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Le discours de la Sorbonne sur l’Europe : plus ça change, et moins ça change
©LUDOVIC MARIN / AFP

Europe et stagnation

Le Président de la République française a présenté à la Sorbonne un programme portant sur l’approfondissement de la construction européenne. Dans ce cadre, des propositions ont été formulées, portant pêle-mêle sur l’éducation, la défense, la convergence fiscale, le fonctionnement de la zone euro, la politique agricole commune etc.

Les Arvernes

Les Arvernes

Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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Disons-le tout net : cet inventaire à la Prévert tient plus de la copie d’un étudiant en Sciences Politiques – même doué – que de la vision articulée d’un Chef d’Etat conscient de l’état de l’Europe. Au regard de l’histoire européenne, le discours de la Sorbonne restera bien pale comparé, entre autres, au discours de Bruges de Margaret Thatcher du 20 septembre 1988.
Certes, tout n’est pas faux dans l’analyse proposée par le Président français. L’Europe est en effet largement malade, et, si l’on ose paraphraser Paul Valery, elle est mortelle. De même, en dépit des incertitudes qui caractérisent la situation politique allemande depuis l’élection au Bundestag, alors que les autorités allemandes ne se sont pas privées de faire acte d’ingérence dans les élections françaises du printemps, il n’y a rien de scandaleux à ce que la France dise ce qu’elle souhaite pour l’Europe, au moment qu’elle a choisi.

Dans ce contexte, que penser d’un tel discours ? Hélas, qu’il n’est que poudre aux yeux, tant la réalité européenne, hélas, ne change pas. Qu’il soit permis ici d’en rappeler quelques maux. 

Premièrement, l’Europe impuissante. Hormis quelques domaines spécifiques (concurrence, monnaie) les Institutions européennes, faute de moyens, sont impuissantes. C’est l’un des malentendus essentiels de la construction européenne. Les détracteurs féroces de l’Europe et ceux qui voient en elle la seule planche de salut passent à coté de l’essentiel : les Etats n’ont délégué aux Institutions européennes que très peu de pouvoirs, y compris dans le domaine économique. L’Europe, ivre d’arrogance, l’ignore elle-même, à l’image de Manuel Barroso, incapable de comprendre en 2008 que la Commission ne disposait nullement des moyens de répondre à la crise Lehmann. L’Europe est impuissante à contrôler ses flux migratoires, incapable de se défendre autrement qu’en se réfugiant sous le parapluie otanien c’est-à-dire américain, incapable de définir une stratégie vis-à-vis des grands émergents à commencer par la Chine. On pourrait continuer.

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Deuxièmement, l’Europe logorrhée. L’Europe, ses institutions, ceux qui dans les Etats l’évoquent, ont fait leur jusqu’à la caricature le mot du Cardinal de Retz selon lequel un politique est plus jugé à ce qu’il a dit qu’a ce qu’il a fait. Le discours de la Sorbonne ne fait pas exception. Les européens n’en peuvent plus de ces propos creux, sans colonne vertébrale, déconnectés de la réalité, construits autour de pétitions de principes et de bon sentiments, dispensateurs de culpabilité pour tous ceux qui seraient tentés de formuler des objections. Ils perçoivent bien que l’amoncellement des discours cache la vacuité des mesures prises, la médiocrité des résultats obtenus, et, disons-le, un projet politique sans vision mais avec ses gagnants et ses perdants. Ainsi, en matière de défense, la plupart des annonces faites à la Sorbonne portent sur la création d’instances qui existent déjà ! Dès lors comment s’étonner que, de loin en loin, lorsque l’occasion leur en est donnée, les peuples aient la tentation derestaurer la force de la parole, généralement pour dire « non » à l’Europe (référendum de 2005 en France et aux Pays-Bas, Brexit etc.).

Troisièmement, l’Europe ignorée et instrumentalisée. Car pendant que les mots – fussent-ils doux à l’oreille – coulent, les faits, eux, sont têtus, qui montrent une Europe dont l’intérêt général est l’arlésienne et où les intérêts nationaux et l’opportunisme prévalent. A ce jeu, l’Histoire devra être faite de la manière dont l’unilatéralisme allemand en matière migratoire a non seulement fait renaître une extrême droite allemande, mais également été l’élément déterminant conduisant au Brexit. Derrière les projets d’Europe de la défense, se profile en réalité la volonté farouche de l’Allemagne de restaurer une industrie de défense au détriment de la France, à l’image de ce qu’elle est en train de réussir chez Airbus.

Certes la France n’est pas en reste en fait d’instrumentalisation de l’Europe, en particulier des règles du marché unique. Dans le domaine des rapprochements d’entreprises, les autorités et l’intelligentsia économique françaises sont hostiles aux règles de concurrence qui empêchent la constitution de soi disant « champions européens », mais convoquent manu militari l’Europe quand il s’agit de constituer un énième « airbus de… » ou d’envisager de mettre sur pied des dispositions empêchant le rachat d’actifs européens par les puissances étrangères. La France promeut la libre circulation des personnes, mais dès lors qu’un sujet tel que la directive sur le travail détaché de 2014 acquiert une dimension trop politique, le Président Macron, hier nomade assumé, s’empresse de vouloir mettre des limites au détachement des travailleurs en Europe. La France s’exaspère de l’absence d’harmonisation fiscale en Europe – harmonisation qu’elle souhaite évidemment vers le « haut » contre le bon sens et l’avis de ses partenaires – mais ne craint pas, par exemple, le paquet neutre pourtant inefficace n’y suffisant pas, de prévoir unilatéralement un chemin de hausse des prix du tabac, qui aura mécaniquement des effets sur la contrebande à ses frontières, les recettes fiscales, montrant ainsi son mépris pour les règles du marché commun. On pourrait continuer.

De tout ceci une conclusion émerge : rien de fondamental ne se profile dans la construction européenne. C’est, pour elle, un danger mortel, car elle n’a pas fait suffisamment la preuve de son utilité pour qu’un jour les peuples ne décident finalement de s’en passer. Si le Président Macron est sincère dans son souhait d’approfondir l’Europe, il va lui falloir trouver autre chose.

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