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Devenir immortel : la nouvelle lubie super tendance des nantis de la Silicon Valley
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Bonnes feuilles

Homo Deus nous dévoile ce que sera le monde d’aujourd’hui lorsque, à nos mythes collectifs tels que les dieux, l’argent, l’égalité et la liberté, s’allieront de nouvelles technologies démiurgiques. Et que les algorithmes, de plus en plus intelligents, pourront se passer de notre pouvoir de décision. Car, tandis que l’Homo Sapiens devient un Homo Deus, nous nous forgeons un nouveau destin. Extrait de "Homo Deus" de Yuval Noah Harari aux Editions Albin Michel 2017 (1/2).

Yuval Noah Harari

Yuval Noah Harari

Yuval Noah Harari est docteur en Histoire, diplômé de l'Université d'Oxford. Il enseigne dans le département d'Histoire de l'université hébraïque de Jérusalem et a remporté le « prix Polonsky pour la Créativité et l'Originalité » en 2009 et en 2012. Il est connu dans le monde entier pour ses « Ted talks » et pour l'écriture de son livre Sapiens, une brève histoire de l'humanité, qui a rencontré un succès colossal. 

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Et tout problème technique a une solution technique. Nul n’est besoin d’attendre le Second Avènement pour triompher de la mort. Deux geeks – ou as de l’informatique – peuvent y parvenir dans leur labo. Si, traditionnellement, la mort était le domaine des prêtres et des théologiens, ce sont les ingénieurs qui prennent aujourd’hui la relève. Nous pouvons tuer les cellules cancéreuses par la chimiothérapie ou des nanorobots. Nous pouvons exterminer les germes de nos poumons par des antibiotiques. Si le cœur s’arrête, nous pouvons le ranimer par des médicaments ou des électrochocs – et si ça ne marche pas, on peut implanter un nouveau cœur. Certes, pour l’heure, nous n’avons pas de solutions à tous les problèmes techniques, mais c’est précisément pour cette raison que nous consacrons tant de temps et d’argent à la recherche sur le cancer, les germes, la génétique et les nanotechnologies.

Même les gens ordinaires qui ne sont pas impliqués dans la recherche scientifique ont pris l’habitude de penser à la mort comme à un problème technique. Quand une femme va consulter son médecin et demande : « Docteur, qu’est-ce qui ne va pas ? », ce dernier répondra probablement : « C’est la grippe », « C’est la tuberculose » ou encore « C’est un cancer ». Mais jamais il ne dira : « C’est la mort ! » Et nous vivons tous dans l’idée que grippe, tuberculose et cancer sont des problèmes techniques auxquels nous pourrions un jour trouver une solution technique.

Même quand des gens meurent dans un ouragan, un accident de la route ou une guerre, nous avons tendance à y voir un échec technique qui aurait pu et dû être évité. Si seulement le gouvernement avait mis en œuvre une meilleure politique ; si la municipalité avait bien fait son travail ; si le chef des armées avait mieux réagi, la mort aurait pu être évitée. La mort est devenue une cause presque automatique de poursuites et d’enquêtes. « Comment ont-ils pu mourir ? Quelqu’un, quelque part, a failli ! »

L’immense majorité des chercheurs, des médecins et des spécialistes se tiennent encore à distance de ces rêves affichés d’immortalité, affirmant qu’ils essaient simplement de surmonter tel ou tel problème particulier. Mais puisque le grand âge et la mort ne sont que le fruit de problèmes particuliers, il n’y a pas de stade auquel médecins et chercheurs vont déclarer : « C’est bon, on s’arrête là. Nous avons triomphé de la tuberculose et du cancer, mais nous ne lèverons pas le petit doigt pour combattre la maladie d’Alzheimer. Que les gens continuent à en mourir ! » La Déclaration universelle des droits de l’homme ne dit pas que les hommes ont le « droit de vivre jusqu’à quatre-vingt-dix ans », mais que tout être humain a droit à la vie, point barre. Ce droit n’est limité par aucune date d’expiration.

