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La méthode Macron : comment mal engager les négociations sur l'Europe avec l'Allemagne, mode d'emploi
©LUDOVIC MARIN / AFP

Mal parti...

Le chef d'Etat français a tenté d'amorcer un dialogue sur l'Europe dans un moment complexe pour l'Allemagne.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Comment analyser le discours d'Emmanuel Macron, tenu le 26 septembre à la Sorbonne, du point de vue de Berlin ? Alors qu'Angela Merkel apparaît comme affaiblie ​, malgré sa victoire, ​ en quoi le fait d'avoir "ménagé" Berlin, selon les mots du journal Le monde, peut il aider le chef de l'Etat dans son projet ? 

Nous assistons à la fin d'une période qui a commencé avec l'effondrement du Mur de Berlin. Angela Merkel elle-même est le produit le plus étonnant du 9 novembre 1989. Elle a conquis l'Allemagne de l'Ouest en quinze ans puis l'a gouvernée sans partage pendant douze ans. Performance étonnante pour une femme qui a passé plus d'années de sa vie dans l'ancien régime communiste est-allemand que dans l'Allemagne réunifiée. Ou bien ce fait même ne nous indique-t-il pas quelque chose de significatif? Les qualités attendues d'une chancelière allemande pour gouverner l'Allemagne réunifiée étaient-elles si éloignées de la formation qu'avait reçue Angela Merkel? Il faut se rappeler qu'elle a été une élève et une étudiante modèle du régime est-allemand. Eh bien ne peut-on pas dire qu'elle a été, ensuite, une élève modèle d'un système occidental aussi monolithique que le système soviétique qu'elle venait de quitter? 
Le monde occidental qui se met en place à partir de 1990 est étouffant de conformisme et d'absence de débat: l'Allemagne réunifiée se coule dans l'OTAN sur l'injonction de George H.W. Bush; elle se coule dans le système de l'euro, sur injonction de la nomenklatura, pardon, de la haute fonction publique française, puis elle organise le système à son avantage au point de transformer l'Europe en une zone d'économie organisée autour d'un taux d'intérêt unique qui fait fi des diversités nationales et régionales. Le système est verrouillé par une pensée conformiste, étouffante et les dissidents se font de plus en plus rares. Angela Merkel arrive au pouvoir en 2005 alors que l'histoire s'est en quelque sorte arrêtée, comme dans l'Empire soviétique des années 1960. Regardez comme la chancelière était à l'aise, que le secrétaire général du parti néo-libéral américain s'appelât Bush Junior ou Obama. Elle allait à Washington avec aussi peu de questionnements que Honecker se rendait à Moscou dans les années 1970. 
Depuis 2007, l'histoire se réveille mais l'Allemagne de "Mutti" semble aussi imperméable à la crise (américaine puis européenne) que la RDA de Honecker. Jusqu'à ce que l'histoire vienne définitivement frapper à la porte avec l'afflux massif de réfugiés. Et voici que "Mutti" fait comme Honecker: elle ouvre les frontières sans se rendre compte de ce qu'elle déclenche. Le résultat des élections au Bundestag nous dit que la société allemande se remet à penser, pas toujours pour le meilleur, d'ailleurs: pour des oreilles européennes le nationalisme de l'AfD a des relents désagréables. Mais les choses sont faites. Angela Merkel a rompu le pacte que les chrétiens-démocrates avaient passé avec la nation - ne jamais laisser s'installer une force sur leur droite. La chancelière va avoir du mal à constituer une coalition, avec un SPD à 20% parce que définitivement coupé de son électorat populaire et la quasi-incompatibilité entre les libéraux et les Verts. 
On ne voit pas pourquoi il faudrait ménager l'Allemagne, en particulier sa chancelière: Elle est entièrement responsable de la tournure des événements. Sa très mauvaise gestion de la crise des migrants a indisposé les Allemands - au-delà de leur générosité profonde. Il est normal que le SPD veuille se refaire une santé dans l'opposition; que les chrétiens-démocrates veuillent renouer avec le conservatisme. Et que le FDP ait envie de faire passer les intérêts allemands avant les intérêts européens. Il devrait nous être totalement indifférent que Madame Merkel réussisse ou pas à constituer une coalition. L'histoire est de retour et il nous devient donc possible de nous libérer du vieux système. En particulier de son verrou allemand. 

Était-il opportun, pour le chef de l'Etat, d'adresser ses propositions européennes dans une période de doute politique en Allemagne, c'est à dire avant tout accord de gouvernement pour former une coalition ?

