70 après...comment le tabou absolu de l’arme nucléaire est en train de sauter <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
70 après...comment le tabou absolu de l’arme nucléaire est en train de sauter
©Capture d'écran

Mieux vaut tard

Selon Jacques Hymans, professeur de relations internationales à l'Université de Caroline du Sud, la tabou du nucléaire qui dure depuis 70 ans, subirait une forme d'usure notamment en raison du changement de génération des dirigeants, ceux ci n'éprouvant plus la même peur vis à vis de l'arme nucléaire.

Philippe Wodka-Gallien

Philippe Wodka-Gallien

Philippe Wodka-Gallien est chercheur à l'Institut français d'analyse stratégique (IFAS). Contributeur fréquent de la revue Défense nationale. Auditeur de la 47eme session Nationale de l'IHEDN et auteur de plusieurs livres dont : Hiroshima et Nagasaki, notre héritage nucléaire (Ouest France) et Essai nucleaire - la force de frappe Française au XXI eme siècle (Lavauzelle), prix Vauban 2015. Il est l'auteur du récent ouvrage : La dissuasion nucléaire française en action. Dictionnaire d’un récit national ». Edition Decoopman.

 

Voir la bio »

​Atlantico : Dans quelle mesure le tabou ultime de l'arme nucléaire pourrait être moins d'actualité qu'il ne l'a été par le passé ?​ 

Philippe Wodka-Gallien : ​Le professeur Jacques Hymans nous invite à approfondir notre réflexion sur la place de l'arme nucléaire dans le système international d'aujourd'hui, notamment au regard de la crise actuelle centrée entre la Corée du Nord et l'Amérique de Donald Trump. Mais les enjeux des stratégies nucléaires ne se limitent pas à l'Extrême Orient. Les stratégies nucléaires restent défensives, tout en autorisant à l'Etat détenteur une liberté d'action. Le calcul pour un dirigeant à l'initiative consiste à ne pas toucher les intérêts vitaux d'une autre Nation Nucléaire. L'année 2014 constitue une date charnière. Suite à la crise ukrainienne, les stratégies de dissuasion avec armes nucléaires sont sorties d'une certaine réserve, voire de l'oubli. Tournant le dos à une espérance de partenariat, Moscou et Washington ont alors, à l'occasion de cette crise, remis en avant leurs arsenaux nucléaires, mais en les maintenant intégrer à une stratégie de dissuasion. Le dossier iranien puis les provocations nord coréennes ont alimenté cette nouvelle tendance aux crispations et aux tensions inter étatiques. La modernisation des arsenaux nucléaires, partout a parachevé une séquence nouvelle de course aux armements. Le non emploi reste le principe des stratégies Nucléaires.

La France et le Royaume Uni restent fidèles à cette ligne. Je pense donc que le tabou du non emploi est solide, et cela malgré l'effervescence médiatique qui accompagne en temps réel l'expression des rapports de Forces. Le non usage de l'arme nucléaire s'appuie aussi sur le droit international de l'atome, le TNP, le traité d'interdiction des essais et des résolutions de l'ONU Hiroshima et Nagasaki restent je pense très présents dans les esprits, même 72 ans après l'événement. Les 200 000 victimes, en un instant, des deux bombardements restent une réalité très présente dans l'imagerie collective de l'arme nucléaire. Dès lors, la rationalité s'impose.  Une frappe Nucléaire, c'est une ville, une bombe et des centaines de milliers de victimes, la fin d'une civilisation en quelques secondes. Cette équation reste, je l'espère, dans l'esprit des dirigeants dépositaires du feu nucléaire. A cet égard, les cérémonies chaque année au Japon, les 6 et 9 août, à Hiroshima et Nagasaki, sont là pour nous le rappeler. C'est un message d'appel au désarmement, comme le prévoit le Traité de non-prolifération, mais cette cérémonie sert aussi le message de la dissuasion à base d'armes nucléaires, paradoxalement. Ceci en rappelant l'horreur d'une frappe Nucléaire sur une population civile. Pour autant, le tir de semonce, de démonstration pourrait devenir un scénario probable. Pour l'instant, on en est encore loin. En Europe, nous avons d'autres références : 14-18, Verdun, le nazisme, les bombardements et la Guerre doit être proscrite de notre continent. Le plus jamais ça a justifié le programme nucléaire Français. La stratégie de défense avec arme nucléaire s'exprime par des manœuvres de dissuasion : mise en avant des forces aériennes à capacité nucléaire a l'occasion de leurs exercices, vols de bombardiers à long rayon d'action, des Sous-marins lanceurs d'engins, essais de missiles balistiques etc...

Bref, les Forces nucléaires stratégiques présentent un peu partout une forte activité. Ce qui est nouveau, disons depuis 2014, c'est la médiatisation de ces manœuvres, à l'initiative des États eux même. La France est d'ailleurs sur cette ligne pour rappeler la crédibilité de sa force de frappe par définition défensive. Un tir d'essai de M51 est toujours accompagné d'un communiqué de presse du ministère de La Défense. Ce qui est déstabilisant, entre autres choses avec la Corée du Nord, c'est que le régime de Pyongyang, un régime totalitaire fermé aux influences humanistes du monde, accompagne ses nouvelles capacités d'un discours agressif, alors que ses missiles balistiques retombent en mer dans la zone économique exclusive du Japon. L'autre nouveauté des derniers mois réside dans un affrontement verbal à coup de tweet et de communiqués, avec un risque d'emballement. Jusque-là, les duettistes ont su s'arrêter à temps. Et c'est ce qui explique la pause que propose Kim Jung-un dans sa déclaration de ce jour. Un briefing, ce n'est pas la guerre. L'analyse géopolitique butte toutefois à ce niveau sur une limite infranchissable : on ne peut savoir qu'il y a vraiment dans la tête des dirigeants des puissances nucléaires lorsqu'une crise survient ! Pour le citoyen, une seule solution : faire confiance à la raison. L'arme nucléaire va plutôt dans ce sens en imposant le dialogue entre adversaires à défaut d'un partenariat, et en interdisant le recours à la guerre. A l'ère Nucléaire, la paix est la seule option possible. 

