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Nouvelle crise des missiles : mais où en est la France en matière de dissuasion nucléaire et que doit-elle apprendre du cas nord-coréen ?
©Reuters

Si vis pacem...

Alors qu'une dangereuse escalade verbale bat son plein entre Pyongyang et Washington, il paraît légitime de s'interroger sur les capacités actuelles de la France en matière de dissuasion nucléaire, et sur l’intérêt ou non de renforcer son arsenal.

Jean-Bernard Pinatel

Jean-Bernard Pinatel

Général (2S) et dirigeant d'entreprise, Jean-Bernard Pinatel est un expert reconnu des questions géopolitiques et d'intelligence économique.

Il est l'auteur de Carnet de Guerres et de crises, paru aux éditions Lavauzelle en 2014. En mai 2017, il a publié le livre Histoire de l'Islam radical et de ceux qui s'en servent, (éditions Lavauzelle). 

Il anime aussi le blog : www.geopolitique-géostratégie.fr

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Philippe Wodka-Gallien

Philippe Wodka-Gallien

Philippe Wodka-Gallien est chercheur à l'Institut français d'analyse stratégique (IFAS). Contributeur fréquent de la revue Défense nationale. Auditeur de la 47eme session Nationale de l'IHEDN et auteur de plusieurs livres dont : Hiroshima et Nagasaki, notre héritage nucléaire (Ouest France) et Essai nucleaire - la force de frappe Française au XXI eme siècle (Lavauzelle), prix Vauban 2015. Il est l'auteur du récent ouvrage : La dissuasion nucléaire française en action. Dictionnaire d’un récit national ». Edition Decoopman.

 

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Atlantico : Par une nouvelle déclaration sur Twitter, Donald Trump a pu indiquer : "Mon premier ordre en tant que Président a été de rénover et de moderniser notre arsenal nucléaire. Il est aujourd'hui plus fort et plus puissant que jamais". Alors que l'escalade bat son plein entre Pyongyang et Washington, quel point peut-on faire sur les capacités françaises en la matière ? Quel est l'état de la force de dissuasion française ?

Philippe Wodka-Gallien : Donald Trump valorise la force nucléaire des Etats-Unis, et cela fait suite à plusieurs années de modernisation de cet arsenal stratégique. Les décisions fondamentales de modernisation de la force nucléaires avaient été prises par Barack Obama, parce qu'il a décidé de renouveler les sous-marins lanceurs d'engins, et lancé le programme de bombardier stratégique B21. Cette décision américaine s'inscrit dans un contexte global de modernisation observée dans toutes les puissances détentrices. La France, pour sa part, maintient une force nucléaire formatée à un niveau de stricte suffisance, caractérisée par une très haute performance de ses différentes composantes. Dans le détail : 4 sous-marins lanceurs d'engins de nouvelles générations, armés du missile M51. Les relais pour assurer la permanence à la mer sous-marine, le relai s'effectue en mer, ce qui signifie qu'il en faut toujours trois opérationnel, un quatrième étant immobilisé en chantier de modernisation. Il y a ensuite une composante aérienne, avec deux escadrons de chasseurs bombardiers de l’armée de l’air, et une flottille d'avions Rafale lorsque celle-ci est embarquée sur le Charles-De-Gaulle. Les avions sont dotés d'un missile nucléaire ASMP-A. Ces différentes composantes sont complémentaires au sens où les sous-marins lanceurs d'engins de la force océanique stratégique garantissent une seconde frappe massive dans le cas de la stratégie de dissuasion.

La composante aérienne a pour vocation d'élargir le champ de la dissuasion. Au-delà de ces vecteurs de l'armes nucléaires, il y a un environnement de protection et d'appui, qui aussi est en cours de modernisation, notamment pour la protection des sous-marin, avec l'hélicoptère NH90., les nouvelles frégates de la classe aquitaine, et attendu prochainement les sous-marin d'attaque nucléaire Barracuda. Pour la composante aérienne, on attend d'ici deux ans le premier avion de ravitaillement en vol A330 MRTT pour remplacer nos anciens C-135 FR qui ont un demi-siècle de service derrière eux. Il y a également l'amélioration de l'avion Rafale. Les performances de notre force de dissuasion nucléaire ont été récemment démontrées.  Il y a eu deux tirs réussis de missiles depuis nos sous-marins en juillet 2016, et septembre 2015. Il y a également eu un tir réussi d'un missile avec un Rafale en février 2017, à l'issu d'un vol de plus de 4h. Ces tirs démontrent la crédibilité de notre force de frappe. Sachant que, pour ce qui est des avions, on observe en permanence leur performance pendant les opérations extérieures. On peut citer également un exploit aéronautique : en 2014, l'armée de l'air a conduit un raid aérien entre la métropole et la Réunion, soit plus de dix heures de vols avec deux rafales des forces aériennes stratégiques. Il faudrait ajouter à notre dispositif la composante transmission qui permet la diffusion directe de l’ordre du président de la République aux forces stratégiques, et la dimension de notre force de frappe qui n'est pas forcément visible mais très importante, c'est le programme de simulation conduit par le commissariat à l'énergie atomique, et qui permet de garantir la performance des charges nucléaire. Tout ça pour la somme de 3,16 milliards d'euros en 2017, ce qui représente 10% du budget de la Défense.

