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Jour de grogne pour les fonctionnaires : mais qu’est-ce qui serait vraiment juste en matière de pouvoir d’achat relativement aux autres Français ?
©Reuters

Mouvement de grève

5.4 millions de personnes ont été appelées à manifester ce mardi, par les différents syndicats, contre la hausse de la CSG annoncée. Contrairement aux salariés du privé, de nombreux fonctionnaires s'estiment lésés, faute de compensation. Mais cette compensation serait-elle forcément synonyme d'équité vis-à-vis des employés du privé ?

Jacques Garello

Jacques Garello

Jacques Garello est professeur émérite à l’Université Aix-Marseille, président d’honneur de l’ALEPS, et auteur de l’ouvrage Le vote libéral (coll.Libréchange). 

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico.fr : Les syndicats de la fonction publique ont lancé un appel à la grève pour la journée du 10 octobre 2017. Ils fustigent les "mesures négatives" qui "s’accumulent pour les agents de la Fonction publique". Quels sont ces "mesures négatives " qu'évoquent les syndicats? Et quelles sont leurs revendications?

Jacques Garello : Premier argument, la stagnation de leur pouvoir d'achat. Ils sont restés plusieurs années sans augmentation de salaire. Depuis que François Hollande a terminé son mandat, il y a eu deux augmentations de 0.6% du point d'indice. Celle qui est intervenue environ en octobre 2016 et l'autre juste avant les élections présidentielles afin de démontrer que ce quinquennat était bien un quinquennat de gauche. Le deuxième argument est de protester contre la menace de diminuer de 150 000 le nombre de fonctionnaires. On rappelle que nous avons un taux de service public et de fonctionnaires supérieurs à tout ce que l'on peut trouver dans les autres pays d'Europe. En réalité, il faudrait en supprimer davantage. La procédure normale étant de réduire le périmètre de l'Etat. Les fonctionnaires grossissent avec l'État et le font grossir puisque c'est de l'Etat même qu'ils tirent leurs emplois et leur pouvoir d'achat. À l'heure actuelle, on vient d'ajouter au budget 10 000 postes dans l'Éducation nationale. Ce n'était pas prévu et au lieu de dégraisser le mammouth, on continue à l'engraisser. 

Le troisième reproche se situe par rapport à la fiscalité et la CSG puisque à la différence du secteur privé qui bénéficierait d'une compensation à la hausse de la CSG, les fonctionnaires n'en bénéficient pas. Ils songent à cette nouvelle ponction fiscale bien que son poids soit quand même tout à fait ridicule. Ils veulent améliorer leur pouvoir d'achat, et ne veulent pas d'impôts nouveaux. A la veille de cette journée de mobilisation des fonctionnaires, le Premier ministre est revenu sur Europe 1 sur l'action du gouvernement. Il affirme que la CSG ne sera pas répercutée sur le salaire final « en diminuant les contributions qui sont calquées sur les cotisations salariales » pour les agents qui en ont, et « par un versement de prime » pour ceux qui n’ont pas de contributions. La hausse de la CSG et la baisse des cotisations salariales n'impactant que très peu, les revendications des fonctionnaires ainsi que le geste promis par le premier ministre à leur égard vous semble-t-il justifiés, légitimes ?

Éric Verhaeghe : Les sujets de mécontentement sont nombreux. Le premier est la compensation imparfaite par Emmanuel Macron de la hausse de la CSG. Macron avait promis la revalorisation du point de la fonction publique, qui est aujourd'hui perdue dans les limbes. Parallèlement, le jour de carence va être rétabli. La modération dans la hausse des dépenses publiques, rebaptisée pompeusement baisse des dépenses publiques dans la novlangue gouvernementale oblige à de relatifs gains de productivité, notamment dans les hôpitaux. Tout cela nourrit un climat d'insatisfaction visible. Dans certains secteurs, la grogne est plus forte car elle est politique. C'est le cas à l'Éducation Nationale où Blanquer, de façon salutaire, bouscule la culture ambiante et le ronron pédagogiste. Tous ces éléments montrent une déception incontestable des fonctionnaires vis-à-vis de leur Président de la République. Beaucoup ont voté pour lui et s'aperçoivent qu'il se montre moins dévoué ou attentif à la cause de la fonction publique qu'ils ne pouvaient l'espérer. Voilà pourquoi les fonctionnaires expriment un ras-le-bol. Mais il faut attendre de voir l'ampleur des dégâts, qui est encore très incertaine aujourd'hui. La grogne des états-majors ne se traduit pas forcément par un fort taux de participation à la grève.

