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Maël de Calan : "le conservatisme modéré incarné par la Droite en France depuis toujours n'a jamais été aussi nécessaire"
©Reuters

Interview politique

L'ancien porte-parole d'Alain Juppé se lance dans la bataille pour la présidence des Républicains. Pour Atlantico, il détaille sa vision de la droite et détaille ses critiques du gouvernement, mais aussi de ses adversaires.

Maël de Calan

Maël de Calan

Maël de Calan est conseiller départemental du Finistère et conseiller d'Alain Juppé.

Il est l'auteur de "La vérité sur le programme du Front national" (Plon).

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Atlantico : Vous avez déclaré que vous vous présentiez pour faire gagner la droite, indépendamment du destin des hommes ou des femmes qui la représentent, en termes d'idées que cela signifie-t-il ? Et si on traduit ces idées en programme de gouvernement concret, quelle est notamment la différence entre la droite ouverte et équilibrée que vous appelez de vos vœux et Emmanuel Macron ? Et entre la vôtre et celle d'Edouard Philippe ou de Bruno Le Maire ?

Maël de Calan : Nous avons évidemment plus de points communs avec Emmanuel Macron qu’avec François Hollande – les ordonnances travail ou les premières réformes scolaires en sont un exemple – mais sur bien d’autres points, les projets du gouvernement sont en retrait ou contraires à nos idées – la hausse programmée de la CSG, l’absence de vraie réforme des retraites, ou l’inertie sur les questions de sécurité et de justice.

Mais la droite n’est pas obligée de tout le temps se définir par rapport aux autres ! Elle porte de belles valeurs qu’elle est la seule à porter. La conviction que c’est la liberté qui permet le développement de l’homme, et que c’est le travail, le mérite et l’effort qui permettent son émancipation ; la conviction que l’ordre et l’autorité sont indispensables à la vie sociale et que l’homme a besoin de racines pour s’épanouir ; la conviction enfin, que la France ne serait pas la France sans grandeur, dans laquelle nous puisons notre ambition mondiale et européenne pour le pays.

Maintenant, elle ne pourra pas être utile à la France sans gagner les élections, et la ligne très clivante sur la forme et très contestataire sur le fond qui progresse au sein des Républicains ne peut pas nous faire gagner. Pour gagner, il nous faut des alliés qui sont au centre. Il faut donner envie aux Français de voter pour nous en nous débarrassant du cynisme, de la mauvaise foi, de la démagogie et du sectarisme. Il faut enfin préserver l’union des droites, en trouvant un point d’équilibre dans lequel toutes les sensibilités pourront se reconnaître.

Emmanuel Macron a qualifié ceux qui s'opposent à ses réformes de "fainéants, de cyniques ou d'extrêmes", que vous inspire cette phrase sur la forme comme sur le fond ?

Cette tendance – qui n'est pas propre à Emmanuel Macron mais qui existe depuis une vingtaine d'année dans le débat public –q u'ont les responsables politiques à être de plus en plus clivants, transgressifs voire vulgaires sur la forme est très regrettable. La politique a besoin de hauteur.

Sur le fond, la réforme du marché du travail est une bonne réforme et ceux qui s'y opposent le font souvent pour de mauvaises raisons. Ce n’est pas une raison pour les insulter : la pédagogie plutôt que l’invective, voilà une manière neuve de faire de la politique !

La première journée de contestation de la Réforme du marché du travail a lieu cette semaine, comment la droite doit-elle s'exprimer selon vous pour compter dans ce débat et ne pas se retrouver prise en étau entre la République en Marche et la France insoumise ?

La droite doit faire trois choses. D'abord elle doit voter ce texte. Ensuite, elle doit expliquer pourquoi elle le vote,dire qu’un marché du travail qui fonctionne crée plus d’emplois : c’est capital si l'on veut gagner la bataille des idées et éviter que ce type de réforme ne soit à la merci d’une alternance. Enfin, elle doit dire là où elle serait allée plus loin (en déverrouillant le temps de travail et les seuils sociaux par exemple) pour préparer la prochaine réforme.

La vision de l'Europe exprimée par Emmanuel Macron à Athènes cette semaine vous a-t-elle convaincue ?

