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Pourquoi les mésaventures apparentes de Theresa May ne doivent pas faire oublier les atouts de son projet de Global Britain
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Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXè siècle.

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Londres, 8 octobre 2017

Les mésaventures de Theresa May

Mon cher ami, 

Vous avez entendu parler des mésaventures de Theresa May, mercredi dernier, lors de son discours de clôture de la Conférence annuelle du parti conservateur.  Le Premier Ministre devait définitivement réaffirmer son autorité après une élection ratée, en juin dernier et les difficultés qu'elle a éprouvées à trouver une position médiane sur le Brexit, entre la position modérée du Chancelier de l'Echiquier Philipp Hammond et la position dure de Boris Johnson, ancien Maire de Londres et Ministre des Affaires étrangères. Or, loin d'être le succès espéré, le discours a tourné à la catastrophe. On ne parle pas du contenu, ferme mais un peu terne, qui est la marque des discours de Madame May. Mais de la tournure qu'il a pris. Le Premier Ministre est devenu inaudible à plusieurs moments importants de son discours, tant elle était sous l'emprise d'un coup de froid; elle a même été prise d'une violente quinte de toux. Pour aggraver le malaise, un trublion s'est précipité vers la scène en tendant à Theresa May un formulaire d'inscription au chômage. Et, comme si cela n'avait pas suffi, neuf lettres du slogan de la conférence "Building a country that works for everyone" se sont détachées du panneau derrière la scène, laissant apparaître un "Bui ding a c  ntry that  orks  or   ryon " qui fera la joie des chansonniers pendant des mois. Pouvait-on imaginer un déroulement plus inattendu et une situation plus gênante pour un Premier Ministre en mal d'autorité? 

Theresa May a réagi avec dignité et humour et repris pied dans les médias. Mais ceux-ci bruissent des intrigues qui se sont réveillées au sein du parti conservateur. Jeudi soir, trois ministres du gouvernement se seraient réunis pour comploter contre Madame May. L'on se demande de plus en plus si cette dernière ne va pas procéder à un remaniement de son gouvernement afin de se débarrasser de Boris Johnson, au risque d'avoir en dehors du gouvernement son plus dangereux rival. 

Le Brexit continuerait même sans Theresa May

Imaginons que Theresa May soit renversée - je n'en suis pas certain - cela devra-t-il être interprété comme un mauvais signe pour le Brexit? Les partisans du Remain pourront-ils redresser la tête? Depuis le départ, nombreux sont les observateurs continentaux qui parient sur l'échec du Brexit et imaginent un nouveau gouvernement britannique venant piteusement, à Bruxelles, annoncer qu'ils renoncent à faire sortir leur pays de l'Union Européenne. 

Je crois pour ma part que c'est se méprendre complètement sur ce qui se passe chez nous. Theresa May n'a pas perdu la majorité conservatrice aux élections de juin dernier parce qu'elle aurait trop défendu le Brexit mais parce qu'elle n'a pas réussi à convaincre une partie de l'électorat populaire qui avait voté pour la sortie de l'Union Européenne de voter pour les conservateurs: ils ont préféré voter pour Jeremy Corbyn, qui dénonçait plus franchement que sa rivale les inégalités sociales qui affaiblissent la société britannique. Si une majorité de députés conservateurs votaient le renversement de Theresa May et son remplacement  par Boris Johnson ou un autre, ce serait pour lui reprocher de ne pas avoir réussi à imposer son autorité au sein du parti. Les négociations sur le Brexit continueraient et il est peu probable qu'elles prendraient un autre tour. 

Les premiers mois de la négociation entre David Davis  et Michel Barnier ont en effet connu une avancée très lente des négociations. La Commission européenne campe sur des positions de principe alors que les Britanniques voudraient avancer rapidement vers un nouveau traité de commerce. Ce qui importe surtout à M. Barnier, c'est d'obtenir un engagement financier de la Grande-Bretagne; Madame May, dans son récent discours de Florence, a envisagé que la Grande-Bretagne puisse, jusqu'à sa sortie effective de l'Union européenne, verser encore 18 à 36 milliards de livres, pour tenir compte des engagements pris par le pays. Monsieur Barnier réclame lui, au nom de l'UE, 90 milliards de livres. Il faut dire que la Grande-Bretagne est contributeur net au budget de l'Union et que ses versements représentent 12% du total. Il y a bien entendu la main de l'Allemagne derrière cette exigence; mais, plus globalement, l'UE est terrifiée par les conséquences financières d'un départ de la Grande-Bretagne. 

