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Europe : les espoirs affichés par Emmanuel Macron risquent d'être rapidement douchés
©EMMANUEL DUNAND / AFP

De la théorie... à la pratique

Le projet européen d'Emmanuel Macron semble être la clé de voûte de son programme présidentiel, et justifie notamment les efforts réalisés en termes de réduction des dépenses publiques. Mais les obstacles à ce projet sont nombreux.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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"Je souhaite notamment  une capacité budgétaire de la zone euro, un exécutif et un Parlement pour en assurer le contrôle démocratique" (...) "à mes yeux, c'est un budget qui représente plusieurs points de PIB de la zone euro et qui marque d'abord une capacité à lever de l'argent sur les marchés et à l'allouer avec une force de frappe suffisante". Le projet européen d'Emmanuel Macron semble être la clé de voûte de son programme présidentiel, et justifie notamment les efforts réalisés en termes de réduction des dépenses publiques. Au regard du projet avancé, quels sont les avantages, et les inconvénients, que la France, et l'Europe pourraient en tirer ? Que pouvons-nous en espérer ?

Dans l’idéal, il s’agirait de doter la zone Euro de la capacité de mener une politique budgétaire. Pour l’instant, il existe une politique monétaire fédéralisée avec l’existence de l’Euro et de la Banque centrale européenne. Cette politique budgétaire fédéralisée aurait deux buts classiques : d’une part, assurer une capacité de réaction contra-cyclique à la zone Euro face à un choc économique ou géopolitique, en complément de la politique monétaire ; d’autre part, permettre de financer des dépenses qu’un Etat ne peut plus assumer seul dans tous les domaines jugés pertinents ou de redistribuer à bon escient de la richesse pour permettre aux pays les moins bien dotés en capital productif de rejoindre les autres en tête de peloton. Cette seconde fonction est déjà assumée par les fonds structurels européens et la politique de cohésion qu’ils financent depuis les années 1980. C’est donc surtout la première fonction de stabilité macroéconomique dont il est ici question. On a ainsi beaucoup parlé ces dernières années d’une assurance-chômage européenne. Elle permettrait aux Etats à l’économie en difficulté de surmonter les crises avec l’aide des autres, sans l’amener à trop aggraver son endettement ou à entrer dans une spirale d’austérité.

Cela, c’est bien sûr la théorie. C’est aussi l’idée qu’avec un contrôle démocratique il y aura une meilleure réactivité des décisions européennes face à une crise économique et sociale dans un ou plusieurs pays de la zone Euro.

Après, tout dépend de l’ordre institutionnel qu’on choisit à la fin. Les déclarations des uns et des autres restent vagues et sont bien loin de régler tous les problèmes pratiques qui se poseraient au cas où l’on voudrait mettre en place un tel dispositif.  Surtout un tel dispositif qui vise à disposer pour la zone Euro d’une politique budgétaire contra-cyclique pour appuyer ou compléter la politique monétaire de la BCE ne donnera des grands résultats que s’il existe pour tous les pays concernés une évidence de la crise économique à combattre ainsi. Actuellement, dans certains pays, comme l’Allemagne ou l’Autriche, tout va plutôt bien, voire très bien, en tout cas, pas assez mal pour qu’on se préoccupe de ce qui se passe ailleurs. Ce dispositif risquerait donc de donner des résultats décevants par temps presque calme comme aujourd’hui. Le grand inconvénient, c’est de plus qu’il aurait tendance par temps calme à renforcer encore la prévalence au sein de l’Union européenne d’une idéologie du budget équilibré ou du déficit structurel nul au niveau des Etats.  Par contre, en cas de tempête, de nouveaux grands paroxysmes économiques ou géopolitiques, cela pourrait être bien utile de disposer de telles institutions. Un rapport de force pourrait alors s’établir en faveur d’une intervention massive de la politique budgétaire. Cela n’est pas sûr, mais pourrait se produire. Après tout, la BCE avait été construite pour lutter contre l’inflation, et elle a fini en pratique par faire comme les autres grandes banques centrales une politique monétaire inédite de relance de l’économie.

