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Sursaut anti-indépendantiste en Catalogne : mais au fait, de quelle proportion de Catalans ou d’autres Espagnols la Generalitat est-elle peuplée ?
©PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP

Répartition des populations

La Catalogne a voté pour son indépendance la semaine dernière. Mais tous les Catalans ne se sont pas forcément exprimés. Il peut y avoir une part d'Espagnols fidèles à l'unité du Royaume dans ces manifestations.

Atlantico : Le séparatisme catalan risque de rencontrer la question qui fut soulevée par exemple lors de l'indépendance du Kosovo ou le rattachement de la Crimée à la Russie : la Catalogne est-elle vraiment encore suffisamment catalane ?

Laurent Chalard : Cette question est effectivement très importante et, en même temps, il apparaît très difficile d’y répondre. En effet, pour tout processus d’autodétermination d’un territoire, souhaitant faire sécession d’un Etat plus important, il se pose la question démographique, c’est-à-dire quel est le pourcentage de la population du territoire en question qui peut effectivement revendiquer une " appartenance " à ce territoire. Dans ce cadre, tout le problème revient à la définition de la nation, qu’est-ce qu’une nation ? Nous ne reviendrons pas ici sur un débat pluriséculaire, mais il convient de garder en tête que, selon les territoires, l’élément constitutif de la " nation revendiquée " est très variable : en Irlande du Nord, ce sera plutôt la religion, alors qu’au pays basque espagnol, ce sera plutôt la langue et la culture. En fonction du contexte local, les critères à prendre en compte apparaissent donc variables : le lieu de naissance, la langue parlée, la religion, les pratiques culturelles… ? Concernant la Catalogne, le facteur d’unité nationale est la langue, le catalan, qui se distingue de l’espagnol, se rapprochant plutôt de l’occitan, mais il n’y a pas de statistiques vraiment fiables sur le nombre de personnes dont le catalan est la langue de la vie quotidienne. En conséquence, pour déterminer l’importance démographique du " fait catalan " en Catalogne, il convient d’utiliser un autre critère.  

Le pourcentage de catalans est-il connu ? N'a-t-il pas été sous-estimé par le gouvernement espagnol et trop négligé par le gouvernement catalan ? 

La seule statistique démographique que nous pouvons utiliser pour essayer d’avoir un ordre de grandeur du pourcentage de " catalans " en Catalogne, car elle a une fiabilité certaine, est le nombre de personnes nées en Catalogne. Cependant, il faut avoir à l’esprit, que cette donnée ne correspond pas exactement au nombre de " catalans ", puisqu’un certain nombre d’espagnols sont nés en Catalogne, l’immigration interne étant ancienne, et qu’il y a aussi parmi les habitants de Catalogne nés ailleurs en Espagne des " catalans ", même si leur nombre doit être moindre que les premiers. Le chiffre de " catalans ", que l’on peut déduire de ces statistiques, doit donc être légèrement supérieur à la réalité. En 2016, selon les données de l’institut statistique de Catalogne, le nombre de personnes nées et résidant en Catalogne est de 4,88 millions sur 7,52 millions d'habitants, soit environ 65 % de la population. Les " catalans "  seraient donc toujours majoritaires dans l’ensemble du territoire, mais ils constituent une majorité (rappelons-le, légèrement surestimée par les données statistiques utilisées), qui est loin d’être écrasante. Pour les autres populations, il y a 1,35 million de personnes nées dans le reste de l’Espagne, soit 18 % de la population de Catalogne, dont près de 600 000 nées en Andalousie. Enfin, concernant les personnes nées à l’étranger, elles sont au nombre de 1,29 million, soit 17 % de la population de la communauté autonome.

Effectivement, le gouvernement espagnol a peut-être légèrement sous-estimé le poids des " catalans " dans l’ensemble de la population de Catalogne, pensant qu’ils n’étaient déjà plus majoritaires, du fait de l’ancienneté de l’immigration nationale et internationale en Catalogne. A contrario, on peut faire l’hypothèse que la donne démographique n’a pas été négligée par le gouvernement catalan, car la précipitation constatée dans la marche vers l’indépendance peut s’expliquer aussi par la peur de n’être bientôt plus assez nombreux pour pouvoir gagner un référendum d’auto-détermination. D’un certain côté, les leaders indépendantistes se disent, c’est maintenant ou jamais !