Le temps joue pour la Grande-Bretagne

On lit souvent que Bruxelles joue la montre et pense que la Grande-Bretagne ne peut pas se permettre des négociations qui durent ni un échec. Ne verrait-on pas, alors, des dizaines d'entreprises et de banques quitter Londres pour ne pas vivre dans l'incertitude juridique, commerciale, financière? J'ai tendance à penser, pour ma part, que la pression est encore plus forte sur l'Union Européenne que sur la Grande-Bretagne. Il y a la pression bugétaire, que je viens d'évoquer; il y a ensuite le risque, plus le temps passera, que le front apparemment uni au sein de l'Union pour avoir une position dure face à la Grande-Bretagne finisse par se fissurer.. Nul ne sait, par exemple, comment va évoluer la position allemande. Madame Merkel, si elle est reconduite à la Chancellerie à la tête d'une coalition composée des Chrétiens Démocrates, des Verts et des Libéraux, sera certainement poussée par son partenaire libéral à faire peu de concessions à la France et à trouver un terrain d'entente avec la Grande-Bretagne. Mais ce n'est pas la seule carte que peut jouer la Grande-Bretagne - Madame May aurait intérêt à inviter la Chancelière Merkel à Londres dès sa reconduction. Deux viennent immédiatement à l'esprit: la Pologne, la Tchéquie et la Hongrie prennent de plus en plus leurs distances avec l'Allemagne et elles se méfient toujours plus de la bureaucratie bruxelloise - elles auront tendance à resserrer toujours plus le lien avec l'OTAN et, de ce point de vue, la Grande-Bretagne est, avec les Etats-Unis, la meilleure garantie d'un ancrage occidental face à la Russie perçue comme une menace. Deuxième exemple; la présence britannique en Méditerranée reste importante; de plus en plus, Espagne, Italie, Grèce vont vouloir contrôler le flux des migrants potentiels et l'expérience britannique dans la région, autant que la marine de Sa Majesté seront des auxiliaires précieux. Tout se conjugue donc pour que, le temps passant, les soutiens à la Grande-Bretagne au sein de l'Union Européenne augmentent, après le point bas des lendemains du Brexit. On pourrait même se demander dans quelle mesure l'Union Européenne existera encore dans son périmètre actuel d'ici cinq ans. Il y aura peut-être d'autres "leavers", rendant le cas de la Grande-Bretagne moins exceptionnel. 

Global Britain

Je ne sous-estime pas les faiblesses des individus ni la capacité du parti conservateur à se déchirer. Je n'ignore pas la méchanceté des bureaucrates chargés de négocier le Brexit. Lorsque David Davis fait appel au pragmatisme et à la bonne foi de ses interlocuteurs, il se fait peut-être les mêmes illusions que ses prédécesseurs quand ils allaient négocier avec des représentants du bloc soviétique. Les bureaucrates de tous les pays se ressemblent - et il est frappant de voir que les gouvernants européens ont peur d'affronter le gouvernement britannique; ils envoient leur garde technocratique devant eux. Seule une négociation dure, sans concessions, permettra de faire aboutir un Brexit qui serve les intérêts britanniques. Mais il ne faut jamais oublier les atouts britanniques, qui sont considérables: 

1. à condition d'investir dans leur modernisation, le pays est doté d'un des meilleurs réseaux d'infrastructures routières, ferroviaires et portuaires au monde; 

2. La démographie reste dynamique et le pays sera, en 2060, plus peuplé que l'Allemagne. 

3. Le pays garde la cinquième économie de la planète ; il possède la deuxième capitale financière du monde après New York; et il a les capacités d'investir dans la troisième révolution industrielle. 

4. La Grande-Bretagne est une grande puissance technologique; elle a produit plus de prix Nobel que le Japon dans les dix dernières années; elle a plus d'universités dans les deux cents meilleures du monde que tout autre pays excepté les Etats-Unis. Si elle augmente ses dépenses de recherche et si elle investit comme elle le doit dans son système éducatif, la Grande-Bretagne continuera de s'affirmer, conformément à son histoire, comme un des pays les plus innovateurs au monde. 

5. La Grande-Bretagne est une des puissances militaires de la planète, à la fois parce qu'elle possède l'arme nucléaire, parce que sa marine reste la première d'Europe et parce que l'Empire lui a laissé des positions stratégiques sur tous les Océans. 

6. La Grande-Bretagne est une grande puissance diplomatique, dotée d'un droit de veto au Conseil de Sécurité, extrêmement présente aux postes-clé des organisations internationales. 

7. Enfin, la langue anglaise mais aussi la liberté qui règne dans le pays assure au pays, s'il continue à envisager le monde entier, un rayonnement culturel dont ne dispose aucun  des autres grands pays de l'Union Européenne. 

Vous voyez, mon cher ami, au-delà de ses maladresses et du rôle ingrat qu'elle assume, Theresa May a raison de brandir l'étendard de "Global Britain". Je souhaite qu'elle puisse rester à la tête du gouvernement. Et si les ambitieux ministres qui rêvent de prendre sa place regardent le parti travailliste, ils se rendront compte que Jeremy Corbyn est en train de leur rendre service: à force de vouloir passer pour un "europragmatique", il va perdre son électorat populaire, laissant le champ libre à une nouvelle majorité conservatrice.  C'est pourquoi je ne cesse de répéter à mes amis politiques, ces jours-ci: "Serrons les rangs!" 

Bien fidèlement

Votre très dévoué Benjamin Disraëli

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