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Sommet de Paris sur les migrants : quand Macron, Merkel, Rajoy et Gentiloni se réunissent pour le grand marché de dupes européen
©Reuters

Chuuuut !!!

Ce lundi, Emmanuel Macron réunit à Paris différents dirigeants européens et africains pour conjuguer les efforts face à la crise migratoire. Peu de chance qu'il en sorte quelque chose de vraiment productif et l'Italie, la Grèce et peut-être bientôt l'Espagne risquent de se débrouiller encore longtemps seuls.

Jacques Barou

Jacques Barou

Jacques Barou est Docteur en anthropologie et chargé de recherche CNRS. Il enseigne à l’université de Grenoble les politiques d’immigration et d’intégration en Europe. Son dernier ouvrage est La Planète des migrants : Circulations migratoires et constitution de diasporas à l’aube du XXIe siècle (éditions PUG).

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Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Emmanuel Macron réunit ce lundi à Paris des dirigeants européens et africains pour tenter de conjuguer les efforts face à la crise migratoire. Seront présents les présidents tchadiens, nigériens, le chef du gouvernement d'entente nationale libyen Fayez al-Sarraj mais aussi côté européen Angela Merkel, Paolo Gentiloni, Mariano Rajoy et la cheffe de la diplomatie européenne Federica Mogherini. Mais cette réunion, à l'initiative de la France, n'est-elle pas selon vous un marché de dupe lorsque l'on sait que l'Hexagone n'a plus présenté d'offres de places à l'Italie depuis plus de trois mois ?

Michael Lambert : On a une problématique migratoire qui inquiète dans la mesure où elle va s'accentuer avec le réchauffement climatique, de la population en Afrique et au Moyen-Orient qui augmente plus rapidement qu'en Europe et les régimes autoritaires ou autocratique qui s'affirment sur le continent. Il ne faut pas s'attendre à une diminution mais à une accentuation du phénomène qui va arriver rapidement avec de nouveaux types de migrants. C'est pour cela qu'il y a un intérêt particulièrement marqué pour l'Afrique et que cela ne se concentre pas uniquement sur le Moyen-Orient.

Concrètement pour les dirigeants africains qui seront présents, ils vont demander des financements mais il y en aura une grande partie qui sera détourné ou ne donnera pas les résultats escomptés.  Les dirigeants africains eux viennent pour faire une forme de fundraising. En ce qui concerne les européens de leur côté ce n'est pas forcément mieux puisqu'ils se rassemblent pour montrer qu'ils s'intéressent au problème mais ne se réunissent pas forcément pour trouver des solutions. Ils veulent montrer que l'Italie n'est pas seule mais cela n'ira certainement pas très loin. Ensuite la composition en elle-même du groupe marque le manque d'ambition de la réunion.

Angela Merkel est en pleine période électorale, elle veut être réélu à nouveau et ne se prononcera certainement pas trop de manière directe car son propre parti ne supporte pas sa position vis-à-vis des migrants. Pour éviter de perdre des électeurs elle essaiera d'être tempérée sur la question. Il sera dur de satisfaire les espérances de la CDU/CSU si elle se prononce en faveur de l'accueil d'encore plus de réfugiés. Elle fait donc acte de présence.

La représentante de la diplomatie européenne Federica Mogherini elle ne peut pas décider de quoi que ce soit et ne pourra faire que des déclarations, ce qui n'a aucun intérêt. Ensuite l'Italien Gentiloni qui est lui de son côté coincé avec le traité de Dublin qui le contraint à accepter les réfugiés et ne peut pas les envoyer ni en Autriche ni en Slovénie. Il n'y a que la France avec qui l'Italie peut coopérer et elle France est pointée du doigt dans un rapport de la commission européenne en date du 26 juillet qui rappelle qu'elle (avec le Luxembourg) n'a "plus présenté d'offres de places à l'Italie depuis plus de trois mois" et "applique des préférences restrictives non justifiées… n’acceptant que des familles/femmes seules avec enfants de nationalité érythréenne", ce qui bloque les perspectives pour l'Italie.

Il est difficile d'imaginer que la France arrive à un consensus dans un tel contexte à l'échelle européenne, notamment sachant qu'il faut modifier le traité du Dublin. Mais il y a un souhait de Macron de répondre aux critiques qui lui ont été faites qu'il "ne s'intéressait pas à l'Italie". C'est l'occasion de montrer aux Italiens qu'ils ne sont pas seuls.

Jacques Barou : C'est tout de même une bonne chose de réunir ces personnes. Je pense que si les dés étaient pipés d'avance cette réunion n'aurait pas été possible. On ne peut pas savoir ce qu'elle donnera. Il y a bien sûr des raisons d'être pessimiste vu l'absence de coopération entre les pays européens et l'absence d'une politique coordonnée en la matière. Toutefois si de nouvelles initiatives s'élaborent en amont pour bloquer et sécuriser les flux le temps d'organiser des transferts vers l'Europe et s'il apparaît que les flux sont à peu près contrôlables, les pays européens rétifs par rapport au désordre susceptible d'accompagner ces flux n'auront plus de raisons de refuser leur part dans l'accueil des populations. 

En Italie toujours, on peut compter 93 000 entrées sur le territoire depuis le début de l'année pour moins de 8000 relocalisations dans le reste de l'Europe. Comment expliquer cette différence malgré les discours d'appel à l'unité ou les initiatives comme celle de demain ? N'est-ce pas là la preuve que les dispositifs européens en la matière sont inefficaces ? Comment peut-on faire pour inverser la tendance et que penser du plan de Hotspots d'Emmanuel Macron pour répondre à cet impératif ?

Michael Lambert : Le nombre est plus important que 93 000. Ce n'est là que le chiffre officiel et l'Italie est bloquée géographiquement et politiquement. Elle doit accueillir les migrants mais lorsqu'il s'agit de les répartir dans d'autres pays elle a à côté d'elle la Slovénie qui est un pays de petite taille qui ne peut se permettre d'en accueillir de grandes quantités, l'Autriche qui est formellement opposée à l'accueil de réfugiés et les envoient directement en Bavière, ce qui n'est pas bon pour Merkel. Ensuite il y a la Suisse qui n'est pas membre de l'UE et n'est pas très "refugee welcome" et il y a la France. Vu sous cet angle cette réunion est plus une réunion bilatérale. L'idée est toujours de montrer qu'il y a un intérêt pour le problème.

Les dispositifs de l'UE ne marchent pas, sans cela il n'y aurait pas de réunion d'ailleurs et les Européens sont divisés sur cette question, notamment avec trois Etats qui posent plus de problèmes que les autres, l'Autriche la Pologne et la Hongrie. Les deux derniers ne changeront jamais leur position et les Autrichiens sont encore plus inflexibles mais l'on en parle encore moins. On est dans un schéma dans lequel on ne peut pas changer le traité de Dublin et on ne peut pas avoir de dialogue à l'échelle européenne car il y a trois pays qui s'y opposent fermement.

Un élément plus positif, Macron pourra proposer des initiatives nationales, ce qu'il a tout à fait le droit de faire et à l'échelle européenne, ce que l'on voit de plus en plus ce serait l'émergence d'une régionales. On pourrait penser à une dynamique Portugal Espagne France Italie, Grèce. On peut penser à des Etats qui se rassemblent et prennent des initiatives de coopération entre eux au sein de l'Union européenne.

Jacques Barou :Depuis longtemps, l'Italie est seule face aux arrivées. Les pays européens sont toujours dans une logique de protection nationale, tant le sujet reste sensible pour les opinions publiques qui s'expriment électoralement au niveau national et non pas européen. Il faut agir le plus possible en amont pour contrôler les flux et pour cela la coopération des états africains est nécessaire même si, dans le contexte actuel on peut se poser des questions quant à son efficacité. 

Enfin, que peut-on attendre de ce genre de rencontres ? Pensez-vous qu'il soit utile d'organiser ce genre d'événements alors que tous les dirigeants européens veulent éviter le sujet pour laisser l'Italie ou la Grèce se débrouiller avec ce problème (et demain l'Espagne ?).

Michael Lambert : C'est important de montrer une forme de solidarité entre européens, qu'il y a de l'intérêt pour cette question qui aboutira certainement aboutir à peu de chose dans l'immédiat car instaurer des coopérations prendra du temps. Une idée pourrait être de creuser l'émergence de ces initiatives régionales, c'est un format qui marche de plus en plus.

Une certitude c'est que d'un point de vue historique s'il n'y a pas d'initiatives de déclarations ou d'intérêt de l'Union européenne sur une question pareille, cela la décrédibilise donc nécessairement les gens croient de moins en moins à son intérêt. Cela alimente les discours nationaux ou nationalistes et pourrait donner un nouvel élan aux idées de fermeture et de repli sur soi.

Jacques Barou : On ne peut bien sûr pas attendre des solutions efficaces à court terme de ce genre de rencontre. Mais le principe n'en est pas condamnable dans la mesure où la solution au problème passe par une coopération accrue entre les pays d'Europe et entre l'UE et les pays riverains de la méditerranée. Le statut quo finira pas déstabiliser les pays de premier accueil et personne n'a rien à y gagner.

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