Elections allemandes : pourquoi la perspective d'une coalition jamaïcaine est un facteur d'instabilité structurelle pour ces quatre années à venir<!-- --> | Atlantico.fr
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Victoire en trompe l'oeil pour la Chancelière sortante
Victoire en trompe l'oeil pour la Chancelière sortante
©TOBIAS SCHWARZ / AFP

Futur incertain

Angela Merkel a été réélue hier pour un quatrième mandat de Chancelière. Martin Schulz a été battu, mais les démocrates-chrétiens sont en net recul. Une nouvelle coalition avec les verts notamment verra le jour pour les quatre ans à venir.

Fabien Laurençon

Fabien Laurençon

Fabien Laurencon est agrégé d'allemand, diplômé de Sciences Po Paris. Il a enseigné l'histoire et la civilisation allemandes à l'université Sorbonne nouvelle Paris III et à Paris X. 

 

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Atlantico : Angela Merkel remporte cette élection petitement devant un SDP historiquement bas et une AfD qui rentre en force au Bundestag (plus de 80 députés). Peut-on parler de cataclysme dans le paysage politique allemand ?

Fabien LaurençonLa thématique de la tectonique a été en effet abondamment utilisée tout au long de la soirée électorale en Allemagne. Le résultat d'hier soir, consécration d'une campagne décevante, frustrante pour une majorité d'électeurs, est en effet historique à plusieurs titres : le score de la SPD tout d'abord avec 20 % des suffrages, soit son plus bas niveau depuis 1949, est assez surprenant, c'est une gifle que vient d'infliger l'électorat à Martin Schulz, sanctionnant une campagne pourtant à fait honorable sur le fond du candidat social-démocrate. La CDU et son alliée bavaroise enregistrent également leur score le plus décevant, avec 32 % des voix. Enfin, le 3e parti politique du Bundestag n'est ni le parti libéral FDP ni les Verts mais l'AfD : pour la première fois depuis la création de la démocratie allemande en 1949, c'est une formation populiste d'extrême droite qui fait son entrée au Parlement - ce qui ni la NPD ou la DVU, ses précurseurs à l'extrême-droite dans les années 1980 n'avaient réussi à faire. 

La victoire en trompe-l'oeil d'Angela Merkel ne doit pas masquer le recul net de la démocratie-chrétienne, victime de son glissement au centre, qui perd 8 points par rapport au précédent scrutin. Les premières analyses des instituts de sondage hier soir montraient que plus d'un million d'électeurs a ainsi choisi l'AfD et 1,3 million ont préféré la FDP. Les scores décevants de la composante bavaroise de la droite chrétienne-démocrate sont également révélateurs : l'affaiblissement de la CSU, qui historiquement depuis la création de la République fédérale, assurait cette fonction tribunitienne, populiste à droite, est un des facteurs qui expliquent la percée de l'AfD. Désormais, la droite chrétienne démocrate n'a plus le monopole du vote conservateur, sa vieille maxime du "pas d'autre parti à droite de la CDU-CSU" a volé en éclats.

Le grand perdant de cette élection, c'est la Grande Coalition, désavouée par les électeurs de gauche comme ceux de droite, comme en attestent les scores des deux grands partis. La pratique (plus que l'esprit) de la "GroKo" a atteint ses ses limites. En creux, le vote d'hier traduit une frustration à l'égard de ce nivellement de fait du discours politique centriste et la dilution du débat, de toute forme de confrontation entre CDU et SPD sur des sujets de fond (crise migratoire, fiscalité...) par ce consensus institutionnalisé entre les deux grands partis, dont le débat télévisé entre les deux candidats, début septembre avait été l'illustration. 

Le CDU/CSU va devoir constituer une alliance de gouvernement mais la tâche risque d'être très compliquée, car Martin Schulz a déclaré que le SDP ne participerait en aucun cas à une alliance cette fois-ci. Angela Merkel va certainement devoir composer avec les libéraux et les verts qui dépassent tout deux 10% des suffrages. Quels sont les conséquences d'un tel casse-tête électoral ?

L'annonce de Martin Schulz et de la SPD dès hier soir d'aller dans l'opposition  - si elle se confirme ...- a manifestement pris de court la chancelière. La seule option qui s'offre à la CDU semble désormais cette coalition inédite dans l'histoire politique allemande, dite "jamaïcaine avec les Verts de Cem Özdemir et Katrin Görin-Eckardt et les libéraux emmenés par le jeune et charismatique Christian Lindner. 

