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Comment l’Espagne est devenue l’ennemie de l’Etat Islamique
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Attentats

Le double attentat qui a frappé Barcelone ce jeudi pose la question du terrorisme en Espagne. Mais à la différence des précédentes attaques menées en Europe, un groupe constitué est en cause.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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​Atlantico : Le double attentats qui a frappé Barcelone ce jeudi pose la question du terrorisme en Espagne. Mais à la différence des précédentes attaques menées en Europe, un groupe constitué est en cause. Que sait on du djihadisme en catalogne, que l'historien Jean Pierre Filliu  caractérisait comme "​u​n chaînon essentiel, voire une base arrière dans la commission d’attentats djihadistes dans d’autres pays européens" ?

Alain Rodier : Mes connaissances ne sont pas aussi éminentes que Jean-Pierre Filiu, mais je ne considère pas la Catalogne et l’Espagne en général comme une base arrière particulière du terrorisme en Europe. En réalité, ils peuvent passer un peu partout. La dernière base arrière dont on nous a parlé, c’était quand même la Belgique, rappelez-vous. L’Espagne, jusqu’à maintenant, c’est vrai qu’il y a eu des passages. Mais il faut bien voir que les cellules espagnoles sont basées sur les Espagnol et les Marocains. Rien ne me permet de dire que c’est une base arrière du terrorisme. Celle-ci est peut-être en Syrie, en Irak, ou même, éventuellement, au Maghreb. Mais les forces marocaines font bien leur travail. Il y a des cellules en Espagne, mais elles sont globalement dirigées vers l’Espagne.

François-Bernard Huyghe : On ne peut pas parler de “loups solitaires”, et nous sommes devant un groupe qui a déjà une certaine organisation. On sait que depuis 2015, l’Espagne est placée assez haut en alerte terroriste, et que les services américains le pensent aussi. En Catalogne, d’après les informations publiées par les autorités espagnoles, il y aurait une forte présences du djihadisme ou de sympathisants du djihad. Pourquoi la Catalogne en particulier? Est-ce parce que c’est une région qui a des liens avec le Maroc? Je ne suis pas particulièrement compétent pour cela, mais je dirais que l’opinion générale des experts, c’est qu’il y a une forte potentialité du djihadisme en Catalogne.

Comment expliquer ce choix de l'Espagne pour les djihadistes, le pays étant été concerné par la préparation d'attentats aussi bien par Al Qaida que par l'Etat Islamique ?

Alain Rodier : L’Espagne est un ennemi traditionnel des salafistes djihadistes parce que ils considèrent que l’Andalousie, Al-Andalus, qui était occupée par les Maures pendant de très longues années, fait partie de leur Califat. Ils ne cherchent pas à “conquérir” cette terre, mais à la “reconquérir”. Ils considèrent que c’est la spécificité de l’Espagne par rapport aux autres pays européens. Deuxième grief qu’ils ont : les Espagnols ont participé à la guerre en Afghanistan en faisant partie de l’OTAN. Ils ont participé à l’entraînement à la guerre des Kurdes, et donc indirectement à la guerre en Irak.

François-Bernard Huyghe : lorsqu’il y avait eu le monstrueux attentat à Madrid, en 2004, perpétré par Al-Qaïda, c’était en rétorsion de la participation espagnole aux activités de la coalition en Irak et Afghanistan. Là, nous sommes face à un attentat revendiqué par Daesh. Pourquoi choisir l’Espagne maintenant? Il y a plusieurs motifs. Dans les revues djihadistes, on est toujours dans cette idée que, ayant été une fois terre musulmane, l’Espagne est toujours une terre musulmane. La présence de chrétiens, de la République et de la démocratie est en quelque sorte illégitime. Ils sont en train de revenir avant la reconquista. Pour nous, européens, c’est difficile de penser que quelqu’un puisse être nostalgique du califat Omeyyad ou considérer que l’Histoire a pris une mauvaise direction en 1458. Mais c’est la façon dont ils raisonnent. On imaginer encore d’autres motifs : c’est un pays catholique, occidental, européen etc. C’est également un lieu de passage, même si à ma connaissance il y a peu de jihadistes espagnols qui aient été en Syrie pour rejoindre le Califat. Mais tous les pays européens sont, finalement, sur le même plan. Pourquoi la Suède? Le Royaume-Uni? La France? Parce que nous sommes tous des pays mécréants.

Une nouvelle fois, l'utilisation par les djihadistes de la porosité des frontières européennes appelle une réaction de la part des Etats, dans la nécessité de travailler en commun. Les avancées dans ce domaine vont ils dans le bon sens ?

Alain Rodier : D’abord, il n’y a pas plus de frontières aux sein de l’Union Européenne. Les frontières, c’est Frontex. Même si on dit avoir “rétabli” les frontières, elles ne sont pas aussi présentes qu’auparavant. La coordination entre les différents services européens est déjà à l’oeuvre ; on la redécouvre. Mais en réalité, les services européens depuis leur création ont toujours coopéré les uns avec les autres. Il est vrai que les attentats terroristes ont montré qu’il y avait des déficiences et en particulier dans la rapidité de transmission des informations entre services à l’intérieur d’un pays comme vers un pays tier. C’est dans cette direction que des réformes ont été prises pour accélérer les échanges d’informations. Des banques de données ont également été créées, permettant à chaque service de venir chercher des informations. Je pense à Europol en particulier.

François-Bernard Huyghe : Depuis le 11 septembre 2001, on dit qu’il faudrait plus de coopération européenne. Je vous rappelle que pendant les attaques du Bataclan, on a vu comment les terroristes pouvaient se balader entre la France et la Belgique comme ils le voulaient. Ça c’est itinérant à une Europe sans frontière. Ce qui est dommage, c’est que les informations administratives et le renseignement sur le terrorisme ne franchissent pas les frontières aussi bien que les terroristes. Cela dit, dans le cas de l’attentat de Barcelone, attendons d’en savoir plus pour dire si une meilleur coopération entre services aurait pu empêcher ça. Gérard Collomb a déclaré qu’il n’y avait aucune raison de penser que Driss Oukabir ait un quelconque lien avec la France. Peut-être qu’une meilleur coopération avec les services marocains aurait pu empêcher ce genre de choses. Apparemment, il y avait un groupe avec des Espagnols et des Marocains que personne n’avait repéré. Au stade actuel, on ne peut pas dire grand chose.

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