Jean-Bernard Pinatel : Le Président Trump en déclarant  dans un tweet : « Mon premier ordre en tant que Président a été de rénover et de moderniser notre arsenal nucléaire. Il est aujourd’hui plus fort et plus puissant que jamais » démontre une fois de plus qu’il n’est pas sérieux. En effet une décision de ce type pour qu’elle commence à se concrétiser significativement sur le terrain demande au moins dix ans.

En France, quels qu’aient été les Présidents de la République, aucun n’a remis en cause le fait que la dissuasion nucléaire est le socle sur lequel est bâtie notre défense. Pour tous les responsables français il s’est agi de maintenir en permanence une capacité de seconde frappe à un niveau tel que le bénéfice que pourrait retirer un ennemi qui frapperait en premier notre pays serait inférieur aux pertes que notre capacité de seconde frappe (c’est-à-dire notre riposte à son agression)  lui causerait.

Pour ce faire les actions à réaliser et les dépenses à consentir sont planifiées non pas sur 6 ans comme dans la Loi de Programmation militaire pour le reste des équipements militaires, mais sur les trente prochaines années.

C’est ainsi que l’on sait qu’il va falloir accroitre le pourcentage consacré à la dissuasion nucléaire dans les dépenses de défense dès 2018-2019 si l’on veut qu’en 2030 nous soyons toujours dissuasifs vis à vis de tout adversaire potentiel, qu’il soit une superpuissance ou un Etat voyou.

Quelles sont les leçons à tirer de la crise actuelle ? La France se doit-elle de renforcer ses capacités dans un monde où, après la Corée du Nord, d'autres pourraient nourrir la même ambition ? En quoi le fait nouveau, qu'un seul pays membre de l'Union européenne soit détenteur de la force de dissuasion, peut-il également plaider en ce sens ?

Philippe Wodka-Gallien : La France dit-elle renforcer sa capacité nucléaire? Ce n'est pas nécessaire. Parce que la stratégie de dissuasion nucléaire française répond au principe de la suffisance, et du pouvoir égalisateur de l'atome. La puissance nucléaire française a été dimensionnée pour dissuader des très grandes puissances, sachant que nos forces nucléaires peuvent virtuellement infliger des dommages bien supérieurs à ce que la France pourrait subir. Ce principe s'applique bien sûr à la menace que pourrait constituer contre nous une force nucléaire Nord-Coréenne. Le pouvoir égalisateur de l'atome joue en faveur de la Corée du Nord, puisqu'un petit pays peut en défier un grand. Et la France a appliqué ce principe dans le cadre de la guerre froide, à une époque où la menace était formée par l'Union Soviétique. Il n'est donc pas nécessaire d'augmenter notre arsenal nucléaire. Ensuite, juridiquement, on ne peut pas le faire. La France est membre du Traité de non-prolifération. Et donc à ce titre, elle devrait encourager un désarmement nucléaire. Elle ne peut donc augmenter son arsenal nucléaire comme le prévoit l'article 6. Aujourd'hui, nous possédons 300 charges, portées par deux composantes. Quand bien même, on ne serait pas préoccupés par ce traité le principe de suffisance et le principe de l'égalisation de l'atome suffit à montrer que ce n'est pas nécessaire.