Sur le plan des principes, sans doute. La droite a une ambition mondiale pour la France, et sait que cette ambition ne pourra pas exister sans une Europe forte et unie. Le discours prononcé par Macron s’inscrit dans cette perspective. Il était par ailleurs très beau, ce qui ne fait pas de mal !

Ensuite, Emmanuel Macron a tracé des pistes de réformes institutionnelles qui méritent d'être précisées. Si son objectif est de créer un budget européen simplement pour ajouter un nouvel étage de dette, alors il fait fausse route.

Au-delà de la volonté de relance de l'intégration européenne, le contexte européen actuel vous paraît-il propice à cette refondation de l'Union ? Les Allemands semblent disposés à accepter une forme de gouvernement de la zone euro mais en y consacrant un budget minimal, ce qui anesthésie économiquement l'avancée politique réalisée. Plusieurs pays d'Europe de l'Est pour leur part critiquent les politiques et les valeurs que tentent selon eux de leur imposer la commission de Bruxelles ou les pays de l'Ouest. En résumé, sur le papier plus d'Europe, ça peut être bien mais dans la réalité, que peut-on vraiment espérer ? Et quelle doit être l'approche de la France ?

La relance de l’intégration européenne ne passe pas tant par un nouveau mécano institutionnel, l’intégration de nouvelles politiques ou le renforcement du budget européen. Ce qui manque en Europe, c'est une volonté politique forte qui permette d’utiliser les outils existants quand les intérêts des Etats membres divergent.

Cette volonté politique ne peut venir que d’un couple franco-allemand extrêmement soudé, qui fonctionnerait à nouveau. Or, l’Allemagne n’acceptera cette perspective que si la France redevient un partenaire fiable, qui respecte ses engagements budgétaires, engage des réformes structurelles, et contribue à la stabilité économique et monétaire de l’Europe.

A cette condition, l’Allemagne et la France pourront à nouveau avancer de concert, et se mettre d’accord sur un nombre limité de priorités : les coopérations en matière de défense et de lutte contre le terrorisme, la protection des frontières européennes pour faire face au choc migratoire,la défense de nos intérêts commerciaux, la convergence économique et fiscale.

Votre candidature à la tête des Républicains se veut générationnelle et pas juppéiste. Vous ne souhaitez pas apparaître comme l'homme d'une "chapelle" mais miser sur une génération n'est-il pas une autre forme d'enfermement ? Que porte de spécifique votre génération ?

Il ne s'agit pas de prétendre que notre génération aurait toutes les solutions, mais de prendre acte du souhait profond de renouvellement exprimé par tous les électeurs. La réponse à Emmanuel Macron ne peut pas être le retour de la vieille garde !

Le renouvellement des pratiques politiques auquelnous aspirons devra être portés par de nouveaux visages, c’est indiscutable.C’est la seule manière de s’ouvrir aux problématiques auxquelles la France contemporaine est confrontée, de renoueravec la sincérité dans l'expression publique, et de retrouverle sens de l’éthique et le respect des institutions.

La tolérance dont la droite a pu faire preuve vis à vis de comportements scandaleux sur le plan moral, sans parler des dérives complotistes ou populistes qu’on entend de plus en plus régulièrement, ruine notre crédibilité, il est temps d’y mettre un terme.

Entre le départ d'Edouard Philippe ou de Gilles Boyer pour Matignon, le ralliement de Virginie Calmels à Laurent Wauquiez votre propre refus d'assumer une étiquette juppéiste, que reste-t-il de la ligne portée par Alain Juppé ? A posteriori, cette atomisation souligne-t-elle une fragilité ? Le macronisme a-t-il eu la peau du Juppéisme ?

Ce qui reste du Juppéisme, ce sont les idées. Celle d'une droite très fière de ses valeurs et ferme sur ses idées, mais aussi tolérante, ouverte et à la recherche d'un équilibre. Le Juppéisme, c'est une droite de gouvernement qui assume la complexité du pouvoir par opposition à une droite contestataire qui se complait dans des propos d’estrade et des slogans réducteurs.

Quel est l'inverse de l'équilibre ? C'est l'excès, la démesure ou l’intolérance. Cela conduit à tromper les électeurs et à décevoir systématiquement car les actes ne sont jamais à la hauteur des mots. Le Juppéisme,c’est une droitequi parle un peu moins mais quiagit beaucoup plus.

