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​6 milliards d’euros : qui sont les gagnants et les perdants de la hausse des recettes fiscales sur les 12 derniers mois  ?
©Flickr

Bondage fiscal

Du 30 juin 2016 au 30 juin 2017, les recettes fiscales françaises ont augmenté de 5.9 milliards d'euros. Loin de voir une progression homogène des différents impôts, cette hausse révèle la transformation progressive du système fiscal français.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Selon la situation mensuelle budgétaire publiée le 8 août par Bercy, les recettes fiscales françaises nettes se seraient accrues de 5.9 milliards entre le 30 juin 3016 et le 30 juin 2017. Au regard des données fournies, quels sont les français qui ont contribué à cette hausse des recettes fiscales ? Quelles sont les moteurs de ce mouvement ? 

Philippe Crevel : Les entreprises et les consommateurs mais aussi les collectivités locales ont aidé l’État à ne pas trop déraper budgétairement au cours du premier semestre 2017. Malgré la croissance économique qui atteint depuis 18 mois, 0,5 % par trimestre, l’amélioration des comptes publics est lente à se dessiner. En effet, le solde général d’exécution du budget, au 30 juin 2017 s’établit à -62,3 milliards d’euros contre -61,8 milliards d’euros à fin juin 2016. Les dépenses (budget général et prélèvements sur recettes) progressent de près de 4 % en atteignant 201,5 milliards d’euros contre 193,9 milliards d’euros au 30 juin 2016. Pour le seul budget général (à périmètre courant), la hausse est de 6,4 % (5,1 % à périmètre constant). Si les dépenses d’investissement sont étales, celles liées au fonctionnement sont en forte progression.

Les recettes de TVA sont notamment en hausse de 5,2 milliards d’euros par rapport à fin juin 2016. Cette progression est imputable au rebond de la consommation depuis le milieu de l’année dernière. La bonne tenue du marché automobile en est un des symboles.

L’impôt sur les sociétés connaît une vigoureuse croissance, +19,4 %. Cette hausse s’explique par l’amélioration des résultats des entreprises. Comme quoi des entreprises en bonne santé ne nuit pas aux finances publiques. La progression des bénéfices se traduit par une augmentation des recettes fiscales. Les pertes des années 2011/2013 pèsent de moins sur les résultats de l’IS.

Les collectivités territoriales contribuent désormais à la maitrise relative des finances publiques. En effet, le prélèvement sur recettes à leur profit est en recul de 12,3 % sur les 6 premiers mois de juin.

Jacques Bichot : La TVA a fourni la plus grosse part de la hausse des recettes fiscales (3,7 Md€ sur 5,9 Md€, soit un gros 60 %) : ce sont donc les ménages qui ont, par leurs dépenses, le plus contribué à l’augmentation des recettes de l’État et aussi à la (légère) croissance de l’activité. Cependant, ils ont payé 900 M€ de moins au titre de l’impôt sur le revenu, tandis que les rentrées d’impôt sur les sociétés ont augmenté de 2 Md€, soit près de 20 % : les entreprises, qui globalement vont un peu mieux (les créations de postes ont nettement dépassé les disparitions), ont, elles aussi, fourni une contribution. 

Les données disponibles sont très agrégées, et surtout elles sont soumises à des variations d’enregistrement : par exemple, telle recette (ou respectivement dépense) peut avoir été comptabilisée davantage fin juin en 2017 tandis qu’en 2016 les écritures auront plutôt été datées de début juillet – ou vice-versa. Cela interdit de porter des diagnostics péremptoires ! Les chiffres ne nous donnent jamais une vision exacte de la réalité ; comme dit la sagesse des nations, il ne faut pas les prendre « pour argent comptant » et tirer trop de conclusions de petites variations. 

Inversement, les recettes concernant l'Impôt sur le revenu et la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) affichent une baisse. Comment expliquer cette situation ? Qui sont les bénéficiaires de cette baisse de recettes ?

Philippe Crevel : Les ménages imposés dans la première tranche de l’impôt sur le revenu ont bénéficié des mesures décidées par François Hollande. Les recettes de l’impôt sur le revenu baissent de 1,9 % sur le premier semestre. Les allègements décidés par la précédente majorité pèsent sur le rendement de cet impôt qui n’est acquitté que par 47 % des ménages.

La chute de la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques est importante, -36,5 %. Ce recul n’est pas lié à la baisse du prix du pétrole car cette taxe est perçue sur les volumes vendus et non sur le prix de vente du produit. C'est donc un montant fixe en euros qui est perçu sur chaque unité vendue et non un pourcentage d’un prix. La moindre consommation de produits énergétiques durant le 1er semestre et peut être des problèmes de recueil des statistiques pourraient expliquer cette contraction.