A la veille de cette journée de mobilisation des fonctionnaires, le Premier Ministre est revenu sur Europe 1 sur l'action du gouvernement. Il affirme que la CSG ne sera pas répercutée sur le salaire final « en diminuant les contributions qui sont calquées sur les cotisations salariales » pour les agents qui en ont, et « par un versement de prime » pour ceux qui n’ont pas de contributions. La hausse de la CSG et la baisse des cotisations salariales n'impactant que très peu, les revendications des fonctionnaires ainsi que le geste promis par le premier ministre à leur égard vous semble-t-ils justifiés?

Jacques Garello : Ce que dit le Premier ministre, c'est qu'afin de rassurer les fonctionnaires apeurés par les nouveaux impôts, ils leur seront versés des primes pour compenser. Le gouvernement se comporte comme il le fait depuis le début, c'est un pas en avant, deux pas en arrière. Les réformes sont faites, mais elles sont aussitôt annulées par des mesures compensatoires.

On parle de personnes qui bénéficient de la sécurité de l'emploi. Qui ont des systèmes de retraite en dehors du régime commun et beaucoup plus favorables (le calcul se fait sur la fin de carrière et non sur les 25 années). M. Macron avait promis d'unifier le régime, mais pour le moment les actions n'en prennent pas la route. D'autant que la productivité des fonctionnaires est, comme le démontre la Cour des comptes, négative. En parti parce qu'ils sont trop nombreux.

Éric Verhaeghe : Il est dommage que le débat ne s'ouvre pas clairement sur la protection sociale des fonctionnaires, qui est pourtant au coeur du sujet de la CSG. La portée et le coût de celle-ci sont systématiquement escamotés ou mal expliqués aux Français, pour des raisons qu'on peut comprendre. Il est difficile de faire enfin comprendre aux Français qu'ils sont les dindons d'une farce qui se joue tous les jours sur leurs dos. Peu de Français savent par exemple qu'ils cotisent sans le savoir pour la retraite très favorable des fonctionnaires. Rappelons que, dans la fonction publique, la retraite est calculée sur le salaire des six derniers mois. On ne compte plus les promotions de complaisance accordées quelques mois avant le départ à la retraite pour majorer artificiellement le montant de la rente servie pendant plus de 20 ans en moyenne. Ces petits arrangements se font avec l'argent des contribuables, puisque, bon an mal an, le déficit financier des "pensions civiles" s'approche grandement des 40 milliards, piochés allègrement dans la poche des Français.

Autrement dit, la "solidarité" des salariés du privé est largement sollicitée pour financer la protection sociale des fonctionnaires. Personne n'a dit aux salariés du privé qu'on leur avait demandé d'importants efforts pour financer leur propre retraite et celle des fonctionnaires. La même dissymétrie existe pour la maladie, où l'absence de jour de carence favorise fortement les fonctionnaires. Cette absence explique largement l'absentéisme dans les hôpitaux. Vu ce contexte, le gouvernement donne donc le sentiment d'être prisonnier du lobby des fonctionnaires lorsqu'il annonce des hausses rémunération pour compenser la hausse de la CSG.

Si on raisonne en termes d'égalité et d'équité entre français, qu'est ce qui serait juste pour les fonctionnaires, notamment en terme de pouvoir d'achat?

Éric Verhaeghe : Je crois qu'il faut demander clairement aux fonctionnaires de se positionner. Soit ils souhaitent des revalorisations de salaire, ce qui peut s'entendre. Mais ils doivent accepter d'entrer dans des logiques de productivité et de gain de productivité. Il faut donc qu'on discute temps de travail, flexibilité de l'organisation, amélioration des performances individuelles. Sur tous ces points, la contrepartie des revalorisations de salaire doit être transparente: il faut travailler plus et mieux. Rappelons que le service public ne mesure que rarement le temps de travail de ses agents. Là où la mesure existe, la durée du travail est généralement inférieure à celle du secteur privé. C'est notamment le cas pour l'hôpital public, où l'on parle beaucoup des conditions de travail, mais très peu des congés qui sont pléthoriques.

Si les fonctionnaires demeurent fermés à ses raisonnements, je ne vois pas pourquoi les salariés du privé ou les indépendants accepteraient une nouvelle augmentation des dépenses publiques sous la forme de hausse de salaires pour les fonctionnaires. Celle-ci, accordée sans contrepartie, est toujours cataclysmique. Ce fut le cas lorsque Lionel Jospin était ministre de l'éducation nationale, en 1990, par exemple. Il avait accordé une revalorisation générale de salaires aux instituteurs, sans contrepartie. Dix ans plus tard, les performances de l'école publique dans l'apprentissage de la lecture s'effondraient. C'est la meilleure réponse que l'on puisse apporter aux revendications des fonctionnaires: leur rappeler qu'ils sont au service de la Nation, et non l'inverse.

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