Vous avez qualifié la ligne portée par Laurent Wauquiez de "clivante et intransigeante sur la forme comme sur le fond" et vous êtes revendiqué "d'une droite fière de ses valeurs, mais qui préfère le travail de fond aux slogans". De ces deux critiques en une, la démagogie et l'absence de réflexion d'une part et la posture droitière d'une autre, lequel des écueils qu'elles visent vous paraît-il le plus dommageable pour Les Républicains ?

Très clairement, la première. Si les Républicains devaient renoncer à leur culture de gouvernement pour plonger dans une culture de la contestation, non seulement ils s’éloigneraient durablement de la majorité des électeurs mais en plus ils ne seraient pas utile au pays.

En effet, le jour où il y aura une alternance, les Français ne donneront pas le pays à ceux qui ont crié le plus fort mais à ceux qui apparaitront comme les plus crédibles. Si pendant cinq ans l'opposition se contente de slogans et de propositions maximalistes et irréalistes, si elle n’établit pas une vision précise de la manière dont elle veut diriger le pays, alors elle se condamne à l'impuissance dans l’exercice du pouvoir. Je ne crois pas aux exagérations, mais au travail et à la détermination.

Vous avez écrit un livre remarqué pour démonter le programme du Front National. Comment la droite peut-elle reconquérir les catégories populaires qui lui échappent et les convaincre de sortir de l'abstention ou de "revenir" de ses choix de vote FN ou France insoumise ? Attaquer le programme de ces partis est-il suffisant ? Rejetez-vous les efforts sur la forme de Laurent Wauquiez de refaire ce que Nicolas Sarkozy avait fait en 2007 pour tenir un discours qui "parle" à ces électeurs dépités ?

Beaucoup d’électeurs de droite qui nous ont quittés pour le FN l’ont fait par désespoir et exaspération. Ils n’ont pas apprécié que la droite ne tienne pas ses promesses au pouvoir, et ils n’ont pas supporté certaines pratiques contraires à la morale. En ce sens, le renouvellement que nous proposons, basé sur l’exigence, le travail et l’éthique est un élément fondamental de la réponse que nous devons apporter à ces électeurs.

Mais cela ne suffira pas. Même si la droite doit bien sûr parler aux perdants de la mondialisation,à la France périphérique et à tous ceux qui souffrent, elle ne parviendra à regagner leur considération qu’en étant efficace. A force d’être trompés, ces électeurs sont devenus hermétiques au discours politique. Ils ne croiront que ce qu’ils verront.

Notre monde n'a jamais été aussi incertain depuis 1945. Le dérèglement climatique, les défis migratoires, la mondialisation qui crée une réalité qui échappe aux Etats, les avancées technologiques qui ouvrent des perspectives vertigineuses en matière de génétique, de contrôle de nos données ou d'intelligence artificielle, tout ça fragilise la notion de progrès telle que nous l'avons conçue depuis des années : dans ce contexte, le conservatisme vous paraît-il mériter les procès qui lui sont dressés en France en permanence ?

Tout dépend ce que l'on entend par conservatisme. Pour reprendre la définition de Benjamin Disraeli, le conservatisme c'est "Réformer ce qu'il faut, conserver ce qui vaut". Le conservatisme modéré incarné par la Droite en France depuis toujours – c’est-à-dire une forme de prudence mais pas de rejet sur les avancées qu'elles soient sociétales ou technologiques – n'a jamaisétait aussi nécessaire. Toutes les avancées ne sont pas nécessairement des progrès, elles exigent un jugementpolitique, moral et éthique, et certainement pas une croyance aveugle dans un « sens de l’Histoire ».

Beaucoup d'avancées dans les techniques médicales sont effectivement des progrès qui permettent d'améliorer l'espérance de vie. Mais certaines peuvent aboutir à des régressions anthropologiques majeures, comme la GPA ou les dérives transhumanistes. Je pense que dans ce monde de plus en plus bouleversé et bouillonnant, le Conservatismeavec un grand « C » est évidemment une doctrine utile, qui porte un regard prudent mais optimiste sur l’évolution du monde.

