Bien plus fréquentes que vous ne le croyez, pourquoi les erreurs médicamenteuses sont devenues un problème majeur<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Science
Bien plus fréquentes que vous ne le croyez, pourquoi les erreurs médicamenteuses sont devenues un problème majeur
©Regis Duvignau / Reuters

Risque sanitaire

Souvent négligé, ce type d'erreurs arrive pourtant régulièrement, avec des conséquences parfois graves. En cause de ces mauvaises prescription, on retrouve souvent un problème de communication.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

Voir la bio »

Atlantico : Qu’appelle-t-on erreur médicamenteuse ?

Cette notion a une acception très large. Elle est définie par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). On parle d’erreur médicamenteuse chaque fois qu’une personne soignée, ou si l’on préfère un patient, n’a pas exactement reçu le traitement médicamenteux qu’il aurait dû recevoir. Une erreur médicamenteuse est par définition non intentionnelle. L’erreur médicamenteuse fait partie de ce que l’on appelle la iatrogénie médicamenteuse (les effets indésirables liés à l’usage des médicaments). La iatrogénie est le domaine des événements indésirables (EI), parfois graves (EIG), liés aux différentes activités de soins en général.

Certaines erreurs médicamenteuses sont liées à un acte incorrect, comme la prescription à une personne d’un médicament qui lui est formellement contrindiqué ; d’autres sont liées à une omission, par exemple celle de mettre fin à un traitement alors que la prescription médicale l’a pourtant spécifié, ce qui peut dans certains cas être dangereux.

Une erreur médicamenteuse peut se produire lors d’une des trois étapes du circuit du médicament : il peut s’agir d’une erreur de prescription, comme un celle d’un médicament bêtabloquant à une personne ayant un asthme bronchique sévère (erreur médicale) ; d’une erreur de dispensation médicamenteuse (étape qui relève de la compétence du pharmacien : analyse de l’ordonnance, préparation des doses à administrer, informations données relatives au bon usage du médicament, délivrance du médicament) ; d’une erreur d’administration, étape effectuée soit par le patient lui-même, soit par un proche, soit par une infirmière ou tout autre professionnel de soins habilité à administrer un médicament.

Une erreur médicamenteuse est par définition évitable, car elle est la conséquence du non-respect d’une prescription médicale écrite ou d’une consigne ou règle censée connue des différents intervenants. Elle n’est pas un aléa thérapeutique, à la différence d’une réaction grave, très rare et imprévisible d’un patient à un médicament qui lui est administré pour la première fois (domaine de la iatrogénie médicamenteuse non fautive).

Les erreurs médicamenteuses sont toutes ou presque potentiellement dangereuses : elles peuvent générer ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler un événement indésirable (EI) parfois grave (EIG) chez le patient.

Il est d’usage enfin de distinguer les erreurs médicamenteuses avérées (qui se sont réellement produites), de celles qui n’ont été que potentielles (repérées et corrigées in extremis, juste avant l’administration à la personne soignée).

Dans quel contexte surviennent les erreurs médicamenteuses ?

Les erreurs médicamenteuses sont essentiellement étudiées dans les institutions, c’est-à-dire les hôpitaux, les cliniques, les centres de soins de suite et réadaptation (SSR) et les établissements médico-sociaux, en premier lieu les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou maisons de retraite, ces derniers car les résidants des EHPAD reçoivent en général des traitements médicamenteux assez importants.

Dans les établissements sanitaires ou médico-sociaux, le circuit du médicament (expression consacrée par l’usage et devenue officielle) comporte plus d’étapes et fait intervenir plus d’acteurs que dans le cadre des soins à domicile, encore appelés soins de ville. De surcroît, les traitements médicamenteux y sont le plus souvent plus puissants et donc plus dangereux. Enfin, une erreur médicamenteuse survenant en institution se déroule par définition en milieu de soins, ce qui la rend médicalement perceptible, et, quels qu’en soient les acteurs, elle est juridiquement imputable à l’établissement et aux professionnels de santé impliqués. C’est pour toutes ces raisons que ce sont les erreurs médicamenteuses survenant en institution qui sont principalement étudiées et connues. Mais est évident qu’il en survient également lors des soins à domicile, cependant elles restent assez souvent méconnues ou minimisées.

Quelle est la fréquence des erreurs médicamenteuses ?