Dans quelle mesure peut on considérer que les nouvelles nations nucléaires pourraient également être tentées par​ "l'utilisation​"​ d'un technologie chèrement acquise, afin d'en tirer des bénéfices​ vis à vis d'autres Etats​, au moins par voie de contrainte? 

C'est effectivement un risque. Jusque-là, chaque État parvenant au stade Nucléaire accompagnait cette étape, fruit d'un effort important, d'un discours défensif sanctuarisant son territoire par une stratégie de type dissuasion. Les investissements consentis pour se doter de l'arme nucléaire ont d'abord un objectif défensif. Ce principe a été consacré par l'Onu qui pose le principe défensif de l'arme nucléaire dans les cas exclusif et extrême de la légitime Défense. Un emploi en premier expose le coupable à une riposte qui serait cataclysmique. Un acte suicidaire en fait.   L'histoire récente concerne en particulier l'Inde et la Pakistan. Depuis que les deux pays ont acquis des capacités Nucléaires à la fin des années 1990, ils ont adopté des règles de bonne gouvernance de leurs stratégies de défense avec armes nucléaires. Ils ont notamment signé des mesures de confiance, précisément une information préalable avant la conduite de leurs essais de missiles balistiques. En résumé, ils se sont neutralisés et les principes de la dissuasion sont alors intervenus invitant les deux protagonistes à prendre conscience de leurs nouvelles responsabilités. Ce scénario fait un peu jurisprudence, sachant que ces deux pays poursuivent leur politique de défense  hors du TNP. S'agissant de la Corée du Nord, les choses sont différentes.

En premier lieu, ce pays s'est délibérément place hors du droit de l'atome en dénonçant son rattachement au TNP en 2003. Il y a ensuite la nature du régime, un totalitarisme absolu de type sectaire, totalement hermétique, un cas très rare dans l'histoire. On notera que toute tentative d'agression de Pyongyang se solderait par une riposte immédiate de Washington, et forcément ce serait cataclysmique. A l'inverse, une action militaire des États Unis sur ce pays, impliquerait une réaction militaire en direction de la Corée du Sud, Kim Jung- Un disposant de milliers de tonnes d'armes chimiques. Jusque-là, les déclarations et manœuvres militaires des Etats-Unis dans la région, comme le déploiement de missiles anti-missiles, conservent un caractère défensif, soulignant une capacité de riposte. Conforme à une stratégie de " contaminent". On voit bien que Donald Trump - tout comme l'ONU - n'a pas vraiment d'alternative. Pour l'instant, l'action de Washington peut s'interpréter comme une démarche de dissuasion. 

Après la Corée du Nord, quels seraient les risques de voir d'autres nations chercher à obtenir une force de frappe ? La non prolifération est elle à risque aujourdhui ?

Donc aujourd'hui, nous sommes à huit ou neuf puissances atomiques. Seuls, les cinq grands, les puissances nucléaires reconnus officiellement par le TNP, on en est certain, maîtrisent le thermonucléaire. La prolifération a connu un développement nouveau à l'occasion de l'accession atomique de fait de la Corée du Nord en février 2013 par un premier essai nucléaire probant. L'Iran a renoncé à sa " bombe" en signant l'accord du 14 Juillet 2015 et Téhéran se replace ainsi en conformité avec le TNP. Le pays renoue aussi ce jour-là avec la communauté internationale. Une rupture de cet accord répondrait en partie à la question, générant un nouveau cycle de tensions, et ceci dans un contexte régional marqué par les différends, les tensions et les guerres de toute nature. Autrement, Japon et Corée du Sud pourraient être tentés par un programme militaire nucléaire.  Les deux pays, c'est indiscutable, en ont la capacité technologique et industrielle. Mais deux remparts solides se dressent encore face à cette tentation. D'abord, la garantie de sécurité des Etats-Unis. Elle s'exprime notamment par les traités de sécurité que matérialisent des batteries anti-missiles (le parapluie américain, possiblement nucléaire, porte bien son nom). Ensuite, il y a l'adhésion des deux pays au TNP. On comprend donc l'enjeu pour Washington de prouver cette garantie de sécurité. Pékin comme Moscou ne seraient sûrement pas disposés à accepter une telle perspective de la part de Tokyo et de Séoul. Sinon, Japon et Corée du Sud ont réussi à développer des missiles et des lanceurs  balistiques, un message pour rappeler qu'ils sauraient aller plus loin. Plus près de nous, il y a un risque du côté de la Turquie, qui pourrait réagir à un Iran nucléarisé. Bref, une relance du désarment nucléaire  comme nous y invite pourtant le TNP, ce n'est pas encore pour tout de suite.                                                                                                         

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !