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Gouverner ou taxer, il faut choisir
©Reuters

Face à nos contradictions

Alors que le nouveau pouvoir a passé le cap des 100 premiers jours, un moment essentiel du quinquennat se profile à l'horizon : l’élaboration du Projet de Loi de Finances pour 2018.

Les Arvernes

Les Arvernes

Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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Alors que le nouveau pouvoir a passé le cap des 100 premiers jours, un moment essentiel se profile : l’élaboration du Projet de Loi de Finances pour 2018. Essentiel, car au-delà de la communication, l’adoption du budget est le cœur de la démocratie représentative. De la Charte des Barons britannique imposée à Jean-sans-Terre en 1215, en passant par les Etats Généraux du Royaume de France, et jusqu’à la « partie de thé » de Boston en 1773, la démocratie représentative s’est bâtie autour d’un fil rouge, résumé par la formule américaine « pas de taxation sans représentation ». Cette formule rappelle que le gouvernant ne se voit déléguer le pouvoir politique – et donc celui de prélever l’impôt – par le gouverné, que pour tant que ce dernier est bien représenté. Elle place ainsi l’impôt au cœur du processus démocratique.

La réalité, malheureusement, est bien différente. En fait de grand débat démocratique, la rationalisation du parlementarisme a largement confiné le Parlement à un rôle d’enregistrement des décisions de l’Exécutif. De même, le temps est loin où l’impôt, dont Benjamin Constant disait qu’il était « d’autant plus odieux qu’il s’exécut(ait) avec les solennités de la loi », était rare, peu élevé, et décidé après des débats de fond. Les semaines récentes l’ont encore illustré. Quelques dixièmes de pourcentage manquent pour atteindre 3% de déficit ? L’on s’empresse, par un moyen que l’Exécutif admet « peu intelligent », de rogner les aides au logement. La taxe sur les dividendes a été déclarée non conforme par la CJUE ? L’on envisage un tour de passe-passe pour trouver quand même le moyen de faire payer « une taxe temporaire » supplémentaire aux grandes entreprises.

Disons-le tout net : avoir une administration fiscale honnête et efficace, est un atout pour la France, et l’une des raisons pour lesquelles en dépit de son impéritie, les marchés lui font encore crédit. Tout autre est la question de la montée continue de la pression fiscale, qui a poussé notre taux de prélèvement obligatoire autour des 45%. Les effets pervers d’une telle situation sont connus – quoique soigneusement ignorés : désincitation au travail (fuite des cerveaux que l’on nie, courbe de Laffer), complexité insupportable pour le citoyen d’une fiscalité kafkaïenne, incapacité à faire de l’impôt la cause de tous et donc un lien citoyen (moins de la moitié des ménages acquittent l’impôt sur le revenu). Qu’il soit permis de s’attarder ici sur deux autres effets particulièrement nocifs du recours systématique à l’impôt.

Premièrement, le recours trop aisé à l’impôt, autorisé par la docilité du Parlement, l’efficacité de l’administration fiscale, et le civisme patient d’une partie essentielle des Français, rend superfétatoire l’établissement d’une véritable stratégie économique. Bien sûr, l’on sait depuis Keynes que l’économie étant un circuit, une politique économique mêle politique de l’offre et politique de la demande. Le moment dans le cycle économique détermine l’endroit où placer le curseur, parfois du coté de l’offre, parfois du coté de la demande. Pourtant, de Jacques Chirac à François Hollande en passant par Nicolas Sarkozy, notre pays se distingue par une incapacité durable à définir une ligne économique claire. Le pilotage à vue prévaut. Les raisons sont nombreuses. Mais la « facilité » offerte par le recours permanent et – apparemment – sans douleur à l’impôt, jumeau noir de la politique budgétaire du rabot, en est l’une des raisons fondamentales. C’est la raison pour laquelle l’un des rares fils rouges de la politique économique française depuis trente ans a été l’augmentation continue de la pression fiscale.

Deuxièmement, le recours à la facilité qu’autorise l’impôt est contraire à l’esprit des politiques publiques. Les politiques publiques, contrairement aux intérêts privés dont les objectifs de rentabilité prévalent sans que cela soit péjoratif, arbitrent entre des finalités contradictoires. Ainsi, politique de santé et éthique donnent lieu à des arbitrages difficiles quand il s’agit de concilier vie en bonne santé et espérance de vie. De même, fermer une maternité en milieu rural conduit à arbitrer entre l’aménagement du territoire (qui suggère de maintenir des maternités) et la protection des enfants et des mères (le risque périnatal explosant sous un certain seuil d’accouchements à l’année). Le recours à l’impôt, par sa facilité, assèche les politiques publiques en dispensant de se pencher sur la complexité des phénomènes. C’est particulièrement le cas quand une dimension morale vexatoire ajoute à la brutalité de l’impôt. Que l’on songe ici à la question du tabagisme, très largement traitée à coup d’augmentation de prix et de mesures moralisantes (paquet neutre). Pourtant, en la matière, l’expérience devrait inciter à mieux peser les effets de telles politiques. L’expérience récente d’un pays tel que l’Australie, où l’introduction du paquet neutre doublée d’une massive augmentation de prix n’a pas eu les effets escomptés, incite à penser que la lutte contre le tabagisme, que l’on peut soutenir au nom de la santé publique, n’est pas servie par de telles mesures. Plus près de nous, le cas de l’Allemagne, où les cigarettes sont accessibles à moindre coût qu’en France, et où le tabagisme recule, contrairement à la France, prouve également, pour reprendre l’aphorisme de Montesquieu, que les mœurs sont souvent plus fortes que la loi, même fiscale.

Au total, s’il n’est pas de taxation sans représentation, il n’est pas de démocratie qui fonctionne si la politique se résume à l’impôt.

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