Ententes entre producteurs : “Restons mesurés, certains cartels sont bons pour l’emploi et la concurrence”<!-- --> | Atlantico.fr
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Ententes entre producteurs : 
“Restons mesurés, certains cartels 
sont bons pour l’emploi 
et la concurrence”
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Le (pas tout à fait) pour

L'Autorité de la Concurrence a sanctionné récemment plusieurs ententes entre entreprises dans divers secteurs industriels. Ces cartels s'entendaient pour fixer entre elles un prix minimum. Une façon parfois pour les producteurs de faire face à la grande distribution. Compréhensible ?

Patrick Hubert

Patrick Hubert

Patrick Hubert est avocat spécialisé dans le droit à la concurrence.

Il travaille pour le cabinet d'avocats Clifford Chance à Paris.

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Atlantico : Farines, endives, lessives : l'Autorité de la concurrence a sanctionné récemment plusieurs cartels qui s'entendaient sur les prix. Est-elle dans son rôle ?

Patrick Hubert : L'autorité de la concurrence est évidemment dans son rôle. Le traité européen et la loi française interdisent les cartels (les ententes secrètes entre concurrents sur leurs prix) et l'autorité a été créée (notamment) pour faire respecter cette règle.

Donc elle fait son métier en particulier en s'intéressant aux cartels relatifs aux produits de grande consommation. Il n'y a rien à critiquer dans cette politique, à condition, bien sûr, que les entreprises punies soient bien coupables et qu'elles soient sanctionnées de manière juste, mais c'est une autre question.

Un cartel est-il mauvais en tant que tel ou peut-on imaginer qu'il représente une solution logique contre le pouvoir de la grande distribution ou du jeu de la concurrence qu'implique la mondialisation ?

On oublie que même pour les cartels (l'infraction la plus grave du droit de la concurrence) il devrait y avoir place pour l'intelligence profonde de ce droit qui consiste à soupeser les avantages et les inconvénients pour l'économie des différents comportements. Par exemple, si comme l'avait fait la cour de Cassation il y a longtemps, on considère qu'il y a un marché spécifique du fromage de Cantal, on implique que la concurrence ne se joue qu'entre producteurs de Cantal et qu'il faut donc leur interdire toute entente. Mais si l'on admet que des centaines de productions locales (de fromage, de vin, de fruits etc.) dans le monde se battent pour attirer l'attention des consommateurs, alors il faut changer de dimension.

Il faut peut-être empêcher les producteurs de Cantal de parler aux producteurs de Parmesan, mais on a moins besoin de s'intéresser à ce que font, entre eux, les producteurs de Cantal. Un autre exemple est le comportement en période de crise. Il y a quelques dizaines d'années, les autorités acceptaient qu'un secteur entier vienne les voir en période de surproduction et que l'on discute avec elles d'une réduction coordonnée des capacités pour éviter les faillites. C'était à la fois bon pour l'emploi et bon pour la concurrence ; sinon, à chaque crise de surproduction, un concurrent va disparaître, et l'on finira par ne plus avoir de concurrence du tout. Malheureusement, les autorités sont devenue très fermées à ce type de solution. Les gouvernements, par opposition aux autorités indépendantes, sont plus ouverts et acceptent d'aider les entreprises en difficulté pendant les crises (voir pendant la dernière crise) laissant la concurrence jouer en période normale.

Mais votre question est difficile : les autorités ne doivent pas laisser se constituer des "poches de rente" où, sous prétexte de se "protéger", l'on exploite abusivement le consommateur. Ce qui manque aujourd'hui, c'est une procédure claire qui permettrait à un secteur en difficulté ou à un ensemble de petits producteurs qui, même collectivement, estiment ne pas peser lourd face à leurs clients ou face à la concurrence mondiale, de négocier des règles ad hoc avec les autorités. 

Comment expliquer que ces ententes aient pu perdurer aussi longtemps ?