Angela Merkel et Wolfgang Schauble, son ministre des finances, ne se sont pas opposés à un tel projet de création d'une capacité budgétaire ou d'un poste de ministre européen des finances. Cependant, le journal BILD avait indiqué, selon le ministère des finances allemands, que "Le plan est de donner un accès plus flexible au MES (mécanisme européen de stabilité) en échange d'un contrôle accru sur les budgets et dettes nationaux". La vision de Berlin n'est-elle pas "différente" du projet annoncé en France ? Quel est le risque de voir un tel projet aboutir à une nouvelle perte de souveraineté, sans que celle-ci ne produise de réelle contrepartie ?

Oui, si l’on part sur la base d’un renforcement des prérogatives du MES actuel, on s’oriente clairement vers une vision très restrictive de la politique budgétaire à construire dans la zone Euro : le contrôle budgétaire sur les Etats de la part d’un centre européen bien peu démocratique serait fortement renforcé, et, là encore, cela se ferait sur la base d’une vision très austéritaire du fonctionnement normal de l’économie. Surtout, dans le MES, la prise de décision est liée au poids respectif de chaque économie, et à son statut de bon ou de mauvais crédit sur les marchés financiers. Ce n’est évidemment pas exactement la même chose qu’une décision sur une clé de type plus démocratique, en fonction du poids démographique de chaque Etat concerné, telle que la préconise visiblement le gouvernement français.

La création d’un budget européen sur la base du MES voudrait donc dire qu’un pays a d’autant plus de poids dans la décision et le contrôle du budget des autres pays qu’il est puissant économiquement et qu’il n’a pas besoin de l’aide attribuée par ce même MES. On comprend le poids dans la décision que cela donnerait à l’Allemagne. Pour un pays comme la France ou plus encore l’Italie, cela serait un gros risque de perte ultérieure de souveraineté budgétaire.

Par contre, là encore, même si l’on part sur la base d’un MES renforcé, on peut imaginer des circonstances où la situation économique soit si grave dans toute la zone Euro que finalement même les Etats actuellement farouchement attachés à l’austérité aient besoin de cet instrument pour relancer l’économie. 

Quelles sont les conditions d'un accord, et quels sont les obstacles encore existants pour la création d'une telle "capacité budgétaire" ?  Quel pourrait être l'impact de prochaines élections générales allemandes du 24 septembre prochain sur ce dossier ?

Les obstacles sont à la fois d’ordre politique et juridique. Il faut trouver la formule institutionnelle qui concilie la demande démocratique des Français et le poids économique de l’Allemagne. Il faut éviter de donner l’impression aux contribuables allemands qu’ils vont payer pour les autres pays. Il ne faut pas que la Cour constitutionnelle allemande finisse par refuser ce pas en avant dans l’intégration.  Il faut aussi éviter qu’un débat s’ouvre en France sur la perte de souveraineté que cela représenterait. En plus, il faut trouver la formulation juridique adaptée. Surtout, il faudra bien articuler, surtout si l’on part de la proposition française, les nouvelles institutions avec celles de l’Union européenne en général. Un Parlement de la zone Euro ? Qu’est-ce à dire ? Les élus  européens actuels des pays de la zone Euro, ou autre chose encore ? Comment respecter le principe « un homme, une voix » dans un tel Parlement qui rassemblerait petits et grands pays ? Le Ministre des finances européen serait-il responsable devant ce Parlement à créer ? Comment l’articule-t-on avec la Commission européenne ? Il y a mille détails à régler qui sont loin d’être évoqués dans les déclarations publiques.

En tout cas, les élections allemandes vont être intéressantes à suivre pour ce dossier de l’intégration budgétaire. Une percée du FDP (le parti libéral) à cette occasion montrerait clairement le refus de l’électorat allemand d’aller plus loin dans l’intégration budgétaire européenne, tout comme d’ailleurs une percée de l’AfD (Alternative pour l’Allemagne). Je vois mal comment A. Merkel restée Chancelière, surtout si elle formait une alliance CDU-CSU-FDP,  pourrait ne pas en tenir compte. Le projet serait sans doute amendé dans le sens le plus restrictif possible, et, s’il allait à son terme, il amènerait surtout à moyen terme surtout des contrôles supplémentaires sur les budgets nationaux.

En même temps, il faut bien dire que, pour l’instant, du point de vue économique, il n’y a pas urgence. La plupart des pays européens ont retrouvé au moins un minimum de croissance. Est-il alors nécessaire de prévoir les institutions nécessaires pour le moment où le pire arrivera ?

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