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Charlottesville : l'indignation à l'égard de Donald Trump révèle-t-elle l'hypocrisie de la société américaine à l’égard des discriminations ?
©WIN MCNAMEE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Etats-Unis

Des évènements de Charlottesville à la démission de Steve Bannon, la société américaine se confronte à ses propres contradictions.

François Durpaire

François Durpaire

François Durpaire est historien et écrivain, spécialisé dans les questions relatives à la diversité culturelle aux Etats-Unis et en France. Il est également maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise.

Il est président du mouvement pluricitoyen : "Nous sommes la France" et s'occupe du blog Durpaire.com

Il est également l'auteur de Nous sommes tous la France : essai sur la nouvelle identité française (Editions Philippe Rey, 2012) et de Les Etats-Unis pour les nuls aux côtés de Thomas Snégaroff (First, 2012)

 


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Atlantico : Depuis les évènements de Charlottesville, la société américaine s'est largement indignée des réactions de Donald Trump, mettant en avant le "racisme" du Président, et ses liens avec l'extrême droite, les groupuscules suprématistes, ou encore avec le KKK. Alors que les niveaux de ségrégation, d'incarcération, de discrimination sont largement mis en cause aux Etats Unis, mettant en avant une fracture ethnique au sein de la population américaine, ne peut-on pas voir dans ce mouvement anti-Trump une forme d'hypocrisie de la société américaine, laissant penser que la discrimination ne serait causée que par quelques groupuscules ?

François Durpaire : La société américaine est une société clivée, encore marquée par son passé esclavagiste et ségrégationniste. Tout le monde ne dénonce pas le silence et les propos de Donald Trump. Ceux qui le dénoncent, ce sont bien ceux qui dénoncent le racisme systémique qui fait que l’égalité des chances reste un vain mot. On pourrait parler d'hypocrisie si les mêmes personnes voyaient en Trump le seul responsable des problèmes et refusaient de comprendre que les maux sont bien antérieurs. Il est vrai que dans l'ensemble de l'électorat du président, il y a cette idée qu'on en a trop fait pour les minorités. Beaucoup aussi dans le Sud revendique la fierté de leur passé et de leur identité culturelle. Pour eux, les statues des généraux des armées des Etats de la confédération rappellent ce passé, et ne doivent pas être déboulonnées. Trump a soutenu ce point de vue dans un tweet. Pour les partisans des droits civiques en revanche, ces statues ne sont pas un simple rappel de l’histoire. Elles sont une apologie des crimes de l’esclavages, et un hommage à ceux qui les ont perpétrés. Ce qui se joue, ce n’est donc pas le passé, mais la prolongation de ce passé. Rappelons qu’à la fin des années 1950, on reprochait déjà à Martin Luther King de ne pas respecter la culture du Sud. Ceux qui aujourd’hui ne veulent pas du déboulonnage des statues sont les fils de ceux qui à l’époque ne souhaitait pas la déségrégation. 

Alderman Ameya Pawar, candidat à l'investiture démocrate dans l'État de l'Illinois a déclaré "La guerre contre la drogue a été un succès (...). Parce que la guerre contre la drogue n'a jamais été contre la drogue, elle était contre les noirs". Une thèse défendue également par l'avocate et essayiste Michelle Alexander dans son livre "The New Jim Crow". Cet exemple est-il révélateur d'une forme de discrimination diffuse, non avouée, mais pourtant réelle ? La faute de Donald Trump est-elle finalement plus d'afficher ce qui ne doit pas l'être ?

Il faut savoir que la liberté d'expression est beaucoup plus forte outre-Atlantique qu'en France ou en Allemagne. L'expression de la hiérarchisation raciale, la défense de la suprématie de la « race » blanche, est protégée par la Constitution. Il n’y a pas d’exception « nazie » au Premier Amendement, qui permet de tout dire et de porter tout type de symboles (la croix gammée...). Si je dis en France que « l'esclavage est bon pour les Noirs » ou que « Hilter a eu raison de vouloir exterminer le peuple juif », j’aurai des ennuis avec la justice. Car ces expressions constituent des délits au regard de la loi. Aux Etats-Unis, non seulement je ne risque aucune sanction juridique, mais la police américaine doit me protéger si je veux exercer mon droit de manifester pour défendre ces propos. Saint-Just disait : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». Aux Etats-Unis, la liberté est également offerte aux ennemis de la liberté. En revanche, la violence physique est évidemment réprimée.  

La responsabilité de Donald Trump dans ces événements provient du fait d'avoir fait sauter un certain nombre de verrous de la parole durant la campagne électorale. Parce que si le premier amendement permet l'expression de toutes les opinions, la société américaine s'interdisait l'expression de certains préjugés. Et Donald Trump est le premier candidat gagnant l’élection suprême à avoir dénoncé ce qu’il a qualifié de « politiquement correct ».

Donald Trump entend dire « sa » vérité (pour lui, « la » vérité) sur « les femmes », « les Noirs », « les Hispaniques », « les Musulmans ». La logique consiste à ajouter : « Si vous n’êtes pas d’accord avec moi et avec l’expression de mes préjugés, c’est que vous êtes prisonnier d’un système médiatique tenu par des élites de gauche qui brident la parole ». Le terme de« politically correct » est destiné à dénoncer l'impossibilité d'exprimer des préjugés à l'encontre des minorités.   

En quoi la situation actuelle pourrait-elle permettre une prise de conscience ?

La société américaine se retrouve face à ses ambiguïtés historiques. Elle est profondément divisée sur ces questions, mais la majorité pousse pour une unité du pays. Mais pour le Sud des Etats-Unis pourrait bien être à un tournant historique. Il y a une volonté de tourner une page de cette histoire, de montrer que l'on peut être fier d'être du Sud (de Virginie, de Caroline du Sud, de la Louisiane etc.) sans pour autant être fier de l'esclavage, de la ségrégation et des lynchages. Il ne faut pas oublier que les déboulonnages des statues sont ordonnés par les conseils municipaux des villes du Sud (comme à Charlottesville) et non pas par l’Etat fédéral.

Cependant, nous polarisons notre attention sur les groupes extrêmes, certes peu nombreux mais qui sont très visibles. Les « Miliciamen » sont des milices paramilitaires fortement armés. Ils prônent une nation blanche où les Blancs pourraient vivre entre eux. Ils assurent le service d’ordre de groupes diversifiés (Ku Klux Klan, nazis, white supremacists) mais qui tentent de s’unifier (« Unite the right »). Et ces mouvements qui habituellement sont très hostiles au gouvernement fédéral voient désormais Trump comme un sauveur. La Maison-Blanche semble aujourd’hui sous influence de la mouvance « Breitbart », au grand dam du chief of staff John Kelly. Si Steven Bannon vient de démissionner, il reste d’autres ethno-nationalistes autour du Président, comme Sebastian Gorka et Stephen Miller. 

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