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Comment la hausse de l’euro pourrait briser tous les “espoirs” suscités par le nouveau réformisme français
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Espoirs brisés

A première vue, c'est un paradoxe. Mais une hausse de l'euro ne veut pas dire plus de pouvoir d'achat pour les entrepreneurs. Cela veut dire plus d'argent pour le secteur public dont Emmanuel Macron est issu.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Loi travail, réduction des dépenses publiques en vue de respecter les règles des 3%, volonté de modifier l'assurance chômage, etc... l'agenda économique d'Emmanuel Macron est important pour ces premiers mois de quinquennat. Pourtant, face à ce cycle réformateur, la hausse de l'euro ne cesse d'inquiéter les acteurs économiques. Comment évaluer les effets de ces deux forces, entre réformes visant à améliorer la « compétitivité » française (si ce concept a un sens dans une économie mondialisée et dans un cadre européen) et la hausse de 15% de l'euro face au dollar depuis le début de l'année ?

Mathieu Mucherie : Le paradoxe Shadock c’est de militer pour une libéralisation des marchés (appelons un chat un chat) tout en ne voyant pas le danger d’une hausse à contre-temps de l’euro qui risque de renforcer les tendances déflationnistes en interne : après tout, la déflation est la plus puissante force anti-réforme structurelle (puisqu’elle conduit à accentuer l’illusion nominale et à réduire la flexibilité des salaires et des taux d’intérêt), alors rigidifier l’économie via une inflation sous sa cible depuis des années tout en prétendant flexibiliser (ou flexi-sécuriser, pendant qu’on y est) l’économie, désolé ; ça ne peut marcher ni en théorie ni en pratique (tous les cas de réformes réussies que l’on nous chante depuis plus de 20 ans, TOUS, ont eu lieu dans le cadre d’une dévaluation d’environ 20%), a fortiori quand on a peu de croissance mondiale, peu de marges budgétaires, et un euro initial déjà cher (s’il ne l’était pas, l’inflation aurait été située autour de 2%, non ?).  

Au passage, on dit que Macron est « pro-entrepreneurs », quelle blague : les revenus des entrepreneurs de nos jours sont souvent gagnés sur les marchés étrangers, alors que le secteur public abrité (dont il est issu) gagne sa vie exclusivement en monnaie domestique ; donc une hausse injustifiée de l’euro (je rappelle que le consensus avant que Draghi ne parle à Sintra en juin tournait vers bien moins de 1,1 contre USD…) est un pur transfert de ressources vers le secteur qui en France pose problème (et qui est très peu visé par la réforme du marché du travail proposée, passons…), au détriment des entrepreneurs éternels dindons de la farce (il faut dire qu’ils sont faciles à berner puisqu’ils se focalisent sur la micro et n’entendent rien à la macro). Tout cela n’est ni juste ni efficace, surtout si on leur pompe ensuite les excédents du RSI en les fusionnant pour la bonne cause (mais j’anticipe peut-être) (on voit rarement des cagnottes subsister intacte en France) (on vient déjà ce matin de leur interdire toute activité extractrice dans l’hexagone après 2040, c’est open bar au bal des hypocrites).      

Technicisons. Selon Morgan Stanley, une hausse de 10% de l’Euro impacte négativement le PIB de 0,7% et les bénéfices par action de 5 à 8% dans la zone euro. Ce n’est pas rien. Pour les gens de JP Morgan, qui eux tendent plutôt en règle générale à sous-estimer les impacts, ce n’est pas mal non plus, avec pour illustration ci-dessous les deux modèles de la BCE elle-même : pour une hausse de 4,5% de l’euro (on y est sans problème même contre un panier large de monnaies), la séquence n’est pas la même (un modèle voit un étalement progressif de l’impact sur le taux d’inflation, un modèle voit un impact plus significatif dès la première année), mais les chiffres donnent le vertige : primo ils sont CUMULATIFS, deusio ils se déroulent dans une zone où l’inflation est si basse et si en dessous de la cible BCE depuis si longtemps que le moindre choc de durcissement monétaire fait courir un risque ENORME sur l’ancrage des anticipations d’inflation (donc sur les taux réels et tout le tremblement, la capacité à honorer les dettes, etc.). 

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A partir de quel moment peut-on considérer que les effets des réformes mises en place au niveau national seraient annihilés par une hausse de l'Euro ? Son niveau actuel de 1.20 USD est-il déjà un frein pour tout espoir d'effets positifs de ces réformes ?

Ça tombe bien c’est presque coïncident : les effets des taux de changes s’étalent sur 6 à 36 mois, avec une concentration maximale vers fin 2018 (si le mouvement actuel n’est pas contrecarré), alors que de son côté Macron a suggéré d’attendre les premiers effets de ses « réformes » vers… fin 2018. C’est beau. Ça signifie qu’on ne verra pas le moindre impact de la réforme (de toute façon lilliputienne) du Macron (de même que les effets d’une supplication hier des proprios pour une baisse des loyers de 5 euros au nom de la « responsabilité collective » si critiquée par son ancien mentor Paul Ricoeur… ont peu de chance de ne pas finir dans les poubelles de l’Histoire). 

Cela ne signifie pas qu’il ne faut rien faire. Certains efforts ont peu d’utilité cyclique mais après tout le propre d’une réforme structurelle est plutôt de viser la croissance potentielle (de long terme) et, idéalement, des effets de « bien-être », comme par exemple un renforcement du choix pour les consommateurs (pouvoir se passer de tel monopoleur public ou ne pas devoir passer des diplômes pour réparer des toitures n’a pas forcément de gros impact sur le PIB mais ferait du bien aux libertés). Simplement, il faudrait : a/ faire la pédagogie sur ce distingo, car sinon gare aux bobos (phénomène dit de « fatigue de l’ajustement structurel », sorte d’effet Sisyphe à force de ne pas voir les effets tangibles des efforts), b/ mieux coordonner le tout entre Paris et Francfort (je rêve), mais aussi entre Paris et les autres capitales car en réalité le vrai problème structurel en Europe est que les marchés du travail sont cloisonnés, restent des « îlots », faute de mobilité de la main d’œuvre, et ça Macron ne peut pas y faire grand-chose avec ses réformes franco-hexagonales (la carte ci-dessous sur les taux de chômage par régions, où l’on sent bien les frontières, fait mal ; surtout quand on se souvient des promesses des années 80 et 90 sur la constitution d’un vaste marché européen unifié et fluidifié par une belle monnaie unique et la technologie et la jeunesse avide de plus d’Europe et blablabla) :

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Peut-on considérer que les réformes envisagées ne peuvent remplir leurs effets qu'avec un euro plus faible ? Comment concilier les deux pour un résultat optimal ? 

Ce n’est pas une question de niveau : un euro faible est aussi dangereux et méprisable qu’un euro cher. Ce qu’il faut obtenir c’est un euro à peu près à sa valeur, fluctuant un peu (puisque sa valeur fondamentale n’est pas fixée dans le marbre) mais pas trop, en un mot un euro déterminé par des forces de marché (offre et demande de monnaie), pas par les fantasmes et les caprices de quelques banquiers centraux consanguins, cooptés, prompts à se cartelliser (la « coordination »), méprisants vis-à-vis de la transparence, de toute façon pas mandatés pour décider sur les questions de taux de changes (relisez le Traité européen !!), de toute façon très occupés à tout un tas de choses (y compris la supervision des 128 grandes banques, leurs anciens et leurs futurs employeurs), et encore persuadés qu’une courbe de Phillips pourrait se verticaliser comme par enchantement (un retour d’Elvis est plus probable). 

Et qu’on ne me fasse pas le coup (typiquement BCE) que ce sont les forces du marché qui nous placent à 1,20 : l’écart de taux USA-Zone euro milité pour 1,06 (graphique ci-dessous, échelles inversées), et l’écart dans les indicateurs dits de surprise (ceux de Citi, par exemple), sur les indicateurs macros pris en batterie, idem. C’est bien Draghi qui nous tue, avec son projet fou de démantèlement du QE avant que l’inflation cible ne revienne, et avec les rumeurs entretenues sur la hausse préventive des taux courts (auxquelles les marchés ne croient pas, regardez la tête des taux longs). Et si les entrées de capitaux (non motivées par les taux) vers la zone euro expliquaient tout, on le verrait sur la masse monétaire M3 (qui tend à ralentir ces derniers temps), par exemple. Bref. Je vais m’énerver. Un euro fort nous rapprocherait de la cible des 2%, là c’est un euro cher, il nous en éloigne, nous rend moins attractifs pour le reste du monde au moment où l’on prétend vouloir redevenir attractifs, et limite nos marges de manœuvre après 2018 (il est plus facile de réformer dans la durée quand on peut indemniser les perdants, par exemple). Demain la BCE se réunit et espérons au moins qu’elle en tiendra compte pour différer un peu l’extinction progressive du QE, ça limitera un peu la casse (?)…   

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Mais j’oubliais : « La fascination pour le taux de change est une passion française, unique en zone euro » (Benoit Coeuré, avril 2014). Ma fascination malsaine (et si française) (quoi que très partagée par tous les connaisseurs des marchés financiers et de la macroéconomie depuis les premiers classiques jusqu’à Keynes et Friedman) pour les réalités monétaires me tuera,… je ferais mieux de me concentrer sur l’essentiel : les contorsions sémantiques des agences de communication sur les réformes structurelles, la rentrée des classes au PSG, et l’éviction de Didier de Koh-Lanta. Dormons tranquilles et réformons les indemnités prudhommales pendant que les choses sérieuses se décident sans nous par des gens qui ne sont ni experts ni élus ni sérieusement audités. 

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