Traditionnellement, les cartels duraient parce que tous les concurrents en profitaient et que celui qui voulait tricher (en pratiquant des prix inférieurs au prix de cartel) pouvait être puni : les autres n'avaient qu'à déclencher une guerre des prix cordonnée contre lui. La simple crainte d'une telle guerre suffisait à conserver aux cartels leur stabilité. Ce qui a changé, c'est l'institutionnalisation de la délation, en France comme pratiquement partout dans le monde : le premier participant d'un cartel qui vient se dénoncer (et dénoncer les autres) échappe à toute sanction. Du coup,  chacun des concurrents a peur qu'un autre dénonce le cartel le premier et, à cause de cette crainte,  il finit toujours par arriver un moment où l'un des concurrents "craque" et va demander ce que l'on appelle la "clémence" de l'autorité, ce qui permet à cette dernière de punir tous les autres.

C'est ce qui s'est passé dans le cas des farines et dans le cas des lessives et c'est ce qui donne l'impression d'une sorte de feu d'artifice mais qui pourrait ne pas durer une fois que tous les grands cartels historiques seront dénoncés.

Le montant des sanctions est-il suffisamment élevé sachant qu'il représente finalement assez peu au regard des sommes engrangées lors de ces ententes ?

Ce que vous dites était peut-être vrai il y a quelques dizaines d'années. Ce n'est plus vrai aujourd'hui où les sanctions se chiffrent en centaines de millions d'euros (et en années de prison dans certains pays.) Et ne négligez pas deux phénomènes. D'abord l'explosion des demandes de dommages et intérêt de la part des entreprises qui estiment être victimes des cartels : ces sommes s'ajoutent aux amendes. Ensuite, le cartel est maintenant vécu comme un traumatisme au sein de l'entreprise. Les cadres qui s'en sont rendus coupables sont stigmatisés, les actionnaires s'interrogent, les dirigeants sont mécontents de voir la réputation éthique de l'entreprise mise en cause : en tant que praticien, je peux vous dire qu'aujourd'hui, je ne vois jamais d'entreprise se dire "ce n'est pas cher payé, recommençons" ; au contraire, une sanction déclenche des efforts extraordinaires et très coûteux pour éviter que le problème ne se reproduise. Donc, je crois qu'on a atteint maintenant un niveau d'amendes et de stigmatisation qui est efficace.

Comment justifier que le montant des amendes collectées bénéficient aux caisses de l’État et pas directement aux consommateurs lésés ?

Vous trouvez la même chose en matière pénale : l'amende est là pour dissuader et, par ailleurs, des dommages et intérêts sont payés aux victimes pour les indemniser. Cela étant, l'on pourrait imaginer que les amendes contribuent à l'indemnisation, ce qui permettrait à la fois aux consommateurs de disposer de moyens simples pour se faire indemniser et aux entreprises condamnées d'avoir en une seule fois une idée de ce qu'elles auront à payer alors qu'aujourd'hui, une fois la sanction prononcée, il y a parfois des années de procédures devant les tribunaux sur les dommages.

Les ententes entre cartels sont-elles plus nombreuses en France qu'à l'étranger ?

Je ne connais pas d'étude précise à ce sujet. Ce qui est accessible, ce sont les cartels effectivement condamnés, pas les autres qui, par définition, restent secrets. L'Autorité française a un tableau de chasse impressionnant en matière de cartels mais cela peut signifier qu'elle est efficace ou que ses procédures sont adaptées. L'Autorité française s'est concentrée sur les cartels plus tôt que d'autres, qui préféraient travailler sur les clauses restrictives de concurrence dans les contrats commerciaux, y compris la Commission européenne qui n'a fait sa révolution qu'en 2003. Les procédures de clémence sont chez nous déjà anciennes et les investigations sont rendues faciles par une procédure très intrusive. Dans certains pays, les cartels ne sont condamnés qu'à l'occasion de procédures pénales et les juges pénaux sont plus exigeants en matière de preuve que notre procédure administrative.

A mon avis, c'est ce qui peut donner l'impression que les cartels sont particulièrement fréquents chez nous. Mais les jurisprudences étrangères montrent qu'ils existent un peu partout. 

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