Clashs 100% garantis : ces 4 thèmes qui déchaînent les passions et structurent l’univers politique de notre "nouveau monde"<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Clashs 100% garantis : ces 4 thèmes qui déchaînent les passions et structurent l’univers politique de notre "nouveau monde"
©REUTERS/Jacky Naegelen

Engueulades garanties

Souveraineté, questions sociétales, laïcité, "président des riches"... Si la présidentielle de 2017 a vu l'élection d'un président se revendiquant "ni de droite, ni de gauche", comment ce clivage va-t-il se restructurer autour de ces questions ?

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

Voir la bio »
Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

Voir la bio »

Atlantico : Plusieurs "clashs"​ médiatiques ont eu lieu au cours de ces dernières semaines, entre Manuel Valls et Alexis Corbière sur la question de la laïcité et de "l'islamo-gauchisme", entre Emmanuel Todd et Daniel Cohn-Bendit sur la question de la souveraineté, sur les interrogations suscitées par l'idée d'un Emmanuel Macron "Président des riches", ou encore sur les questions "sociétales", en l’occurrence la PMA. En quoi ces altercations révèlent-elles les véritables clivages français ? 

Bruno Cautrès : Ces « clashs » médiatiques montrent tout d’abord que derrière l’apparent consensus que la victoire d’Emmanuel Macron souhaite incarner («on répare la France », « on fait les réformes qu’il fallait faire depuis 30 ans », on privilégie « ce qui qui marche » par rapport aux choix idéologiques proposés par les autres partis), les débats politiques basés sur valeurs et les orientations idéologiques continuent d’exister et de s’exprimer. Il est par ailleurs très intéressant de noter que ces débats s’expriment dans les deux dimensions clivantes de la politique en France : les questions socio-économiques (réformes fiscales, choix budgétaires) et les questions « culturelles » et sociéales (PMA).

Edouard Husson : Valls contre Corbière, Todd contre Cohn-Bendit: c'est la gauche qui est traversée de débats profonds. Macron avait été approché par les chasseurs de têtes de Sarkozy, avant 2012; il a préféré s'ancrer à gauche et c'est depuis la gauche qu'il a conquis le pouvoir, il a trouvé suffisamment de soutiens à gauche pour se lancer avant de rallier un nombre non négligeable d'électeurs de droite; mais au deuxième tour, il y a eu plus d'électeurs de gauche que d'électeurs de droite à voter pour lui. Quant au quatrième exemple que vous donnez, la PMA, c'est là encore un débat lancé par la gauche de gouvernement, qui a substitué les réformes dites "sociétales" aux réformes sociales. Au total, nous assistons donc, aujourd'hui, à une profonde division à gauche; et ceci à un moment où la droite est KO debout: les Républicains autant que le Front National. Cela ne veut pas dire que ces débats n'intéresseraient pas l'ensemble de la société française. Mais le potentiel de division le plus fort, actuellement, se trouve à gauche. Ou pour le dire autrement, c'est à gauche qu'opnt été prises, depuis les années 1980, toutes les initiatives qui ont mené aux clivages dont vous parlez. François Mitterrand avait commencé sa présidence en exaltant le "peuple de gauche"; mais dès 1983 il fait le choix néo-libéral qui porte encore Macron aujourd'hui; Mitterrand a fait émerger SOS-Racisme et petit à petit la logique communautariste a battu en brèche la vieille laïcité à la française. C'est encore Mitterrand qui a fait le choix de l'euro. Et c'est Jospin Premier Ministre qui a fait voter le PACS, prélude au mariage pour tous et à la poussée "sociétale" de Hollande. Face à toutes ces initiatives de la gauche, la droite s'est divisée et cela donne, à peu de choses près, le clivage entre LR et le Front National. Il n'y a guère eu que sous Sarkozy que la droite a élaboré des débuts de réponse: tentative d'introduction d'une vision plus "anglo-saxonne" de la laïcité (coexistence des religions qui participent au débat démocatique); insistance sur les missions régaliennes; "travailler plus pour gagner plus"; et, enfin, un refus des "réformes sociétales".  Mais depuis l'échec du sarkozysme, la droite est revenue à ses divisions, entre les bonapartistes du Front National et les libéraux de LR. La gauche aussi est profondément divisée entre les "libéristes" (libéraux de gauche) et les néo-jacobins emmenés par Mélenchon; mais Macron a réussi un coup de maître consistant à susciter l'union de la droite libérale et de la gauche réformiste pour être élu, aux dépens des Insoumis et du FN. 

