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Attention sujet piégé : la droite peut-elle (ne pas) intervenir dans le conflit social ?
©BORIS HORVAT / AFP

Dilemme

Alors que la contestation autour de la loi Travail s’organise à gauche, la droite peine à se présenter comme un véritable pôle d'opposition, notamment sur ce débat.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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La première journée de contestation de la Réforme du marché du travail a lieu cette semaine. La droite doit-elle intervenir dans le conflit social selon vous ? Ne risque-t-elle pas de se mettre à dos son électorat classique en le faisant ? (il y a également le risque d’apparaître cynique après avoir soutenu le programme de “purge” de Fillon)

Jérôme Fourquet : Habituellement la droite est assez peu encline à venir en soutien dans des mobilisations sociales organisées par des syndicats comme la CGT. Elle est d'ailleurs souvent à l'origine de mouvements lorsque la droite est au pouvoir. La droite peu se mobiliser et soutenir des protestations comme des manifestations de policiers, de professeurs libéraux ou d'agriculteurs, des clientèles électorales acquises. Ce serait très étonnant qu'au regard de ces habitudes il en soit ainsi.

Ensuite, sur le dossier même de la réforme du code du travail, on constate qu'une bonne partie des mesures qui ont été prises sont des mesures qui ont été soutenues et proposées par la droite classique. Il serait difficilement défendable intellectuellement et politiquement de jeter de l'huile sur le feu et de contester ces réformes.

Enfin, quand on regarde les enquêtes d'opinions, on constate que l'électorat de droite est majoritairement favorable à ces réformes. Sur ce font, il y a une très forte convergence de point de vue entre la droite et la République En Marche. Ces mesures vont dans le bon sens. Sachant qu'en plus, LREM poursuit un agenda de réforme libérale qui est depuis longtemps l'alpha et l'oméga des programmes économiques de la droite. Cette confusion et cette proximité s'explique et se redouble par le fait que des représentants des Républicains sont aujourd'hui en charge de ces réformes. On voit mal comment la droite pourrait venir en soutien à la CGT. Ce serait se mettre en porte à faux son électorat qui est majoritairement favorable à ses réformes. 

Maxime Tandonnet : Les Républicains ne peuvent pas se permettre de jouer la politique du pire face aux réformes prévues par les ordonnances. Ce serait suicidaire et contradictoire par rapport à leur discours habituel. Les français sentiraient bien la politique politicienne et le désir d’utiliser le conflit pour affaiblir le gouvernement. Quel que soit l’issue ils en sortiraient affaiblis. Si les ordonnances passent, ils seront dans le camp des vaincus, avec le fn et la gauche radicale. Le gouvernement apparaîtra comme seul contre tous ayant atteint ses objectifs. Si, à la suite d’une grave crise de société, le gouvernement est obligé de reculer, ce ne sont pas les Républicains qui apparaîtront comme les vainqueurs, mais bel et bien la rue et le parti de gauche et les socialistes.

Selon un sondage Elabe pour BFM TV, 39% des français estiment qu'aucun mouvement politique n'incarne le mieux l'opposition en particulier. Ils sont 9%  à penser que les Républicains l'incarnent. Faut-il voir ici l'occasion pour la droite d'incarner l'opposition ?

Maxime Tandonnet : Non, il faut raisonner à terme, ce n’est jamais une bonne chose d’apparaître comme étant dans le camp de la démagogie. La France a besoin de réformes profondes. Même si l’on ne partage pas entièrement le point de vue du gouvernement sur les réformes, la droite n’a rien à faire du côté des extrêmes. Elle ne devrait pas prendre part à une bataille frontale contre des réformes qui certes ne règlent pas tout, mais qui vont tout de même sur certains points dans un sens favorable. Peut-être qu’une majorité de Français est opposée à cette réforme. Mais il faut réfléchir et agir avec une perspective de long terme, et non pas d’aller dans le sens du vent le jour le jour. Il faut penser à l’après. Si cette réforme échoue, sous le poids de la rue, il est clair qu’une étape supplémentaire sera franchie dans la voie d’un pays de plus en plus ingouvernable et impossible à réformer. Si un jour les Républicains accèdent au pouvoir, comment pourront-ils proposer des changements beaucoup plus conséquents, s’ils se sont opposés à des réformes d’inspiration libérale ? Une attitude d’obstruction systématique serait incompréhensible et fatale pour l’avenir à terme de la droite républicaine. Il faut regarder les choses avec une vision de long terme par-delà les aléas du jour le jour et des calculs politiciens.

Jérôme Fourquet : Pas sur ce terrain-là, son électorat ne comprendrait pas. Pour le moment c'est Jean-Luc Mélenchon et les Insoumis qui apparaissent comme les premiers opposants car le gouvernement Philippe -sous la houlette d'Emmanuel Macron- a défendu des mesures libérales. Ce sont eux qui s'opposent. Tant qu'il y aura une volonté de réforme libérale de la part du gouvernement il sera très difficile pour la droite de se distinguer. Ils le pouvaient au moment de l'affrontement avec le général de Villiers par exemple, sur des questions identitaires et régaliennes. Pour le moment la droite aurait peut-être plus à gagner en prenant son mal en patience et en essayant de s'opposer au gouvernement quand il s'agira de sortir de l'état d'urgence en novembre). La dessus, l'électorat de droite pourra tout à fait entendre une critique. Sur les questions économiques et sociales pour le moment c'est diffcilement faisable et trop risqué. 

Comment la droite doit-elle s'exprimer pour compter dans ce débat et ne pas se retrouver prise en étau entre la République en Marche et la France insoumise ? Sans pour autant s'opposer à la réforme, la droite ne gagnerait-t-elle pas à expliquer pourquoi elle vote le texte ou ce qu'elle aurait fait différemment par exemple ? (déverrouiller le temps de travail et les seuils sociaux par exemple)

Maxime Tandonnet : Je pense que les Républicains ne peuvent pas faire le jeu de la rue dans cette affaire, ils seraient les premiers perdants in fine. En revanche, il leur appartient d’exercer leur mission d’opposition responsable et républicaine. Tout en s’élevant au-dessus du climat d’hystérie qui caractérise la France actuelle, ils doivent remplir leur mission politique d’opposition et s’exprimer sans tabou ni préjugés sur les sujets. Qu’il y a-t-il de positif et de négatif dans cette réforme ? En quoi la procédure des ordonnances et l’absence de débat parlementaire est-elle contestable, risquant de cristalliser l’opposition dans la rue et la violence, plutôt que dans le débat, au risque de tout faire échouer ? Que manque-t-il à ces ordonnances, pour être réellement efficace et permettre de relancer l’économie et l’emploi, sur les 35 heures, le contrat de travail, les charges sociales et fiscales, réglementaires pesant sur l’entreprise, les fameux seuils ? Et puis, l’opposition républicaine, plutôt que de se déchirer lamentablement sur les ambitions personnelles, doit se focaliser sur ce qui fait la richesse de la vie politique : le débat d’idées, sur les grands sujets de l’avenir, la réforme de l’Union européenne, la libération des énergies économiques, le fonctionnement de la République et de la démocratie, l’école, les frontières, l’unité et l’indivisibilité de la France… En somme, oui à la politique, au sens noble du terme, non à la violence et au chaos. 

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