D'autant que la France a d'autres enjeux de défense, tels que la sécurité intérieure, la modernisation des forces conventionnelles ou encore les opérations extérieures. Ce qui n'exclut pas de devoir en permanence le moderniser, de sorte que sa crédibilité soit toujours assurée. Il est nécessaire de perfectionner les vecteurs, et c'est déjà envisagé. Ce sera des décisions lourdes à prendre au cours des années à venir, et qui consiste à renouveler la composante maritime, puis le missile aéroporté. En 2020, on va accentuer le programme de développement de sous-marins de troisième génération, avec une entrée en service prévue en 2035. Il va falloir lancer le développement dans les 2/3 années à venir. Le fait d'être la seule puissance nucléaire en Europe ne change rien de la stratégie de la France, et au format de la dissuasion nucléaire. Ce qui évolue, c'est la vision politique qu'on a à l'égard de l’UE. Suite au Brexit et aux divers désaccords internes à Bruxelles, notamment vis-à-vis de l’OTAN et des Etats-Unis, la France est la seule puissance à détenir une force nucléaire autonome souveraine en Europe. Ça peut plaider dans le sens d'une augmentation de nos armements conventionnels, et une Europe de la défense avec un partage de la puissance nucléaire. Cela dit, on en est très loin. Aujourd'hui, l'Europe politique n'existe pas. L'Union Européenne est très affaiblie.

Jean-Bernard Pinatel : La crise actuelle, à mon avis,  n’est qu’une gesticulation verbale initiée par le Président Trump dans un but de politique intérieure. En revanche, il est certain que l’existence de  capacités nucléaires et balistiques aux mains d’un régime autocratique comme celui de la Corée du Nord peut inquiéter ses voisins les plus proches et notamment la Corée du Sud et le Japon.

Pour la France, la seule leçon à en tirer est que la dissuasion nucléaire fonctionne. Car si la Corée du Nord proférait de telles menaces sans posséder des capacités nucléaires, rien n’empêcherait les Etats-Unis de détruire ses capacités balistiques car le risque pour eux serait quasi nul et très minime pour leurs alliés coréen et japonais. Par ailleurs,  nos capacités nucléaires sont ajustées par rapport à l’enjeu que la France représente pour un adversaire potentiel. Elles ne peuvent constituer aucunement une protection pour les autres pays européens. Et même si elles étaient de taille supérieure, elles ne pourraient avoir un effet dissuasif que très limité pour nos voisins. En effet,  hypothèse d’école, croyez-vous qu’un Président de la République française riposterait par une frappe nucléaire contre Moscou si d’aventure la Russie envahissait l’Ukraine ? La dissuasion nucléaire ne peut protéger que nos intérêts vitaux.

Quels seraient les efforts à fournir pour parvenir à ce que la France dispose d'un outil de premier plan ?

Philippe Wodka-Gallien : On est déjà au premier plan, en termes de technologie. Il s'agit de maintenir l'enveloppe actuelle, pour pouvoir financer la mise en œuvre et la modernisation de la force de frappe, puis accentuer l’effort. Les précisions nous sont données par les derniers rapports du parlement, pour atteindre 5 à 6 milliards d’euros au milieu de la prochaine décennie. Donc aujourd'hui, on est sur une trajectoire qui a été confirmée par le mandat de François Hollande, et qui consiste à consolider les deux composantes nucléaires françaises. Les déclarations sur la Défense d’Emmanuel Macron vont dans ce sens. On comprend bien l'enjeu de l'augmentation du budget de la Défense, sachant que celui-ci va également se consacrer à la modernisation des armements conventionnels.

Jean-Bernard Pinatel : Répondre à votre question c’est poser le problème de l’effort de défense. Si nous voulons d’une part maintenir un engagement opérationnel extérieur du même niveau qu’actuellement tout en poursuivant l’opération sentinelle à hauteur de 7000 hommes  et, simultanément, rattraper le retard dans la modernisation des équipements de nos forces armées classiques et, d’autre part, maintenir la crédibilité de notre force de dissuasion nucléaire en lançant lancer dès 2018  les dépenses de recherche développement nécessaires, il faudrait à partir de 2018  rajouter 2 milliards de plus chaque année au budget des armées voté pour 2017 .Cela conduirait à un effort supplémentaire de  42 Milliards entre 2018 et 2023 et permettrait d’atteindre un budget militaire de 45 milliards hors pensions en 2023. Ce qui signifie se fixer un objectif d’atteindre les 2% du PIB en 2023 et non en 2025.

Si nous refusons de faire cet effort nous ferons ce que le comte de Guibert, penseur militaire, disait à Louis XVI qui voulait pas faire un effort suffisant pour son armée: "ce qu'il y a de plus cher et de plus onéreux c'est d'avoir une demi-armée car avec cela on n'est jamais au niveau de sa politique, ni de son rang ni du rôle qu'on doit jouer et toute dépense qui est insuffisante est celle qu'il faut vraiment regretter."

Philippe Wodka-Gallien est auteur du livre Guerre froide, épisode 2 ? Dissuasion et diplomatie à l'épreuve aux Editions Lavauzelle

Jean-Bernard Pinatel est auteur de Histoire de l’Islam radical et de ceux qui s’en servent aux Editions Lavauzelle

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