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Pourquoi Emmanuel Macron a demandé la levée de l'embargo sur le Qatar après avoir tant critiqué les liens entre la France et l'émirat
©LUDOVIC MARIN / AFP

Double discours

​Emmanuel Macron recevait l'émir Tamir Al Thani ce 15 septembre à Paris, et a demandé à ce que les mesures d'embargo touchant les familles et les étudiants soient levées.

Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

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Atlantico : ​Emmanuel Macron recevait l'émir Tamir Al Thani ce 15 septembre à Paris, et a demandé à ce que les mesures d'embargo touchant les familles et les étudiants soient levées "le plus rapidement possible". S'agit-il d'un revirement de la position d'Emmanuel Macron à l'égard du Qatar ?

Roland Lombardi : Il faudrait d’abord savoir, au-delà des déclarations assez positives de ces derniers mois à propos du Moyen-orient et du terrorisme par exemple, quelles sont les réelles positions du Président français. Je ne vous cache pas qu’avec un Emmanuel Macron, moins mû par les convictions que par la comm’, comme on dit, je reste relativement méfiant. Pour en revenir à cette fameuse phrase du Président ce vendredi, il faut d’abord souligner qu’elle s’inscrit dans les traditionnelles déclarations officielles de la diplomatie française. Celles-ci sont toujours emplies de grandiloquence, de sentimentalisme et de morale mais depuis maintenant plusieurs décennies, n’ont toujours pas d’échos, ni d’effets et sont de plus en plus grotesques. Malheureusement, depuis trop longtemps, la France n’est plus écoutée dans le monde arabe. Sur la forme, Emmanuel Macron aurait été plus inspiré de paraître beaucoup plus « neutre » et d’appeler, comme la chancelière allemande, les acteurs à « s'asseoir à une même table ». Ce qui va d’ailleurs inévitablement se produire comme je l’avais annoncé dès le début de la crise et au vu des dernières évolutions sur les tensions qui opposent, depuis le 5 juin dernier, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l'Égypte au Qatar.

Mais c’est surtout le fond qui interpelle. La France est très embarrassée par la situation entre  Doha et ses voisins. En effet, Paris entretient de bons rapports avec tous les protagonistes et jusqu’ici la discrétion a été de rigueur. Alors, pourquoi sembler prendre à présent fait et cause pour le petit émirat ? On ne connaît pas encore la teneur exacte des discussions entre le Président français et l’émir Tamim Al Thani, en quête de soutiens internationaux. J’espère qu’ils n’ont pas fait que parler gros sous et football ! Plus sérieusement, j’ose imaginer que les sujets liés à l’évolution actuelle du Moyen-Orient, au terrorisme islamiste et à l’échange de renseignements ont été au cœur des débats comme l’évoque si joliment le communiqué officiel de l’Elysée... Mais le Président français a-t-il regardé le cheikh dans les yeux, en lui serrant la main très fort, pour lui sommer (comme le font dorénavant Américains et Russes) de stopper une bonne fois pour toute son double-jeu et son aide aux milices islamistes libyennes ou syriennes ? C’est peu probable. Par ailleurs, la question des Frères musulmans, toujours soutenus et financés par Doha, a-t-elle été abordée ? Car n’oublions pas que cette dangereuse organisation, interdite dans de nombreux pays, a encore paradoxalement pignon sur rue en France (UOIF)…

Comment interpréter cette déclaration alors qu'Emmanuel Macron avait pu déclarer, à propos du Qatar : "Je pense qu'il y a eu beaucoup de complaisance, durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy en particulier" en indiquant souhaiter "mettre fin aux accords qui favorisent en France le Qatar".​ Emmanuel Macron s'est il "adapté" à la situation ? Comment expliquer ce qui ressemble à un double discours ?

