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Kurdistan : les graines du prochain conflit au Moyen-Orient seraient-elles déjà en train de germer ?
©ANDREAS SOLARO / AFP

En devenir

Au Kurdistan, le oui au référendum l'a largement emporté mais les nations n'ont pas l'intention de lui donner son indépendance.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Alors que le résultat du référendum kurde en Irak ne laisse que peu de doutes quant à son résultat, et en prenant en compte les développements de la situation en Syrie, en quoi les ambitions kurdes, aussi bien territoriales qu'énergétiques, pourraient semer les graines d'un prochain conflit au Moyen Orient ?

Tout d’abord, il faut sortir d’une idée toute faite qui décrit les Kurdes comme une entité unique et soudée. En fait, il y a plusieurs « peuples » kurdes (sans descendre jusqu’aux différences claniques qui ont aussi localement une grande importance). Ainsi, les Kurdes syriens sont plus proches des Kurdes turcs avec lesquels ils partagent les mêmes dialectes que des Kurdes irakiens. Ces derniers sont, pour leur part, profondément divisés entre le PDK (Parti démocratique du Kurdistan) de Massoud Barzani et l’UPK (Union patriotique du Kurdistan) de Jalal Talabani. Dans le passé, ils se sont même opposés militairement. Il convient de rajouter à cette complexité le PKK qui est présent à cheval sur la Turquie, la Syrie et l’Irak (et un peu en Iran via sa branche locale, le PJAK).
Globalement, les ambitions des uns et des autres sont d’abord territoriales : contrôler un village, une région, une province ... afin d’y établir leur pouvoir. Ce dernier est différent selon les Kurdes dont on parle. Par exemple, Barzani est proche de la Turquie alors que Talabani de l’Iran. Par contre, les deux sont opposés - politiquement et économiquement parlant - à Bagdad (bien que sur ce dernier point Talabani soit plus modéré, ses liens avec Téhéran, grand allié de Bagdad, expliquant cela). Alors oui, les conflits vont perdurer dans la zone.

Comment analyser les positions américaines et russes concernant la situation kurde ? Comment se répartissent leur influence sur les deux terrains que l'Irak et la Syrie ?

Je dois vous avouer qu'il m'est difficile de comprendre la ligne directrice de l’administration Trump qui déjoue tous les pronostics en matière de politique étrangère. Pour Moscou, l’attitude du président Poutine semble beaucoup plus lisible : la défense sans faiblir des intérêts de la Russie dans la zone, et ce, sur le long terme.
En Irak, Washington soutient du bout des lèvres Bagdad jugé trop proche de l’« Etat voyou » iranien et de Moscou. Par contre, Barzani est particulièrement bien vu même si au dernier moment les Américains lui ont conseillé (sans être entendus) de repousser le référendum du 25 septembre portant sur l’indépendance du Kurdistan irakien. Peut-être ont-ils été sensibles à l’opposition résolue - voire menaçante - de la Turquie, le grand « allié » de l’OTAN dans la région.
Pour les Russes, même s’il entretiennent des relations cordiales avec les Kurdes irakiens, ils soutiennent avant tout leurs alliés : Bagdad et Damas qui sont arque boutés dans leur opposition au référendum (maintenant, à ses résultats considérés comme nuls).
Et dans tout cela, quid du pétrole ?
Il permet au GRK (Gouvernement régional du Kurdistan présidé par Barzani) de vivre en exportant le précieux produit via la Turquie - et sans verser de subsides au pouvoir central de Bagdad -.
Va se poser le problème du contrôle de la ville de Kirkouk où les populations sont mélangées ce qui permet aux Kurdes et à Bagdad de la revendiquer - surtout pour ses richesses locales en hydrocarbures -. Si Barzani va trop loin et, par exemple, s’aventurait à proclamer l’indépendance, il risquerait de voir la porte de sortie de la Turquie fermée. Il ne peut pas se le permettre car le GRK est quasi en cessation de paiements.
En Syrie, si les Américains sont rangés fermement derrière les FDS (Forces démocratiques syriennes constituées majoritairement des Kurdes marxistes-léninistes du PYD, les « cousins » du PKK ), les Russes soutiennent sans états d’âme le régime de Bachar el-Assad. Pour eux, la Syrie est leur point d’appui irremplaçable au Proche-orient et en Méditerranée orientale. Au début de l’année, ils ont signé un bail de location des bases de Tartous et de Hmeimim pour 49 ans ! Ils n’ont donc pas l’intention de partir de sitôt.

En imaginant la constitution de telles zones d'influence des kurdes , et du contrôle énergétique des régions concernées, comment anticiper les réactions acteurs régionaux, entre Iran, Irak, Syrie, et Turquie ? 

En Syrie, le « Rojava » (Kurdistan syrien) ne devrait plus beaucoup progresser même si les Américains le souhaitent pour prendre le contrôle de la rive est de l’Euphrate (jusqu’à la frontière irakienne) très riche en pétrole. A cela deux raisons :
-         les Kurdes ne souhaitent pas sortir trop longtemps de leur fief où ils sont majoritaires - leur souci est essentiellement de faire la jonction entre leur trois cantons situés le long de la frontière turque -. Ils se heurtent à Ankara qui a coupé le Rojava en deux en occupant depuis l’été 2016 une partie de la région entre l’Euphrate et le corridor d’Azaz à l’ouest. De plus, même si les Kurdes syriens récupèrent des gisements d’hydrocarbures, par où vont-ils les exporter ? Par la Turquie ; c’est totalement exclu dans l’état actuel des choses. Il faudra donc trouver un accord avec Damas, ce qui n’est pas impossible car Bachar el-Assad poussé par les Russes fait actuellement des ouvertures discrètes en leur direction. Ces derniers pourraient se laisser séduire car ils ont de moins en moins confiance en leurs sponsors américains. La réputation d’abandonner leurs alliés quand çà les chante les poursuit (ils viennent de le faire avec des rebelles modérés au sud-est de la Syrie)!
-         Les Russes et les Syriens vont empêcher que l’offensive militaire des FDS se poursuive plus vers l’est. Pour cela, les forces régulières de Damas ont franchi l’Euphrate au nord de Deir ez-Zor, les Russes ayant construit un pont flottant de 140 mètres de long. Leur détermination est acharnée, preuve en est la mort du major général Valery Asabov tué dans un poste de commandement avancé au nord de Deir ez-Zor le 24 septembre. Personne n’engage des officiers généraux en première ligne sans bonne raison stratégique.
La situation est éminemment complexe sur le front syro-irakien. Il ne faut pas oublier que Daech est toujours capable de surprises tactiques comme l’offensive lancée sur Ramadi, la capitale de la province d’Al-Anbar en Irak (sans parler des attentats monstres survenus au nord de Bagdad la semaine dernière). Les tensions devraient se poursuivre en Irak et la guerre civile perdurer en Syrie car, après Daech, le pouvoir va être tenté de s'en prendre aux mouvements islamistes dépendant d'Al-Qaida "canal historique" dans la province d'Idlib située au nord-ouest du pays. Des Kurdistans autonomes inclus dans des Etats "fédéraux" semblent être une solution provisoire acceptable par presque toutes les parties. Mais le provisoire a toujours tendance à s'étendre dans la durée.

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