En parlant d'assauts sur les conservateurs, comprenez-vous que de nombreux électeurs qui s'étaient retrouvés dans la campagne à la primaire de François Fillon aient pu être froissés lorsque toute une partie de la droite, dont Alain Juppé se sont mis à les qualifier de "radicalisés" comme si tous les électeurs qui avait voté à la primaire pour François Fillon était des militants de Sens commun et des individus sectaires et vindicatifs ?

Alain Juppé a eu raison de parler de radicalisation, à propos d’une poignée de militants qui avaient affirmé qu'il était l'ami des salafistes et de l'islam radical. On peut également parler de radicalisation quand l’esprit critique cède la place au complotisme. Il est certain qu'il y a au sein de notre électorat une petite minorité de gens sectaires qui considèrent que tous ceux qui à droite ne sont pas totalement en phase avec leurs idées représentent la « « fausse droite ».Ceux-là nous conduisent vers une défaite assurée! Car d'épuration en épuration ils finiront par laisser le parti dans un état de d'isolement et de délabrement total.

Les inégalités se sont creusées depuis 20 ans et le fameux 1% des plus riches a vu ses revenus s'envoler alors que le reste de la population a vu les siens stagner voire baisser, pensez-vous que le même logiciel intellectuel que celui qui a présidé à l'action des gouvernements de ces 30/40 dernières années puisse continuer à fonder nos politiques ? Qu'est-ce que selon vous la droite a vocation à dire sur le monde produit par ce capitalisme financier ? Un discours de réforme de l'État et de bonne gestion peut-il suffire ?

Je pense que les fondamentaux de notre logiciel économique et social restent les bons. La droite dit deux choses : d’abord, que notre politique sociale, c'est la croissance économique qui permet le retour au plein emploi, et le développement du travail qui permet l’augmentation du pouvoir d’achat. Mais elle est aussi très attachée à un modèle social redistributif, suffisamment puissant pour enrayer les inégalités. Le plein emploi, l'augmentation du pouvoir d'achat et la réforme intelligente de notre modèle social qui permet de compenser de nouvelles inégalités est une synthèse propre à l’Europe, qui me semble très adaptée à un système économique dans lequel l’innovation et la détention du capital prennent de plus en plus d’importance.

S'inquiéter d'une forme de dilution de l'identité française, d'une perte du sentiment et des valeurs qui constituaient le socle du vivre-ensemble en France est-il nécessairement 1) un diagnostic erroné formé par des esprits dépressifs et déclinistes 2) le symptôme d'une panique identitaire injustifiée ?

C'est un sentiment qui est partagé par de nombreux Français de tous bords qui veulent dire qu'ils sont attachés à leur culture, leur histoire et leurs valeurs qui forment leur identité. Simone Weil disait que l'enracinement est le besoin le plus méconnu et le plus important de l'âme humaine. La conviction que nous partageons c'est que cette forme d'insécurité culturelle ne doit pas être prise à la légère.

Mais une fois que le constat est posé, la manière d'y répondre est déterminante. Il ne s'agit pas de surfer sur ce type de sujets pour se rendre populaire, mais bien de trouver des solutions réalistes, applicables et compatibles avec une société ouverte. On peut très bien dire à la fois que nos valeurs, notre culture et nos mœurs ne sont pas négociables et en même temps tout faire pour éviter une confrontation avec nos compatriotes musulmans. De manière générale, les responsables politiques doivent chercher à résoudre les problèmes de la société française, pas à prospérer dessus, c’est la distinction entre les hommes d’Etat et les démagogues.

François Fillon a été beaucoup critiqué pour avoir évoqué sa foi catholique, pensez-vous que le procès qui lui était fait justifié ? Dans une société en manque de repères qui n'a pas beaucoup d'autres perspectives à offrir à ses jeunes que la société de consommation, faut-il pour vous s'en tenir à une interprétation de la laïcité qui efface toute référence à des systèmes de pensée religieux ou spirituels ?

La France est un Etat laïque. Mais la conception que j'ai de la laïcité n’en fait pas l'ennemie des religions, qui donnent des repères et nourrissent la vie spirituelle et morale de millions de Français.

La laïcité doit assurer la neutralité de l'Etat et garantir la liberté religieuse. De ce point de vue, qu'un responsable politique mette en avant ses convictions religieuses ne me choque pas. D’autres l’ont fait par le passé, pour le meilleur si l’on considère l’exemple des pères fondateurs de l’Europe.

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