Vous savez, malheureusement, nous sommes habitués aux doubles discours du Quai d’Orsay et des différents responsables français. Et c’est tout le problème. Car, après presque six mois et l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, nous avons encore du mal à décrypter et surtout à entrevoir les lignes claires et cohérentes d’une nouvelle politique étrangère qui redonnerait enfin à la France, voix au chapitre quant aux questions moyen-orientales. Certes, il semble y avoir eu une inflexion positive et une prise de conscience salvatrice dans ce domaine si on en croit les dernières et différentes déclarations du nouveau Président ces derniers temps. Comme celle que vous évoquez concernant le Qatar et les complaisances françaises passées. Mais aussi, celles dénonçant le soutien au terrorisme par Riyad et Doha (dans une interview au Point le 7 septembre, M. Macron avait affirmé que « le Qatar et l'Arabie saoudite ont financé des groupements qui n'étaient pas les mêmes, mais qui ont de fait contribué au terrorisme »). Ou encore lors de son discours tenu à l’occasion de la Semaine des ambassadeurs, où il déclarait que « la lutte contre le terrorisme islamiste est la priorité de la politique étrangère française ». Sur la Syrie, on a pu également observer une évolution opportune par rapport à ses prédécesseurs à propos du régime de Damas. Mais là encore, nous avons dernièrement assisté à une nouvelle incohérence puisque le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a affirmé sur les ondes de la radio RTL, début septembre, que la transition politique en Syrie ne pouvait pas se faire avec Bachar el-Assad !

La France est attendue dans le monde. Mais pour cela, il faut, comme je l’ai dit plus haut, que sa nouvelle politique étrangère soit enfin réaliste et claire. Et surtout, comme dans de nombreux domaines, que les actes suivent les belles paroles !

Emmanuel Macron prend il un risque avec une telle déclaration notamment à l'égard des pays qui ont initié l'embargo ?

Objectivement, je ne pense pas. Que pèse concrètement la déclaration du Président français dans le cours des évènements au Levant ? Pas grand-chose. Et puis quel est le risque ? Que l’Arabie saoudite n’honore finalement pas les contrats français ? Nombre d’entre eux ne restent souvent qu’en l’état de promesses, les signatures traînant en longueur depuis parfois plusieurs années…

Certes, la déclaration d’Emmanuel Macron à propos de la levée « le plus rapidement possible » des « mesures d'embargo affectant les populations du Qatar », n’est certainement qu’un élément de langage diplomatique (très maladroit) de plus. Toutefois, tout le monde garde à l’esprit les importants investissements du richissime Etat gazier en France et notamment le dernier épisode footballistique de cet été, avec l’achat faramineux par le PSG, propriété du Qatar, de la star brésilienne Neymar. De fait, avec les propos du Président français vendredi dernier, l’image de la France, dans les Chancelleries arabes comme dans les opinions publiques, risque, une nouvelle fois encore, d’être écornée. Comme d’ailleurs le confirment les premiers retours en ma possession, aux yeux de beaucoup, Paris semble « se coucher de nouveau devant l’argent qatari »… C’est triste.

Pourtant, afin de retrouver notre influence, notre rayonnement et surtout pour nos propres intérêts sécuritaires, il est impératif de reconsidérer nos relations ambiguës avec certains Etats. Je ne dis pas qu’il faille rompre de manière brutale nos relations avec les monarchies du Golfe. Nous devons parler à tout le monde (à l’inverse de nos précédentes politiques). En l’occurrence, il serait intéressant de profiter de leur isolement et de leurs « faiblesses » actuelles, pour revoir nos rapports avec elles (comme, une fois de plus, le font actuellement Washington et Moscou). Nous avons toujours besoin de leurs relatives influences, de leurs renseignements sur des groupes qu’elles connaissent malheureusement trop bien et de tous leurs réseaux dans la région. Pour autant, quitte à perdre à court terme certains avantages commerciaux, notre attitude envers ces Etats devrait changer pour devenir beaucoup plus raisonnable, ferme et souveraine et donc, beaucoup plus « virile » ! Nous en serions d’autant plus respectés et donc écoutés.

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