En réussissant son retour au Bundestag après quatre années de purgatoire, et en dépassant le seuil des 10 % des voix, le parti libéral-démocrate FDP est avec l'AfD l'un des deux vainqueurs incontestables de cette élection. Les négociations qui vont s'ouvrir dès cette semaine s’annoncent difficiles tant les motifs de dissonance sont réels entre les trois partenaires de cette future coalition, complètement inédite dans l'histoire politique de l'Allemagne fédérale. Christian Lindner s'est montré très assertif lors du débat télévisé sur la première chaîne publique allemande hier soir, adressant ainsi un message clair à ses deux partenaires futurs, les Verts et surtout la CDU, montrant qu'il saurait être un partenaire intransigeant sur un certain nombre de sujets. 

L'un des dossiers clivants potentiels ave la CDU concerne notamment l'Europe, la FDP étant farouchement hostile à toute idée d'un budget européen. Sur le dossier des réfugiés, son approche se veut pragmatique avec un système comparable à la "Green card" américaine. Avec les Verts, la question du diesel et de la transition du secteur automobile allemand à la voiture propre, revendiquée par les Verts comme prérequis à toute coalition il y quelques semaines, le conflit est programmé. 

Au delà des posture de négociations qui vont prendre probablement plusieurs mois avant de parvenir à l'adoption du contrat de coalition, il est clair que cette recherche permanente du barycentre politique avec deux partenaires va compliquer le probable dernier mandat d'Angela Merkel. C'est un facteur d'instabilité interne structurel pour ses quatre années à venir, plus que l'arrivéee des 95 nouveaux députés AfD.

Avec 4 partis autour de 10% (AfD, Die Linke, Die Grünen et le FDP), on a vu quatre modes de contestation des partis de gouvernement progresser ou s'affirmer. Qu'est-ce que signifie leurs scores particulièrement hauts ?

Parler de contestation s'agissant de la FDP me semble excessif, tant la campagne, hyper-personnaliée autour de son chef, Christian Lindner, a été axée sur le retour au pouvoir. 

Les scores en progression des trois autres petits partis peuvent se lire en revanche comme autant de contestations du duopole au pouvoir depuis quatre ans. Pour autant, il faut relativiser le score des Verts et de Die Linke, dont la progression reste très marginale (0,5 et 0,6 % respectivement) : le score traduit surtout leur ancrage régional et national. La contestation, ou disons le discours de contestation porte surtout sur la cogestion du pouvoir par la CDU-SPD plus qu'il n'est une critique radicale des fondements de la démocratie allemande. Même Die Linke est en passe de trouver sa place au sein de l'échiquier allemand, sa "longue marche à travers les institutions" pour reprendre la formule célèbre de Joschka Fischer, c'est à dire son intégration dans le paysage politique et institutionnel allemand est déjà avancée.  

Le succès de l'AfD pose un défi d'une tout autre nature que Die Linke. La percée spectaculaire du parti d'Alexander Gauland est avant tout le produit d'un vote de déception et un désaveu de l'électorat conservateur vis-à-vis de la CDU, déçu notamment par la gestion contestée de la crise migratoire. 

Mais au delà de cette explication conjoncturelle, ce succès soulève deux questions : tout d'abord quel sera l'ancrage durable dans le paysage politique allemand de l'AfD? L'AfD n'a ni programme sérieux, ni leader charismatique, et ses cadres affiche pour la majorité d'entre eux une grande inexpérience parlementaire. Ensuite, il est clair que l'irruption de ces 95 députés qui n'ont aucune expérience du Bundestag, de ses codes et de ses pratiques, aura un effet disruptif sur la culture politique allemande : dans quelle mesure  l'AfD parviendra t-elle a diffuser ses idées et franchir l'isolement politique dont elle fera l'objet pendant les quatre années à venir? 

Face à ce défi sur sa droite, et contestée sur l'autre flanc par la FDP, la CDU-CSU doit tirer les leçon de ce semi-échec (elle a déjà commencé, comme l'esquissait Angela Merkel hier soir) et va devoir repenser sa stratégie politique, sans oublier de préparer la relève pour 2021.   

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