Selon le politique Pierre Bréchon "sur une échelle en 11 positions, allant de 0 ("très à gauche") à 10 ("très à droite"), seuls 8,8% (des électeurs) ne se positionnent pas, ce qui veut dire que beaucoup de citoyens, bien que critiques à l’égard des politiques de gauche et de droite, acceptent de se situer et revendiquent un positionnement et une orientation dans l’espace politique." En acceptant cette idée de permanence du clivage gauche droite, et dans l'attente que "la poussière de 2017" retombe au sol, comment gauche et droite peuvent se positionner sur ces quatre thèmes essentiels; laïcité, souveraineté, social (président des riches), et sociétal ?

Bruno Cautrès : L’analyse faite par Pierre Bréchon est très juste : en effet, toutes les enquêtes dont nous disposons indiquent que les Français se positionnent encore largement sur l’échelle gauche-droite. Cela est confirmé par les positions qu’ils défendent en matière de valeurs et d’attitudes politiques. Dans la grande enquête que nous avons réalisé au CEVIPOF lors de la séquence électorale de 2017 (un panel de plus de 20.000 français interrogés à 16 reprises), nous avons demandé aux personnes interrogés (aux lendemains du premier tour de la présidentielle) leurs opinions sur tout un ensemble de valeurs économiques ou sociétales : par exemple, « en matière de justice sociale, il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres » ou encore « les chômeurs pourraient trouver du travail s'ils le voulaient vraiment », «l’immigration est une source d’enrichissement culturel », « en matière d’emploi, on devrait donner la priorité à un français sur un immigré ». On voit sur tous ces indicateurs s’exprimer fortement la dimension gauche-droite. Ceux qui veulent plus de justice sociale par exemple comptent beaucoup plus d’électeurs de gauche que de droite ; de même ceux qui souhaitent que expriment des opinions négatives sur l’immigration sont nettement plus situés à droite et à l’extrémité droite de l’échelle gauche-droite. On voit d’ailleurs que l’électorat de premier tour d’Emmanuel Macron, le seul tour qu’il faut analyser pour comprendre ce qui s’est passé, est largement composé d’électeurs qui sur les questions de tolérance culturelle sont « de gauche » et sur les questions économiques sont « de droite » : des « libéraux-libéraux ».

La stratégie que la gauche et la droite peuvent adopter dans le contexte d’aujourd’hui n’est néanmoins pas une question simple. Emmanuel Macron a tout basé sur l’efficacité des solutions : si les grandes indicateurs économiques peinent à montrer cette efficacité cela donnera du grain à moudre aux oppositions, bien sûr. Inversement dans le cas contraire. Mais la politique n’est que partiellement indexée sur l’économie : c’est aussi, et surtout en fait, des symboles, des valeurs. Il s’agit en politique de montrer aux électeurs un chemin et de la baliser par des systèmes de représentations symboliques. C’est en cela que l’on voit le pouvoir actuel tenter de contrecarrer le symbole du « Président des riches ». C’est donc de ce côté-là que la gauche et la droite vont sans doute rechercher les remèdes pour se remettre de 2017 : à gauche, il s’agira sans doute de dénoncer les politiques d’Emmanuel Macron comme des politiques injustes socialement et à droite il s’agira d’en contester le caractère réformateur vis-à-vis de la « réparation » de la France dont parle Edouard Philippe. Sur les questions « culturelles », la droite sera sans doute plus tentée que la gauche de contester les choix d’Emmanuel Macron car ces questions sont potentiellement celles sur lesquelles l’électorat de gauche peut davantage rejoindre les choix du Président.

Edouard Husson : Certes, le clivage droite/gauche reste très marqué. Et l'analyse de Pierre Bréchon est précise et argumentée. Mais il faut bien voir que ce qui l'a emporté depuis trente ans, c'est plutôt l'affirmation d'une droite et d'une gauche favorables à la mondialisation, ne tenant aucun compte des appréhensions d'une partie des électeurs traditionnels de la gauche et de la droite. Cette droite et cette gauche ont volontiers cohabité: entre 1986 et 1988; puis entre 1993 et 1997, puis entre 1997 et 2002. Chirac a été réélu en 2002 par un grand rassemblement des libéraux des deux rives. Et l'élection de Macron est une répétition du même scénario. Lorsque des candidats à la présidentielle ont voulu être élus sur un programme soit de droite soit de gauche, ils n'ont pas réussi à tenir au-delà de quelques années: Giscard a raté le ralliement des héritiers du gaullisme à son programme "libéral, centriste et européen". Le Programme Commun n' a pas résisté à l'épreuve du pouvoir. Et ni Sarkozy ni Hollande n'ont tenu plus d'un quinquennat. Pour que le clivage droite/gauche soit durablement réaffimé, il faudrait qu'à droite comme à gauche on accepte de se réconcilier avec ce peuple qu'on a tellement négligé, depuis une trentaine d'années - en le courtisant juste le temps d'une élection. La situation est même plus grave encore: toutes les statistiques nous montrent l'étiolement sinon la disparition des classes moyennes, le milieu social où se faisait, durant les Trente Glorieuses, la synthèse entre "droite/gauche d'en haut" et "droite/gauche d'en bas".