Si nous filons la comparaison avec l'ancien système soviétique, Emmanuel Macron est l'enfant chéri du système. Et il est normal qu'il continue à tenir le même discours alors que l'histoire se réveille. Né à la fin des années 1970, qu'a-t-il connu d'autre, depuis l'adolescence que le monde des guerres impériales américaines et de l'Europe monétaire allemande? Il a été élu par la coalition de tous ceux qui sont les gagnants du système néo-libéral. Et Macron commence par vouloir réformer le système, à commencer par la zone euro. Il semble qu'il y ait quelque chose de gorbatchevien chez lui: il se rend bien compte que l'Europe est distanciée par une partie de l'économie mondiale. Il faut réagir. Mais comme chez le Gorbatchev d'avant 1988, qui entendait revenir à Lénine, Macron revient aux pères fondateurs, Jacques Delors et François Mitterrand. Il finira bien par s'apercevoir que les pères fondateurs ont créé un système économique profondément inefficace.  Aura-t-il le ressort du Gorbatchev de 1989, qui lâcha prise pour libérer les forces emprisonnées? 
Comment le président français réagira-t-il lorsque les Allemands voudront imposer l'un des leurs à la tête de la BCE, et sans doute un dur, Jens Weidmann? Lorsque l'Italie, elle, se lancera dans la création d'une monnaie parallèle à l'euro pour ne pas être définitivement asphyxiée? Il faut se rappeler à la fois que Gorbatchev a dit à Honecker que l'histoire était impitoyable avec les retardataires mais que lui-même s'est engagé trop tard dans la libéralisation du système. Le discours de la Sorbonne ne témoigne pas d'une envie de devancer les événements.  Le président français voudrait un peu de souplesse dans le système de l'euro pour pouvoir accompagner sa politique d'une bouffée d'oxygène. Mais cela suffira-t-il? Répond-on aux besoins de l'économie française à partir de la manipulation, à Francfort, d'un taux d'intérêt unique pour une zone monétaire qui n'est pas optimale? Quand bien même on cultiverait l'illusion que les Allemands vont redistribuer leurs surplus commerciaux. Ce qu'ils n'étaient pas disposés à faire avant l'élection - sauver la Deutsche Bank de la faillite, oui; l'Europe du Sud de l'asphyxie monétaire, non; et la France est un pays du Sud dans l'imaginaire allemand, avec des élites sympathiques, parce qu'elles aimeraient gérer à l'allemande; mais pathétiques, parce qu'elles n'arrivent pas à changer leur peuple. 

En quoi les élections du 24 septembre changent elles la donne dans le rapport de force franco-allemand ?  ​  ​ 

Est-ce que nous nous plaçons dans un cadre idéologique ou dans un cadre politique? Le cadre idéologique, nous venons de le décrire et il aboutit à ce paradoxe que le président français continue sur la ligne d'avant alors que la situation a changé. Si nous faisons de la politique, alors, il s'ouvre une occasion extraordinaire. Laissons les Allemands résoudre une crise politique qu'ils sont les seuls à pouvoir surmonter. Profitons de cette chance inespérée: comme en 1989, l'histoire dévie de son cours. Madame Merkel a du mal à constituer une coalition. Et bien profitons-en! Nous a-t-elle fait un seul cadeau depuis qu'elle est chancelière? Hausse de la TVA, politique monétaire, sortie du nucléaire, déstabilisation de l'Ukraine, ébranlement de l'ordre de Schengen etc.... Et bien, relevons la tête, rassemblons tous les pays Européens soucieux d'un nouvel équilibre; rapprochons-nous de Londres; réconcilions-nous avec la Russie. Et présentons-nous devant un nouveau gouvernement allemand, en janvier, avec une politique d'intérêt national. 
Ni contournement ni ambiguïté. Rappelons-nous que dans la culture de négociation allemande, le plus court chemin entre deux personnes est la ligne droite. Affichons nos intérêts, sans agressivité mais sans faiblesse. 
Dans tous les cas, pour revenir au présent, nous sommes mal partis pour obtenir quoi que ce soit de l'Allemagne. Au lieu que les partis allemands se demandent si la France ne va pas durcir le ton - pouvons-nous accepter un parti nationaliste allemand à 13%? - nous disons d'emblée: nous serons toujours avec vous. Au lieu de laisser Madame Merkel jouer la carte d'une France à ne pas maltraiter dans le bras de fer qu'elle va avoir avec ses futurs partenaires politiques, nous faisons savoir que nous irons quoi qu'iul arrive. Et en plus nous ne suspendons pas le rachat d'Alstom par Siemens. Comment voulez-vous, si l'on ne nous respecte pas, que nous fassions entrer les autres dans des plans, aussi grandioses soient-ils? 

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