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Tout ce que la France gagnerait à ce que nous soyons tous actionnaires
©AFP

Chiche ?

Quoi : tous actionnaires, tous copropriétaires ! Une finance qui serait favorable à la croissance et à l’emploi, avec des refontes de l’ISF et de la fiscalité favorables aux actions ! Il n’est pas bien sûr que cette stratégie soit bien comprise et, moins encore, acceptée en France.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Plus d’argent pour les riches est, en effet, la traduction immédiate ! Et pourtant, il faut bien reconnaître qu’ajouter 45% de taxation sur les plus-values (pour les gros patrimoines), à 4% sur le revenu fiscal, et à 15,5% de CSG conduit à 65% de prélèvement sur les plus-values, ce qui peut être jugé élevé (du Florent Pagny !). C’est d’ailleurs pourquoi les entreprises françaises doivent verser des dividendes importants (et se faire critiquer). Il s’agit pour elles d’attirer et de garder leurs actionnaires, au détriment même de l’autofinancement de leur croissance. Et donc elles doivent s’endetter plus… pour croître autant. Augmenter les dividendes pour aider ses actionnaires à payer l’impôt, et s’endetter ensuite pour investir : il fallait le faire !

On le fait. Il fallait donc revoir cette logique, pas seulement pour faire revenir les capitaux étrangers, mais pour éviter qu’ils ne partent davantage, et surtout pour attirer l’épargne française vers les entreprises cotées et pousser les entreprises non cotées à la cotation. Et ceci au détriment de l’achat d’obligations publiques françaises, placées en assurance vie, et fiscalement avantagées. Un changement qui n’est pas facile à « vendre » !

« La politique de la France ne se fait pas à la corbeille » disait le Général de Gaulle… le 22 octobre 1966. En ce temps, « la corbeille » était le lieu physique (disparu), où les « agents de change » (disparus) cotaient les grandes valeurs. Autrement dit : la politique n’obéit pas à la bourse. Certes, mais les choses ont bien changé en économie, avec la crise, la globalisation et plus encore les nouvelles technologies. La France a besoin plus que jamais d’une épargne longue qui accepte de prendre des risques, sauf à disparaître des chantiers de l’innovation. Et il n’est pas sûr non plus que « la politique » puisse continuer longtemps, sans tenir compte de ce besoin d’épargne, quand on voit l’état de l’économie (et le montant de la dette publique). C’est bien ce que l’on retrouve dans les toutes dernières décisions fiscales et sociales, boursières et politiques, sans que les explications soient claires (et les mesures suffisantes).

De fait, si les cours des actions des sociétés cotées en France, sur le Cac ou sur les autres marchés, ne montent pas vite, c’est bien la preuve que la rentabilité anticipée de l’économie française n’est pas (encore) au rendez-vous. Alors l’épargne locale peut être tentée d’aller voir ailleurs, et celle d’ailleurs de ne pas venir ici. Le Cac 40 progresse en effet lentement, à 5300 points. Il est toujours au-dessous de son maximum de 6944 points, le 4 septembre 2000, du temps de la bulle Internet. Rien à voir avec le Dax (allemand), actuellement à 12700 et toujours en forte progression. Le Dax a plus que doublé depuis début 2010, tandis que le CAC 40 a augmenté d’un tiers depuis la même époque. Comment en sortir ?

Sans soutenir les valeurs françaises, le risque est en effet grand que les actions soient relativement moins achetées par les épargnants français, mais aussi étrangers, offrant ainsi des cibles pas chères, des « perles », que les capitaux chinois n’hésiteront pas à acquérir (dans le luxe, le tourisme, l’hôtellerie, l’industrie…).

Pour l’heure, la France reste moins attirante. Une étude de la Banque de France qui vient de paraître (Christophe Guette-Khitter : « La détention par les non‑résidents des actions des sociétés françaises du CAC 40 à la fin de l’année 2016 », Bulletin n° 213, septembre-octobre 2017), note qu’ « à la fin de l’année 2016, les non‑résidents détiennent 540 milliards d’euros d’actions des sociétés françaises du CAC 40, sur une capitalisation boursière totale de 1 212 milliards d’euros, soit un taux de détention de 44,5 %, en baisse pour la troisième année consécutive. Les non‑résidents vendent pour 1,5 milliard d’euros d’actions du CAC 40 en 2016. À l’inverse, les résidents y investissent à hauteur de 8 milliards d’euros. » Les non-résidents semblent aimer surtout les secteurs pétrole, gaz et matériaux et sortir de l’industrie. 39% des valeurs françaises cotées françaises (au sens large) sont ainsi en mains étrangères, soit relativement moins qu’au Royaume-Uni (47%), en Italie (52%) et en Allemagne (55%).

L’enjeu est d’importance et ne doit pas conduire à des erreurs d’interprétation : la bourse française est plus en mains françaises parce que l’économie française est moins rentable que ses concurrents et donc moins valorisée. On compte ainsi un écart d’excédent brut d’exploitation/valeur ajoutée de 5 points au moins avec l’Allemagne, au détriment de la France. Moins rentable, l’économie française investit donc relativement moins en pourcentage de sa valeur ajoutée, souvent dans des équipements moins chers, qui ne seront donc pas à la pointe, et qui seront gérés par une main d’œuvre qui, elle aussi, ne sera pas nécessairement à la pointe des qualifications.

Quand on critique « la moindre qualité française », pour la mettre souvent en regard avec la cherté de la main d’œuvre, le problème est en réalité double. C’est d’abord celui d’un cercle vicieux entre rentabilité insuffisante, investissements et embauches qui s’éloignent des standards mondiaux et c’est ensuite, puisque le prix de la main d’œuvre est élevé, un chômage important et durable.

Dans ce contexte, la politique fiscale française actuelle est faite pour inciter à la prise de risque, en prélevant moins par la disparition de l’ISF sur les titres, donc pour pousser peu à peu l’épargne vers les actions. Il faudra du temps, tant les investisseurs français sont inquiets de l’avenir et favorables aux obligations publiques. Leur rendement très faible (0,7%) finira par changer les comportements, si l’écart se creuse avec celui des actions. Il se manifestera par la hausse des cours, désormais hors d’un ISF qui aura disparu.

C’est à ce moment que la politique menée par les Ordonnances entre dans la boucle, avec l’idée de permettre plus de croissance et d’emploi, en augmentant la perspective de rentabilité des entreprises. Ici encore, la perspective d’un coût du travail globalement plus faible, en réduisant notamment les coûts de licenciement et en permettant plus de flexibilité, va pousser à la prise de risque, notamment en embauchant plus, ce qui permettra plus de croissance à terme.

Les pouvoirs publics mènent donc actuellement une politique assez complète, sans vraiment le dire, peut-être pour éviter des réactions hostiles, mais au détriment de sa lisibilité. C’est une politique fiscale, économique et sociale qui soutiendra, si tout marche bien, la croissance et l’emploi à terme, et plus tôt (normalement) les valorisations boursières. Bien plus tôt même, si la bourse non seulement comprend, ce qui n’est pas le problème, mais surtout y croit. Alors la bourse devrait beaucoup aimer et « la corbeille » permettre de faire, bien plus efficacement, de «la politique » ! Tous actionnaires ? Chiche !

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