Aussi une minorité croissante de chercheurs et de penseurs parlent-ils plus franchement, ces temps-ci, et assurent que le projet phare de la science moderne est de vaincre la mort et d’offrir aux humains l’éternelle jeunesse. Ainsi du gérontologue Aubrey de Grey et du polymathe et inventeur Ray Kurzweil (récompensé en 1999 par l’US National Medal of Technology and Innovation). En 2012 Kurzweil a été nommé directeur de l’ingénierie chez Google, et un an plus tard Google a lancé une filiale, Calico, dont la mission déclarée est de « résoudre le problème de la mort (ntf-27)  ». Google a dernièrement nommé un autre convaincu de l’immortalité, Bill Maris, à la tête du fonds d’investissement Google Ventures. Dans une interview de janvier 2015, Maris déclarait : « Si vous me demandez aujourd’hui s’il est possible de vivre jusqu’à cinq cents ans, la réponse est oui. » Maris étaye ses propos audacieux par une forte somme d’argent liquide : Google Ventures investit 36 % de ses deux milliards de dollars en portefeuille dans des start-up spécialisées en sciences de la vie, dont plusieurs projets ambitieux visant à prolonger la vie. Recourant à une analogie avec le football américain, Maris ajoute : dans le combat contre la mort, « nous n’essayons pas de gagner quelques mètres. Nous cherchons à gagner la partie ». Pourquoi ? « Parce que, répond-il, mieux vaut vivre que mourir (ntf-28) . »

Ces rêves sont partagés par d’autres sommités de la Silicon Valley. Le cofondateur de PayPal, Peter Thiel, a dernièrement confessé qu’il compte bien vivre éternellement. « Je pense qu’il y a probablement trois grandes façons d’aborder [la mort], a-t-il expliqué. L’accepter, la nier ou la combattre. Je crois que notre société est dominée par des gens qui sont dans le déni ou l’acceptation ; pour ma part, je préfère la combattre. » Beaucoup de gens balaieront probablement ces déclarations d’un revers de main, y voyant des fantaisies d’adolescents. Or, Thiel est quelqu’un qu’il faut prendre très au sérieux. Il est un des entrepreneurs les plus prospères et influents de la Silicon Valley, à la tête d’une fortune privée estimée à 2,2 milliards de dollars (ntf-29) . La messe est dite : l’égalité est hors-jeu, l’immortalité dans l’air du temps.

Le développement à vitesse grand V de domaines comme le génie génétique, la médecine régénérative et les nanotechnologies nourrit des prophéties toujours plus optimistes. Certains experts croient que les humains triompheront de la mort d’ici 2200, d’autres parlent même de 2100. Kurzweil et de Grey sont encore plus confiants. Ils soutiennent qu’en 2050 quiconque possède un corps sain et un solide compte en banque aura une chance sérieuse d’accéder à l’immortalité en trompant la mort de décennie en décennie. Tous les dix ans, selon Kurzweil et de Grey, nous ferons un séjour dans une clinique pour y subir une transformation qui nous guérira de nos maladies, mais régénérera aussi nos tissus en décomposition et améliorera nos mains, nos yeux et notre cerveau. Entre deux hospitalisations, les médecins auront inventé pléthore de nouveaux médicaments, d’extensions et de gadgets. Si Kurzweil et de Grey ont raison, peut-être y a-t-il déjà des immortels qui marchent à côté de vous dans la rue – du moins si vous arpentez Wall Street ou la Cinquième Avenue.

En vérité, ils seront a-mortels plutôt qu’immortels. À la différence de Dieu, les surhommes futurs pourraient encore mourir dans une guerre ou un accident, et rien ne pourrait les faire revenir des enfers. Toutefois, contrairement à nous autres, mortels, leur vie n’aurait pas de date d’expiration. Tant qu’une bombe ne les réduirait pas en charpie ou qu’ils ne passeraient pas sous un camion, ils pourraient vivre indéfiniment. Ce qui ferait probablement d’eux les gens les plus angoissés de l’histoire. Nous autres, mortels, prenons chaque jour des risques avec notre existence, car nous savons qu’elle aura une fin de toute façon. Nous partons donc en randonnée dans l’Himalaya, nageons dans la mer et faisons quantité d’autres choses dangereuses, comme traverser la rue ou aller au restaurant. Mais devant la perspective de vivre éternellement, qui serait assez fou pour prendre des paris avec l’infini comme ça ?

Extrait de "Homo Deus" de Yuval Noah Harari aux Editions Albin Michel

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