Aux États-Unis d’Amérique, on estime à 1,5 million le nombre de patients confrontés chaque année à au moins une erreur médicamenteuse et à 7 000 le nombre de ceux qui en décèdent. Les études menées à l’échelle internationale dans différentes structures hospitalières et différents contextes de soins donnent un taux d’erreurs variant de 2 à 75 % selon les critères et la méthode utilisés : la diversité des définitions et des méthodes employées pour enregistrer les erreurs médicamenteuses explique en partie la très grande hétérogénéité des résultats obtenus (soit observation directe des pratiques, soit notifications spontanées, soit double contrôle, soit encore vérification a posteriori des dossiers…) Une majorité des études retrouve cependant un taux inférieur à 10 %.

En Europe, l’Agence européenne du médicament (EMA) estime que les taux d’erreurs médicamenteuses en milieu hospitalier varient, pour la prescription entre 0,3 et 9,1 %, et pour la dispensation entre 1,6 et 2,1 %.

En France, la prise de conscience de l’importance de la iatrogénie médicamenteuse est récente, grâce aux premières études réalisées par les centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) en 1998. La prévalence (fréquence) de la iatrogénie médicamenteuse hospitalière en France concernerait 6 à 10 % de l’ensemble des patients hospitalisés chaque jour, soit par extrapolation 1,3 million de patients chaque année. Un tiers de ces événements iatrogéniques est considéré comme grave. Après les actes invasifs (chirurgie, cathéters veineux, sondes urinaires…) et les infections liées aux soins, les médicaments sont la troisième cause d’EIG (60 000 à 130 000 par an), dont près de la moitié seraient évitables. Les erreurs médicamenteuses provoqueraient un EIG toutes les 2 000 journées d’hospitalisation, soit environ 70 000 EIG par an. Parmi ces EIG, certains sont liés au produit (étiquetage ou conditionnement inadaptés) et d’autres sont liés aux pratiques ou à l’organisation de la prise en charge médicamenteuse dans l’établissement (erreur lors de la prescription, lors de l’administration, etc.). Le plus souvent, différents facteurs s’associent pour conduire à l’événement indésirable.

Quelles sont les causes des erreurs médicamenteuses ?

Une pharmacopée (ensemble des médicaments commercialisés) devenue à la fois vraiment pléthorique et complexe, la grande diversité des dosages, associations, formes galéniques (comprimés simples, enrobés ou dragéifiés, sécables ou non ; gélules…), conditionnements et formes commerciales, constituent des sources d’erreurs humaines. Il s’y ajoute le nombre d’étapes et d’acteurs dans le circuit du médicament. Le circuit du médicament, surtout dans les établissements sanitaires, mais aussi dans les établissements dits médico-sociaux, est aujourd’hui un processus complexe et dangereux parce qu’insuffisamment maîtrisé. À tel point que le ministère chargé de la santé fait de la sécurité de la prise en charge médicamenteuse l’une de ses premières priorités, et cela depuis environ une quinzaine d’années, mais sans que l’on ne parvienne à une amélioration décisive.

Ces erreurs surviennent à toutes les étapes du circuit du médicament, mais sont surtout concentrées aux étapes de prescription et d’administration. Les taux d’erreurs tendent à augmenter dans certains services comme la pédiatrie en raison d’erreurs plus fréquentes sur les calculs de doses, ou encore en gériatrie en raison des comorbidités (plusieurs maladies chez le même individu : polypathologie), des polymédications et des interactions médicamenteuses.

Les pharmaciens et les infirmières détectent et corrigent de nombreuses erreurs de prescription, mais les erreurs qui sont commises lors de l’étape d’administration, c’est-à-dire en fin de processus, sont beaucoup moins souvent détectées.

Que fait-on actuellement pour éviter toutes ces erreurs médicamenteuses ?

Les actions se multiplient et cela à toutes les étapes du circuit du médicament. L’informatisation dans les établissements de soins n’a pas suffisamment contribué à cette sécurité ; elle est à l’inverse parfois source d’erreurs. Des circulaires, telles que celle DGOS-PF2-2012-72 du 14 février 2012 relative au management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse dans les établissements de santé, ainsi que nombre de recommandations et guides ont été publiés. Mais ce problème est vraiment complexe. Plus récemment, le 22 février 2016, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), par sa décision DG n°2016-53, a créé un groupe de travail intitulé « Erreurs médicamenteuses », c’est dire à quel point ce problème est devenu une préoccupation majeure.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !