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La France pas réformable mais transformable d’Emmanuel Macron
©Reuters / Gonzalo Fuentes

Cliché

Le Président de la République a déclaré le 24 août à Bucarest que "la France n'est pas un pays réformable" mais qu’il était en revanche possible de la "transformer en profondeur".

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès est maître de conférences à Sciences Po (gestion publique & économie politique). Il a notamment publié Réformes: mission impossible ? (Documentation française, 2010), L’âge d’or des déficits, 40 ans de politique budgétaire française (Documentation française, 2013). et récemment Le Logement en France (Economica, 2017). Il tient un blog sur pfgouiffes.net.
 

Vous pouvez également suivre Pierre-François Gouiffès sur Twitter

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Le Président de la République a déclaré le 24 aout dernier à Bucarest que « la France n'est pas un pays réformable » mais qu’il était en revanche possible de la « transformer en profondeur pour retrouver le destin qui est le sien, emmener l'Europe vers de nouveaux projets » et « porter l'universalisme ».

Il s’agit là d’éléments de discours qui semblent compter pour Emmanuel Macron, puisque le candidat avait tenu des propos très proches lors de son discours d’Angers le 28 février dernier - une France irréformable mais une capacité à relever des défis immenses - et de nouveau devant le Congrès le 3 juillet dernier.

Il semble intéressant de rapprocher ces propos d’Emmanuel Macron de l’histoire récente de la France, ce que j’avais tenté de faire dans mon livre « réformes : mission impossible ? » sur lequel j’avais d’ailleurs échangé avec lui à sa sortie en 2011.

La difficulté et la reticence de la France aux réformes

De fait, des éléments objectifs ou subjectifs peuvent corroborer cette vision d’une hostilité latente de la France aux réformes.Il y a d’abord la tradition révolutionnaire depuis la fin du XVIIIème siècle (1789, 1793, 1830, 1848, 1871, et voire dans une certaine mesure 1944, 1958 et 1968) ayant conduit Tocqueville à estimer en 1848 que « Les Français sont plus doués pour faire la Révolution que des Réformes ».

Il y a ensuite dans l’histoire récente du pays un nombre important d’échecs retentissants de réformes, pas moins de six depuis le début des années 1980 : réforme Savary sur l’école (1984), réforme Devaquet sur l’université (1986), contrat d’insertion professionnelle (1994), réforme Juppé des régimes spéciaux (1995), réforme Sautter de Bercy (2000), contrat première embauche (2006). Ces échecs aux conséquences politiques souvent humiliantes pour leurs sponsors politiques ont souvent abouti à des « Tchernobyls politico-administratifs », c’est-à-dire la constitution de territoires d’action publique durablement abandonnés à toute ambition de changement.

Il y a enfin les réformes qui ne se font pas. L’exemple le plus flagrant et le plus durable concerne la remise en cause des finances publiques avec la séquence ininterrompue et en cours de quarante-trois exercices budgétaires déficitaires, une dette publique multipliée par sept en quarante ans en proportion de la richesse nationale, enfin une augmentation quasi ininterrompue des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires. En la matière la France combine des déficits à l’américaine et des dépenses à la scandinave.

Des réformes extrêmement puissantes ont quand même eu lieu

On doit toutefois constater la puissance des transformations de la France sur les quatre dernières décennies en dépit d’un sentiment diffus de blocage ou d’immobilisme. Prenons rapidement quelques exemples.

Dans le champ économique, la mère des transformations est pour moi la mise en place de l’euro menée de façon ininterrompue du milieu des années 1980 au début des années 1990, à travers de multiples alternances politiques. Le pays a intégré sa monnaie dans un système de copropriété et renoncé de façon structurelle à toute possibilité d’ajustement monétaire, une méthode à laquelle il recourait pourtant fréquemment auparavant (dépréciation tendancielle de 30 % du franc par rapport au mark tous les dix ans entre 1948 et 1989). La configuration actuelle combine l’attachement fort des Français à l’euro clairement démontré lors des élections présidentielles mais aussi des conséquences adverses sur la compétitivité et la désindustrialisation du pays.

Le champ institutionnel (décentralisation) ou le champ sociétal (IVG, peine de mort, dépénalisation homosexualité, succession de lois mémorielles après la loi Pleven, PACS, mariage pour tous…) témoignent également des transformations en profondeur de la France.

Quels enseignements pour l’action publique aujourd’hui ?

Que peut-on tirer de ces éléments historiques ? Il faut réfléchir à la fois aux dimensions techniques (ou technocratiques) mais également aux questions de la vision qui sous-tend l’ambition réformatrice ou transformatrice.

Concernant les éléments techniques, j’avais essayé dans le livre de 2010, sur la base de l’analyse des échecs connus par le pays, d’identifier les voies et moyens de la réussite des réformes. Cela incluait notamment

-       un exécutif qui n’est pas sous une contrainte de temps intenable par rapport aux échéances électorales (c’est clairement le cas en ce début de quinquennat) ;

-       une opinion publique sensibilisée au cours des campagnes électorales ou du fait de la puissance des circonstances du moment (en lien avec le programme présidentiel) ;

-       la capacité d’avoir réuni une coalition raisonnable en faveur de la réforme ;

-       le respect mais également la maîtrise de l’opposition légitime à la réforme.

La question de la vision est pour sa part reprise dans les propos du Président Emmanuel Macron sur la « transformation » rendue possible par la volonté de dépassement de défis immenses, pour « faire rêver les Français ».

La puissance d’une vision semble en effet un élément central de succès et de continuité, par exemple si l’on se réfère à l’Allemagne dont toutes les orientations semblent portées par la volonté de demeurer une très grande puissance industrielle mondiale.

Concernant la France et la vision qu’il conviendrait, on doit rappeler qu’Emmanuel Macron a été le candidat présidentiel qui a le plus porté une vision d’optimisme. Pour Paul Thibaut, il « a su répondre à notre déprime nationale par la promotion d'un individualisme actif, à rebours des passions tristes. » mais rien ne garantit encore la capacité de dépassement des deux échecs patents hexagonaux qu’il identifie, d’une part le projet européiste de Jacques Delors et de ses héritiers (transformer la France par l’Europe), et d’autre part toutes les variantes des projets souverainistes.

Il serait donc utile que les transformations ou réformes apportent des solutions concrètes à plusieurs défis majeurs de la société française : l’étiolement de la puissance économique nationale et les déchirures croissantes en matière sociale, territoriale ou générationnelle.

A priori donc le type de défis immenses qui permet aux Français de dépasser leur hostilité aux réformes selon l’approche proposée par le Président de la République…

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