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Au delà des clichés, voici ce que vous devriez savoir sur le Darknet
©Flickr

Iceberg

Depuis plusieurs années maintenant le terme "Darknet" a fait son apparition dans les médias. Au delà des préjugés, quelle est son importance, que peut-on y trouver et ces réseaux sont-ils si dangereux que ce que l'on veut bien en dire ?

Rayna Stamboliyska

Rayna Stamboliyska

Experte en gestion des risques et des crises, Rayna Stamboliyska travaille avec des entreprises et organisations internationales pour les aider dans leur développement. Son travail et parcours sont intimement liés au numérique, ses enjeux et sa gouvernance, autant au niveau international qu’à celui de l’individu.

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Atlantico : Depuis plusieurs années, le terme "Darknet" est apparu dans les médias qui font, la plupart du temps état de réseaux parallèles, où se monnaieraient aisément drogues, prostitution, armes... Quelle est l'importance du darknet et se résume-t-il vraiment à cela ? Quels sont les profils de ses utilisateurs ? Peut-on les quantifier ?

Rayna Stamboliyska : Divers darknets (réseaux) et darkwebs (visitables par navigateur) existent. (Ce qui, comme je le souligne d’ailleurs dans mon livre, rend inopérant le terme « Darknet » avec D.) Si on prend le plus célèbre, accessible via Tor, les cartographies existantes en montrent surtout la complexité. Elle est technique : les sites sont très dynamiques, ils peuvent exister juste quelques heures, être dupliqués et clonés pour servir différents buts, etc. 

Ensuite, il faut qualifier ces services : il y a de tout. Or, la qualification varie en fonction de qui décide des critères. Oui, il y a beaucoup d’activités potentiellement illicites. Mais plein d’autres considérations sont totalement ignorées dans les analyses existantes. Par ex., si plusieurs sites web sont créés et opérés par un même groupe criminel, devrait-on augmenter le nombre de sites dont l’activité est illicite – ou pas, vu qu’ils sont gérés par le même acteur ?

Malheureusement, personne ne parle de tous les aspects légaux. Il y a des communautés entières de passionnés : des forums dédiés à la poésie, des clubs de lecture, des archives sur certains compositeurs célèbres qui feraient pâlir la BNF, etc. De même, des dissidents politiques s’y retrouvent pour échanger des informations notamment quand les moyens de communication classiques sont lourdement surveillés ou bridés. Bref, pour beaucoup, il s’agit d’un espace rassurant où on peut parler librement et sans inquiétude de choses qui nous importent.

Quels sont les principaux risques qu'induist l'existence d'un tel système ? Quel est l'intérêt, pour un internaute lambda, de tenter d'accéder au Darknet ?

Comme précisé ci-dessus, nous parlons d’outils numériques, décrits quasi-exclusivement en des termes péjoratifs. Or, l’historique de ces projets techniques et leurs motivations sont importants pour saisir leur signification et portée. En fin de compte, utiliser Internet fait partie de notre quotidien au même titre que manger. Ainsi, les activités qui s’y développent sont un reflet de notre réalité hors Internet.

On pointe souvent du doigt "l'anonymat total" confié par le Darknet et le chiffrement des données. Chiffrement qui profiterait aux "terroristes" et contre lesquels les gouvernements ont "du mal à lutter" mais qui pourtant serait un combat "essentiel". N'est-ce pas faire là un mauvais diagnostique de la situation ?

Pour clarifier les enjeux – et ainsi répondre à votre question, clarifions les fondamentaux.

L‘« l’anonymat total grâce au chiffrement des données » n’existe pas ; il n’y a pas de solution technique à ce problème. Il y a des outils qui permettent de masquer certains détails identifiants à certains yeux curieux.

Ainsi, utiliser l’inexactitude « l’anonymat total » et prétendre qu’il « profite évidemment au terrorisme » est problématique. Les échanges de l’organisation État Islamique aussi bien que ceux d’Al-Qaeda se matérialisent surtout via des applications telles que Telegram [http://www.bbc.co.uk/news/technology-34466287 ] et, en moindre mesure, les réseaux sociaux et des forums web. Ce qui compte est d’avoir une interaction en ligne qui favorise et nourrit le lien social entre les protagonistes et contribue à diffuser une propagande bien faite. Bien sûr, ces groupes ont créé leurs propres outils (je pense à Asrar Al-Moujahideen lancé par Al-Qaeda dès 2008) et mobilisent l’existant. Mais… Vos échanges WhatsApp avec votre mamie sont chiffrés : êtes-vous terroriste pour autant ? 

C’est ainsi qu’on arrive au lien de cause à conséquence qu’on connaît : « La lutte contre ces réseaux est donc essentielle pour les gouvernements ». Cette conclusion est, à mon sens, la plus dangereuse. Non seulement ce qui l’amène est erroné mais en plus on se trompe de cible. En effet, le chiffrement est un ensemble d’opérations mathématiques. Il est ensuite intégré dans des applications (WhatsApp, Telegram, mais il en existe plein d’autres que l’on retrouve quand on fait des achats en ligne par ex.). La question devient donc : l’ennemi à combattre, est-ce le terrorisme ou les maths ?

Agiter sans cesse la dangerosité d’usage d’un outil ne contribue aucunement à réfléchir à l’amélioration effective de la sécurité des personnes et installations. Rappelons que les communications de l’armée par ex. nécessitent également un degré très élevé de confidentialité. Tor, que l’on blâme pour ses capacités d’anonymisation de la navigation, est initialement un projet de la marine US et sert aussi et largement à protéger des communications légitimes. Un usage parmi d’autres est une portion de la réalité qui ne devrait pas servir à justifier une législation liberticide qui doit encore démontrer son efficacité. En voulant « combattre » un réseau ou une appli, on agit sur le médium. Le message persiste, voire se renforce, et trouve d’autres canaux.

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