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Emmanuel Macron, une ambition pour l'Europe (mais que faudrait-il pour que l'Union retrouve vraiment un nouveau souffle ?)
©LUDOVIC MARIN / AFP

Discours d'Athènes

Emmanuel Macron se rend à Athènes pour prononcer un discours sur la zone euro. Le chef de l'Etat souhaite développer des mesures qui sont nécessaires mais néanmoins insuffisantes. L'objectif est de faire en sorte que la zone euro puisse être réformée afin de tenir en cas de nouvelle crise économique.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Maxime Sbaihi

Maxime Sbaihi

Maxime Sbaihi est économiste, directeur général du think-tank GenerationLibre.

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Atlantico : Ce 7 septembre, Emmanuel Macron se déplace à Athènes, ou il prononcera un discours "refondateur" de la démocratie européenne. Depuis son élection, Emmanuel Macron dévoile peu à peu son ambition concernant la zone euro, avec un projet de budget de la zone euro, d'un ministre des Finances, ainsi que d'un parlement spécifique. Des propositions qui ont été accueillies favorablement à Berlin, mais pas toujours selon les mêmes termes. Ainsi, alors qu'Emmanuel Macron souhaiterait voir la création d'un budget représentant plusieurs points de PIB, Angela Merkel a déjà pu indiquer "pas des centaines de milliards, mais juste des petits montants au départ avec lesquels nous pourrions soutenir les pays qui réforment". Comment peut-on anticiper cette négociation qui s'annonce ?

Maxime Sbaihi : La Chancelière s'est effectivement montrée ouverte aux propositions françaises de créer un budget et un ministre des finances de la zone euro. Cependant, le diable est dans les détails: un budget de combien et un ministre pour quoi faire? Ce sera tout l'enjeu de la négociation. Paris aimerait une capacité budgétaire permettant des investissements communs, avec un effet stabilisateur en période de crise. Berlin ne veut pas entendre parler de redistribution ou de mutualisation, c'est écrit noir sur blanc dans le programme électoral de la CDU. Les deux visions ne sont pas totalement incompatibles mais un ministre des finances sans ressources budgétaires et sans capacité d'emprunt risque fortement de ressembler au poste de président de l'eurogroupe qui existe déjà. L'Allemagne n'est pas contre davantage de solidarité mais elle veut la conditionner. C'est pour cela que le ministre des finances allemand Wolfgang Schaeuble est aussi favorable à la transformation de l'ESM en un fonds monétaire européen, l'idée derrière étant de récompenser financièrement les pays réformateurs. Cela fera aussi partie de la négociation. Il est peu probable qu'Emmanuel Macron aborde tous ces sujets à Athènes alors que la campagne électorale s'intensifie outre-Rhin. Il attendra vraisemblablement la semaine après les élections allemandes pour détailler ses ambitions.

Rémi Bourgeot : Il n’est pas certain que l’on puisse parler de négociation à proprement parler, tellement le déséquilibre est grand, pour l’heure, entre les gouvernements français et allemand. Peut-être Emmanuel Macron parviendra-t-il un jour à rétablir une forme d’équilibre pour échapper à cette sorte de triangle des Bermudes dans lequel viennent s’échouer les présidents français les uns après les autres. Mais nous sommes encore loin d’une telle inflexion.

L’élection de Macron a été très bien vue à Berlin, non seulement après les inquiétudes liées à la candidature de Marine Le Pen, mais aussi en raison d’une véritable sympathie pour celui qu’Angela Merkel et Wolfgang Schäuble avaient connu comme jeune ministre français de l’économie. La relation avec Macron président est nécessairement très différente. Il n’est plus seulement celui qui veut faire passer les réformes du travail à l’allemande en France, mais aussi et surtout désormais pour les Allemands celui qui exige des contreparties en termes d’engagement pour le renforcement de la zone euro.

Sur le fond, la question d’une quelconque mise en commun financière conséquente est absolument taboue en Allemagne, et Berlin cherche à faire passer ce refus catégorique pour un engagement conditionnel qui se déploierait dans le temps. Le gouvernement allemand cherche avant tout à neutraliser Macron, tout en préservant le prestige moral inespéré et forcément fragile dont une frange de l’opinion internationale gratifie l’Allemagne depuis l’élection de Donald Trump.

Le dispositif allemand en la matière repose sur trois piliers :

  • Madame Merkel fait semblant d’accepter, en jouant sur les mots qu’elle vide de sens, une forme de bond en avant (création d’un poste de « Ministre » des finances de la zone, un (très) petit budget commun sans commune mesure effectivement avec l’idée de Macron, une forme de parlement de la zone dans le cadre du parlement européen, etc.),
  • Monsieur Schäuble dénigre violemment les réformes prônées par Emmanuel Macron dans les médias allemands tout en faisant des propositions assez dérisoires et ambiguës, pour galvaniser l’électorat tout évitant une rupture européenne,
  •  et les sociaux-démocrates (politiques et experts), en tant que partie intégrante mais mineure du dispositif, produisent à l’attention de la communauté internationale une petite musique fédéraliste pour enrober la ligne du Finanzministerium, sur laquelle ils s’alignent dans les faits. Notons à ce sujet que la candidature fantomatique de Martin Schulz vise simplement à maintenir le SPD au sein de la Grande-Coalition, système de gouvernement à part entière, face au risque de se voir remplacé de nouveau par les libéraux-démocrates.

En quoi les intentions de réformes d'Emmanuel Macron pourraient-elles suffire à relancer la zone euro ? Quelles seraient les principales réformes qui permettraient véritablement une sortie de crise généralisée de la zone euro, aussi bien en termes économiques que démocratiques ?

Maxime Sbaihi : Ses propositions sont nécessaires mais pas suffisantes. Il faut bien comprendre que la zone euro est une zone monétaire incomplète, c'est-à-dire qu'elle ne peut rester dans sa forme actuelle si elle veut durer. A la prochaine crise on risque de retomber dans un bricolage hâtif, coûteux et décidé derrière des portes fermées. Il n'est pas dit que l'euro y survive. L'idée d'un budget commun permettant de contrer des chocs asymétriques dans la zone, ou de garantir et protéger des dépenses d'investissements est bonne. Idéalement, il faudrait même aller plus loin. Il faut aussi se poser la question de l'instauration d'un mécanisme de restructuration des dettes. C'est la réponse à la question lourde de plusieurs milliers de milliards d'euros: comment réduire des dettes publiques record alors que croissance et inflation sont en berne et que l'austérité a atteint ses limites ? Il conviendrait aussi de parachever l'union bancaire afin de renforcer la stabilité de la zone, et la compléter par une véritable union des capitaux pour réduire la fragmentation financière. Enfin, un parlement de la zone euro est nécessaire pour combler son déficit démocratique. On peut difficilement faire un pas de plus dans l'intégration économique sans toucher à la gouvernance. Emmanuel Macron a effectivement promis un parlement de la zone euro mais bizarrement on entend beaucoup moins de retour sur cette proposition à Berlin. Le discours d'Athènes est une occasion idéale, pleine de symboles, pour le président français de la remettre en avant.

Rémi Bourgeot : L’idée d’un budget commun consiste à fournir une sorte d’amortisseur aux pays du Sud de la zone euro. L’instabilité est inhérente à une union monétaire entre économies hétérogènes. Au cours des années 2000 les divergences se sont creusées à cause des écarts d’inflation avec l’Allemagne et de la politique allemande de compression salariale. Contrairement à la légende urbaine, aucune dérive salariale n’a eu lieu dans les pays dits périphériques : les salaires réels ont plutôt eu tendance à stagner et les salaires nominaux ont augmenté simplement du fait de leurs niveaux d’inflation plus élevés. Donc d’un côté, la zone euro, en interdisant par définition les variations de taux de change en interne est substantiellement instable et, alors que seule une action politico-économique coordonnée  pourrait assurer une forme de stabilité dans le temps, au contraire la politique salariale allemande a davantage fait dérailler le système dès les premières années de l’euro.

Face aux déséquilibres intrinsèques, l’idée de Macron consiste à mettre en place des transferts substantiels pour compenser la perte de compétitivité liée au cadre rigide de la monnaie unique. L’idée d’un ministère des finances sert à la fois à gérer ces transferts et à donner des gages à l’Allemagne en termes de droit de regard sur les budgets nationaux. Et le Parlement de la zone euro viendrait ajouter un soupçon de légitimité démocratique à cet édifice.

Mais sans coordination macro-économique et une certaine ouverture d’esprit, ce système est condamné à l’inefficacité, sans même parler des montants du budget commun qui risque d’être dérisoires. Même avant la mise en place d’un tel système, plus complet, rien n’aurait empêché les gouvernements de se coordonner a priori. Dans les faits, cette « coordination » a eu pour nom austérité, récession voire dépression, excédent courant de l’Allemagne à 9% du PIB et excédent budgétaire allemand en hausse constante aux détriments d’investissements pourtant nécessaires, évolution des pays périphériques vers un modèle désespérée d’exportation de produits bas de gamme et relégation technologique. Peut mieux faire.

Ce déplacement à Athènes est également l'occasion, pour Emmanuel Macron, de se prononcer sur le cas grec, pour lequel il avait déjà souhaité une renégociation de la dette. Alors qu'Emmanuel Macron souhaite enclencher une négociation avec l'Allemagne, n'est-il pas risqué d'entrer dans un sujet polémique en pleine période électorale allemande ?

Maxime Sbaihi : Oui, le sujet reste très sensible pour les allemands et il serait malvenu de le remettre sur la table maintenant. La question va néanmoins se reposer prochainement à l'occasion des nouvelles discussions autour du programme d'aide grec qui arrive à échéance l'été prochain. Vu la situation économique de la Grèce, il va aussi falloir a un moment ou à un autre discuter de la possibilité d'un quatrième programme d'aide. De par son histoire et sa situation la France a la légitimité, je dirais même le devoir, de se positionner comme modérateur entre l'Allemagne et la Grèce pour éviter les erreurs du passé. Elle n'a pas su le faire durant la crise et ce fut une des grandes défaites du quinquennat précédent. Ici aussi, Emmanuel Macron a une opportunité unique de faire bouger les lignes. Sur ces sujets, on obtient davantage de concessions de la part des allemands en les caressant dans le sens du poil plutôt qu'en faisant semblant de taper sur la table. François Hollande l'a appris à ses dépens.

Rémi Bourgeot : L’amélioration relative de la situation grecque amène le gouvernement allemand à maintenir des exigences très fortes en ce qui concerne l’excédent budgétaire primaire de la Grèce. Donc, d’un certain point de vue les échanges ont tendance à se durcir. Mais dans le fond la pression du FMI, qui ne veut plus se mêler du cas grec si l’Allemagne n’accepte pas d’alléger la dette, amène à un certain réalisme forcé, petit à petit.

Macron peut justement tirer profit de cette question. Mi-2015 la violence inouïe des négociations sur la mise en place du programme actuel d’aide à la Grèce avait constitué un tournant très dommageable pour l’image de l’Allemagne en Europe et dans le monde. Berlin a par la suite réussi à magistralement redorer son image en jouant la carte de l’escalade symbolique dans ses relations avec les Etats-Unis de Donald Trump. Macron fait preuve d’une véritable habileté en replaçant le problème grec dans l’équation. Cela risque certes de déclencher de nouvelles remontrances de Berlin, mais il développe « en même temps » un moyen de pression non négligeable face à la virulence à laquelle il est en fait confronté dans ses échanges avec l’Allemagne sur la réforme de la zone euro. Les Grecs ont du accepté une série de capitulations, mais ils avaient été efficaces pour alerter la communauté internationale sur le traitement irrationnel qui leur a été imposé. Macron, qui a une philosophie hybride, peut capitaliser sur ces succès en matière de communication internationale. Tout en imposant en France les réformes à l’allemande il est capable d’aller à Athènes menacer Berlin de se positionner en champion des intérêts du Sud de la zone euro et de donner ainsi quelques sueurs froides à ses chers amis berlinois.

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