Jacques Bichot : Les pouvoirs publics, côté législateur comme côté exécutif, adorent apporter chaque année quantité de modifications aux dispositions fiscales. La taxe sur les carburants a été modulée et globalement augmentée au 1er janvier 2016, si bien que son produit a bondi de 30 % au premier semestre 2016 par rapport à 2015. Au premier semestre 2017, évolution inverse, cette fameuse TICPE a rapporté 36 % de moins. 

De tels changements de sens opposé ont quelque chose de bizarre.  Un psychanalyste dirait peut-être qu’en apportant beaucoup de modifications le personnel politique a le sentiment d’agir, de se rendre utile, d’exister. Ces changements sont souvent plus nuisibles qu’utiles, parce que les nouvelles dispositions apportent peu d’améliorations notables, mais rendent difficile de savoir si la hausse ou la baisse de tel déficit public provient de variations de l’activité économique ou de décisions budgétaires.

Une comparaison avec la physique quantique peut nous aider à comprendre que la conjonction de multiples variations dans l’activité économique d’une part, et dans la réglementation d’autre part, engendre de l’incertitude. Quand un physicien observe une particule élémentaire, il ne parvient pas à déterminer à la fois sa position et sa vitesse – c’est le principe d’incertitude de Heisenberg. Il en va un peu de même en économie : savoir précisément dans quelle mesure les variations budgétaires observées sont l’effet des décisions prises par les pouvoirs publics français, et dans quelle mesure elles proviennent des comportements des ménages, des entreprises et des pouvoirs publics au niveau mondial, est quasiment impossible.

Notons enfin qu’il n’y a pas eu globalement une « baisse des recettes » : celles-ci sont passées de 155,1 Md€ au premier semestre 2016 à 160,2 Md€ au premier semestre 2017. Les recettes non fiscales ont certes baissé de 1,8 Md€, mais l’augmentation des recettes fiscales, à commencer par la TVA, a largement dépassé cette diminution. Et la baisse des dotations aux collectivités territoriales (2,9 Md€ en moins, une chute de 12 % !) a contribué de façon notable à la stabilisation du « solde d’exécution de la loi de finances » (– 62,3 Md€ cette année contre – ¬61,8 en 2016, une variation insignifiante).

Au regard du panorama global, comment peut-on qualifier cette année budgétaire du point de vue des recettes fiscales ? Vers quel "modèle" la France est-elle en train de se diriger ?

Philippe Crevel : La France restera, en 2017, sur le podium des pays à très fort taux de prélèvements obligatoires, autour de 44 % du PIB. Les impôts ont toujours tendance à se concentrer sur les consommateurs et sur les 10 % des Français les plus aisés. Ces derniers acquittent 70 % de l’impôt sur le revenu. Les contribuables déclarant plus de 10 000 euros de revenus annuels représentant 2 % des foyers fiscaux, ont acquitté plus de 40 % de l’IR en 2016. Les revenus de plus de 200.000 euros assurent 22 % des recettes de cet impôt tout en n’étant que 150 000 dans cette tranche (soit 0,4 % des foyers fiscaux).

Emmanuel Macron peut-il changer la donne ? La montée des contestations sur son éventuelle réforme de l’ISF ou sur l’introduction de la flat tax ainsi que sur le relèvement de la CSG prouve la difficulté à mener une réforme fiscale. Notre impôt sur le revenu dont la dernière grande réforme date de 1959 et nos impôts locaux sont obsolètes. Une réforme de grande ampleur jouant sur la nature de l’assiette et sur les taux est indispensable. Il en est de même avec l’impôt sur les sociétés qui même s’il progresse n’en demeure pas moins une raquette percée. Nos impôts sont datés d’avant Internet, d’avant la mondialisation, du travail féminin, de la progression des divorces. La fiscalité doit tenir compte de son temps, du contexte économique et social faute de quoi l’État risque de péricliter.

Jacques Bichot : Les données disponibles ne donnent pas à penser que le premier semestre 2017 marquerait un changement important par rapport à la tendance du quinquennat Hollande. Tout est « normal » au sens que ce mot avait dans la bouche du précédent président de la République : rien qui ait du sens, rien qui indique un changement de trajectoire pour notre pays, du moins en ce qui concerne l’économie. 

Peut-être les nouveaux occupants des palais nationaux dirigent-ils la France vers un nouveau « modèle », et sans doute les politologues peuvent-ils d’ores et déjà nous dire quelque chose à ce sujet, sur lequel chacun d’entre nous peut aussi avoir son idée personnelle ; en revanche, la comptabilité publique ne nous livrera guère avant le début de l’année prochaine des indications pertinentes concernant la nature et l’ampleur du changement de cap des finances publiques et de la gouvernance économique. 

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