La Catalogne est-elle autant catalane que le Kosovo est habitée par des Kosovars, la Crimée est habitée par des russes, le pays basque par des Basques et l'Irlande du Nord par des Anglo-saxons protestants ?

Si l’on se base sur des données démographiques, la situation de la Catalogne se situe dans une situation intermédiaire. D’un côté, le caractère " catalan " de la Catalogne est indiscutablement moindre que le caractère albanais du Kosovo ou russe de la Crimée. En effet, au Kosovo, les albanais représentaient environ 90 % de la population au moment de l’indépendance, rendant cette dernière inévitable. De même, en Crimée, au recensement de 2014, 84 % de la population déclarait comme langue maternelle le russe et 68 % se déclarait comme " ethniquement russe ", ce qui sous-entend que la majorité russophone était suffisamment large pour ne laisser guère de place à une opposition. D’un autre côté, le caractère " catalan " de la Catalogne est plus affirmé que dans deux autres territoires européens, dont les velléités sécessionnistes ont mené à des conflits armés de basse intensité par le passé, le pays Basque et l’Irlande du Nord. Au pays basque espagnol, s’il est plus compliqué d’avoir des chiffres précis, le pourcentage de " basques " dans la population totale est moindre que de " catalans " en Catalogne, étant donné la très forte immigration interne qu’a connue la région depuis le XIX° siècle. En Irlande du Nord, la situation est même inverse, puisque les séparatistes catholiques sont minoritaires dans la population, étant moins nombreux que les protestants, ce qui ne légitime pas, pour l’instant, l’indépendance du Royaume-Uni et le rattachement à la République d’Irlande.

La situation démographique de la Catalogne ne rend donc pas impossible une perspective d’indépendance, mais l’importance des " minorités " présentes sur son territoire la rendrait compliquée, avec des risques de conflit certain au sein de la population résidente.

Comment se justifie démographiquement l'énorme manifestation contre l'indépendance de la Catalogne à Barcelone (350.000 personnes environ) ?

Même si une partie des manifestants était originaire du reste de l’Espagne, il n’en demeure pas moins que la manifestation contre l’indépendance qui s’est déroulée à Barcelone le dimanche 8 octobre 2017 a grandement mobilisé, ce qui ne surprend pas plus que cela, étant donné le profil démographique du territoire, que nous venons de décrire. En effet, on se doute bien que les 1,39 millions de personnes nées dans le reste de l’Espagne ont un attachement certain à l’Etat espagnol, sans compter les personnes nées à l’étranger, qui, pour beaucoup ont de la famille dans le reste de l’Espagne et ne sont donc guère motivées à ce que le pays se scinde en deux. Cette situation démographique rend dangereux le problème catalan, car si les extrémistes des deux camps l’emportaient, les choses pourraient dégénérées rapidement.

Mais au fond, une autodétermination peut-elle vraiment être "propre", c'est-à-dire sans rupture nette avec une partie de sa population non-autochtone ?

Par définition, les territoires totalement homogènes " ethniquement " n’existent pas. Dans le cadre d’un processus d’auto-détermination, il y aura toujours des minorités, plus ou moins importantes, selon le contexte local, qui seront incluses dans l’éventuel Etat indépendant. Ce n’est donc pas un argument permettant de dénier le droit à l’indépendance à un territoire, sauf, bien évidemment, si les " minorités " sont majoritaires sur le plan démographique ! Finalement, c’est principalement le pourcentage " d’autochtones " dans la population totale du territoire aux velléités sécessionnistes, qui rend le processus d’indépendance inéluctable ou non. Lorsqu’il est supérieur à 75 %, le processus est inéluctable, en-dessous de 50 %, il n’a pas vocation à aboutir, entre 50 et 75 %, ce qui est le cas de la Catalogne, c’est problématique, demandant réflexion et non précipitation, ce qui a été le cas ces dernières semaines. Quoi qu’il en soit, le principal est que le droit des minorités soit respecté dans le nouvel Etat. 

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