La République en Marche pourrait elle être en état de survivre dans le cas d'une redéfinition adéquate des clivages entre droite et gauche 

Bruno Cautrès : C’est la grande question !  Là encore, pas de réponse simple. LREM a deux problèmes de moyen/long terme : l’inéluctable renaissance partisane du clivage gauche/droite (à travers la rénovation, qui prendra du temps, de LR et du PS et à travers les futures stratégies de ces organisations vis-à-vis du FN et de LFI) et…la succession d’Emmanuel Macron…. C’est une donnée dont personne ne parle jamais et qui pourtant pose question pour l’avenir de moyen/long terme de LREM car aucune organisation ne peut survivre à long terme si elle n’a pas « en rayon » les numéros 2, 3, 4 etc…Mais à plus court terme, le vrai « crash test » pour LREM sera la séquence des élections européennes de 2019 et municipales de 2020. Ces deux élections joueront le rôle de « match point » pour tout le monde. Si le PS et LR montrent lors de ces élections qu’ils tiennent encore bon, alors le signal envoyé par les électeurs à E. Macron et LREM sera négatif ; en cas contraire, cela voudra dire que LREM commence à vraiment s’implanter dans notre vie politique et que les autres forces politiques ont perdu largement du terrain, voire ne peuvent se remettre de 2017. On saura entre 2019 et  2020 si la "poussière" de 2017 est retombée ou pas....

Edouard Husson : Ce qui est intéressant dans l'échelle proposée par Pierre Bréchon, c'est qu'Emmanuel Macron se trouve au centre-droit. Macron lui-même le sait depuis son élection: il a été élu au centre-gauche mais son potentiel de survie politique réside dans son éventuelle capacité à confisquer le centre-droit à son profit. En fait tout dépendra de la capacité, à droite ou à gauche, à reconstruire une unité politique. Il y a pour cela trois conditions: 1. Accepter le profond besoin de stabilité, de sécurité et de protection de la société française - comme de toutes les autres sociétés du monde désireuses d'inverser les effets délétères du néo-libéralisme. 2. Elaborer un programme qui refuse le populisme tout en étant capable de parler à l'électorat qui vote populiste. 3. Proposer un nouveau pacte républicain entre les élites et les autres couches de la société. A gauche il s'agira d'éléborer un programme de protection;  n'en déplaise à tous les gagnants de la mondialisation, la gauche pourrait être efficace sans rentrer dans les archaïsmes du socialisme en portant fièrement le drapeau du protectionnisme; comme aimait dire Jaurès: "Un peu d'internationalisme éloigne de la nation; beaucoup y ramène". A droite on parlera plutôt de conservatisme mais l'approche devrait être la même. Il doit être possible de sortir de l'alternative actuelle entre une assimilation de l'Islam au terrorisme d'une part et le refus de voir qu'il existe, en France comme ailleurs en Europe, des terreaux favorables à la radicalisation religieuse et politique. Il serait absolument nécessaire de repenser la question de la souveraineté en cessant de la confondre avec la puissance: s'allier avec d'autres pour être puissants ensemble ne veut pas dire que l'on doive renoncer à cette protection politique et juridique qu'est la souveraineté nationale. De même face aux enjeux dits "sociétaux", la droite a un boulevard à emprunter qui lui évitera d'afficher des divisions profondes dans son électorat sur ces questions: il s'agit de la défense des avantages aux familles, qui sont progressivement rognés au nom de l'assainissement budgétaire du pays. Et nous voilà arrivés au thème qui fâche le plus: gauche comme droite, si elles veulent rassembler leurs camps respectifs, il faudra bien trouver un moyen de sortir du carcan de l'euro, soit à réformer la BCE soit à sortir de la zone euro si la réforme n'est pas possible. Il sera très difficile de convaincre droite et gauche "d'en haut" sur ce sujet. Mais il faut se préparer pour l'inéluctable crise de la zone euro et réfléchir en profondeur, non pas à un retour aux monnaies nationales mais à un renforcement de la stabilité monétaire mondiale - plus seulement européenne. 

Nul ne peut dire ce qui va se passer. Verra-t-on surgir un rassemblement des gauches? des droites? Ou bien Emmanuel Macron aura-t-il suffisamment de ressort pour non seulement empêcher droite et gauche de reconstituer leurs forces mais changer, lui-même, aussi, sa perception du monde et passer d'un programme néo-libéral à un programme protecteur de la nation ? 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !