d’être solidaire avec ce pays comme cela a été fait depuis 2010 pour la Grèce. De fait, le résultat des élections allemandes, qui a donné une large prime aux partis militant pour l’absence de solidarité européenne (FDP et AfD), va clairement dans ce sens-là. Il faut dire aussi que, pour une partie des plus conservateurs et libéraux en Allemagne, le Ministre n’a pas su protéger les intérêts des épargnants allemands, puisque, de fait, il a accepté la politique monétaire accommodante de la BCE, largement justifiée elle-même par les difficultés de pays comme la Grèce ou l’Italie.

On pourrait donc imaginer un scénario, où le nouveau Ministre des finances à Berlin soit si radical qu’il fasse exploser partiellement la zone Euro. C’est tout de même peu probable : la préservation du statu quo aura la priorité avec une Angela Merkel à la tête du nouveau gouvernement. Par contre, tout ce qui ira vers un début d’ « union de transfert » aura encore moins de chance de se réaliser.

Francophone et francophile, Wolfgang Schäuble ne participera plus à l'Eurogroupe. Est-ce un coup dur pour la France et Emmanuel Macron?

Là encore, tout dépend de qui va le remplacer et aussi de la tonalité générale du nouveau gouvernement allemand. Il faut bien dire que les négociations en matière de ligne européenne risquent d’être ardues : le FDP veut bien un peu plus d’intégration européenne pourvu qu’elle ne coûte vraiment rien aux contribuables allemands, et à l’inverse, les Grünen sont très favorable à beaucoup plus d’intégration. Plus généralement, on peut d’ailleurs se demander comment la « coalition jamaïcaine » comme on dit en Allemagne va pouvoir tenir debout. A. Merkel a déjà dû donner des gages sur la limitation de l’immigration à son partenaire de la CSU. Comment cela sera-t-il compatible avec l’idéologie d’ouverture des frontières et de respect des droits de l’homme des Grünen ?

De fait, Emmanuel Macron ne saura vraiment à quoi s’en tenir que lorsque la tonalité générale de ce futur gouvernement sera compréhensible.  Si elle respecte le virage à droite de l’électorat allemand, cela sera une bien mauvaise nouvelle pour lui, car cela rendra toute avancée européenne illusoire ou presque. Si les équilibres parlementaires font que les Grünen arrivent à maintenir le nouveau gouvernement sur  un cap d’intégration européenne, les grands projets annoncés d’Emmanuel Macron auraient plus de chance d’aboutir. En même temps, il faut se rappeler que ces projets européens d’Emmanuel Macron sont largement issus du vieux projet français d’un « gouvernement économique » de l’Union qui permettrait de transférer la gestion keynésienne de la conjoncture au niveau européen, or, par l’adoption de la nouvelle loi travail, Emmanuel Macron met aussi en œuvre la stratégie de dévaluation interne, jadis appelé la « désinflation compétitive » dans les années 1980, qui permettra, si elle est menée à terme, à l’économie française de se passer de cette gestion keynésienne de la zone Euro. Après tout, si la France devient une « Allemagne bis », à quoi bon une européanisation de la gestion de l’économie ? 

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