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Amélioration sur le front du trou de la sécu : la profonde transformation voulue par Emmanuel Macron est-elle nécessaire au sauvetage de notre protection sociale ?
©Reuters

Changement de paradigme

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale devrait être présenté le 28 septembre prochain.

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Entre les promesses et les récentes annonces, peut-on considérer que l'ambition du gouvernement d'Edouard Philippe est aujourd'hui cohérente ?

Jacques Bichot : Il est très difficile de faire quelque chose de cohérent dans le capharnaüm qu’est notre système de protection sociale. Au lieu de créer un cadre institutionnel stable reflétant les principes républicains (liberté, égalité, fraternité) et respectant un véritable réalisme économique, les pouvoirs publics se sont érigés en gestionnaires tout-puissants, qui ne peuvent être sanctionnés si ce n’est par les électeurs. Ils décident donc de tout : quelques euros de moins pour les allocations logement, quelques euros de plus pour l’allocation aux adultes handicapés, 0,8 % de plus en octobre de cette année pour les pensions du régime général et rien l’année prochaine, tant de plus pour le minimum vieillesse, etc.

Résultat : les gestionnaires sont de simples exécutants, sans véritables responsabilité, que ni le gouvernement ni le parlement ne peuvent décemment punir en cas de dysfonctionnement ou de déficit excessif, puisque tout a été décidé par le gouvernement et le parlement, notamment au moyen de la loi de financement de la sécurité sociale.Celle-ci, chaque année, descend dans une foule de détails relevant logiquement de la direction de la sécurité sociale, ou de celle de l’Assurance maladie, ou même des directeurs d’hôpitaux et de caisses maladie ou vieillesse. Les pires erreurs peuvent être commises, comme par exemple le ratage complet du système informatique du RSI, et comme personne n’est responsable, personne n’est puni.

Autre exemple : une disposition (dite « garantie de paiement ») a été prise en 2015 en matière de retraites du régime général, qui a pour conséquence un afflux de dossiers… lequel provoque de très nombreux retards dans les liquidations de pensions. La malheureuse direction de la CNAV, qui a été mise devant le fait accompli, et qui voit le désespoirde nombreux nouveaux retraités attendant en vain ce qui leur est dû, est obligée de quémander auprès de sa « tutelle » des effectifs supplémentaires : elle n’a même pas l’autonomie suffisante pour embaucher sous sa propre responsabilité quelques centaines de personnes en CDD ou en intérim !

Notre système de protection sociale est donc plongé dans une incohérence totale. Face à cela, l’Élysée,  Matignon et l’avenue de Ségur ont-ils une ambition cohérente ? Je ne pense pas qu’ils aient une vision très claire des dysfonctionnements de ce système et des principes à mettre en œuvre pour le réformer en profondeur. Il y a cependant une lueur d’espoir : le programme du candidat Macron comportait un projet d’unification de nos trois douzaines de régimes de retraite en un régime unique inspiré du système Suédois, et un haut-commissaire à la réforme des retraites vient d’être nommé, en la personne de Jean-Paul Delevoye. Il y a donc une réforme de très grande importance qui va être lancée. Si la montagne n’accouche pas d’une souris, un progrès considérable sera accompli.

La division du système français en une multitude de régimes catégoriels est non seulement ruineuse (j’estime à 3 Md€ le surcout annuel en frais de gestion, et j’ai vu des évaluations plus lourdes, jusqu’à 6 Md€) mais aussi et surtout source d’une effrayante complication pour les assurés sociaux et d’une non moins terrible difficulté de gouvernance. La compensation démographique entre régimes, notamment, est à bout de souffle. Il faut donc souhaiter très fort que ce projet d’évolution vers plus de cohérence aboutisse. C’est un gros chantier, mais le processus à suivre est connu, je l’ai exposé dans un ouvrage paru en janvier dernier[1].

Quels sont les domaines clés les plus sensibles dans ce dossier ?

Le point névralgique est la répartition des rôles entre les pouvoirs publics et les gestionnaires des organismes. Des institutions comme les lois de financement de la sécurité sociale sont l’expression et le résultat d’une conception absurde de cette répartition des rôles : tout est décidé par le Gouvernement, qui rédige le projet de loi, et sacralisé, si je puis dire, par le législateur, qui le vote sous la menace du 49-3. Cela signifie que les problèmes qui devraient être traités par des directeurs de caisses le sont par des ministres, et que les solutions ont la nature juridique des lois. Il est indispensable de revenir sur ce mode de fonctionnement aberrant, qui a malheureusement été gravé dans le marbre de la Constitution.

Plus généralement, est-on obligé de suivre Macron pour sauver le financement de la protection sociale française ?

Je ne sais pas quel est l’état des connaissances de notre président de la République concernant ce dossier essentiel. Comme indiqué plus haut, il a vu le problème posé par la multiplicité des régimes de retraites par répartition, c’est un bon point. En revanche, il semble ne pas échapper au flou dans lequel se trouvent la plupart de nos hommes politiques concernant les principes qui devraient s’appliquer en matière de financement de notre protection sociale.

La protection sociale est un service public qui devrait être payée principalement par des cotisations d’assurance, et très marginalement par des impôts. Or la tendance actuelle est de considérer les cotisations comme des prélèvements obligatoires sans contrepartie, donc l’équivalent des impôts, et d’accroître la part du financement qui est fiscalisée. Nos hommes politiques ont vaguement conscience du fait que les Français subissent trop de prélèvements dont ils ne voient pas ce qu’ils leur apportent en échange, mais ils ne savent pas quoi faire. Pourtant, si on clarifie les choses, il n’est pas très difficile de comprendre que les cotisations peuvent être organisées comme des achats de services : chacun le comprend pour les complémentaires-santé, alors pourquoi pas pour l’assurance maladie ? Chacun le comprend pour les retraites par capitalisation, alors pourquoi pas pour les retraites par répartition ?

Il existe en la matière un aveuglement très néfaste. Le jour où la loi dira clairement que les Français achètent leurs services de sécurité sociale, mais – en raison du principe de fraternité –  à un prix plus élevé pour les ménages qui ont de bons revenus, la France aura fait un immense pas en avant : les Français n’auront plus l’impression de verser la moitié de leurs gains dans un trou sans fond, mais de payer pour quelque chose à quoi ils tiennent beaucoup (être bien soignés si on a un cancer, avoir un revenu correct quand on devient âgé, etc.). Il est très important que la protection sociale cesse d’être ressentie comme un fardeau, et devienne dans les esprits un service très utile pour lequel il est normal de payer des sommes assez conséquentes, comme par exemple pour se loger.

Si le président de la République adhère à cette philosophie et incite le législateur à la mettre en musique sous forme d’un nouveau code de la sécurité sociale, ce sera formidable pour la France, et pour le monde car tous les pays ont un besoin analogue. La probabilité que cela se produise n’est pas très élevée a priori, mais Emmanuel Macron nous a surpris une première fois par son aptitude à bousculer les habitudes électorales, pourquoi ne nous surprendrait-il pas une seconde fois en impulsant la grande réforme de la protection sociale dont nous avons le plus grand besoin ?



[1]La retraite en liberté, Cherche midi, 2017.

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