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Quand Donald Trump se congratule de son action à la Maison Blanche depuis 6 mois…là ou il a raison et là ou cela est beaucoup plus compliqué
©JIM WATSON / AFP

Bilan

Six mois de Donald Trump à la Maison-Blanche ça se fête. Sur Twitter le président des Etats-Unis s'est félicité de son action, tant en termes de reprise économique, de consolidation de son camp ou encore de lutte contre l'Etat islamique et le MS-13. Pas sûr que tout le monde partage le même avis. Bilan.

François Durpaire

François Durpaire

François Durpaire est historien et écrivain, spécialisé dans les questions relatives à la diversité culturelle aux Etats-Unis et en France. Il est également maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise.

Il est président du mouvement pluricitoyen : "Nous sommes la France" et s'occupe du blog Durpaire.com

Il est également l'auteur de Nous sommes tous la France : essai sur la nouvelle identité française (Editions Philippe Rey, 2012) et de Les Etats-Unis pour les nuls aux côtés de Thomas Snégaroff (First, 2012)

 


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UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Dans une série de tweets ayant pour objectif de s'attaquer aux médias, Donald Trump se félicite des résultats obtenus lors de ses 6 premiers mois à la Maison Blanche. En faisant abstraction de son retrait de l'accord de Paris, Donald Trump fait ainsi référence aux questions sécuritaires concernant l'Etat Islamique et le MS-13, à la bonne tenue de l'économie américaine, mais encore à sa capacité de mobiliser et de consolider son camp. Sur l'ensemble des points évoqués par Donald Trump, comment jugez des résultats obtenus lors de ces 6 premiers mois, et dans quelle mesure le nouveau Président des Etats Unis peut-il être crédité pour ces résultats ?

Quel constat faire sur la tenue de économique et boursière américaine, la dérégulation, et dans quelle mesure Donald Trump peut en revendiquer la paternité ? 

Jean-Paul Betbeze : Donald Trump, ce 7 août, nous tweete : The Fake News refuses to report the success of the first 6 months: S.C., surging economy & jobs, border & military security, ISIS & MS-13 etc. A nous de voir, donc, si ce que nous écrivons par la suite est fake ou fact !

De fait, Donald Trump joue remarquablement aux quatre coins, entre économie, bourse, politique monétaire et annonces. 

Le coin de l’économie d’abord, qui ne cesse de le soutenir, avec une reprise économique qui avance à un rythme annuel de 2,6%, un taux de chômage à 4,3% et une inflation à 1,6%, avec des taux courts à 1-1,25% et longs à 2,2%, le tout avec un dollar qui baisse par rapport à l’euro de 12% depuis le début de l’année ! Remarquable, sinon inouï !

Le coin de la bourse, qui continue en même temps sa progression, passant de 18 332 pour le Dow Jones le 8 novembre 2016, jour de son élection à 19 827, jour de son investiture, à 22 089 actuellement : + 20,4% ! Remarquable, sinon inouï !

Le coin de la politique monétaire, avec une remontée très lente des taux d’intérêt qui permet à la croissance de se poursuivre, avec un plein emploi sans inflation, ce qui calme les taux longs. Bien sûr, ceci est crucial et dépend de Janet Yellen et de sa façon d’annoncer, pas à pas, ce qu’elle va faire (forward guidance), en fonction de la croissance et de l’inflation, pour « améliorer » encore ce remarquable plein emploi qui ne fait pas monter les salaires. Remarquable, sinon inouï !

Le coin des annonces, le quatrième, est donc le plus important et le plus fragile. D’abord, Donald Trump ne cesse d’envoyer des messages politiques, certains violents, alors qu’on le sait sous pression de son parti au Congrès, qu’il maltraite pourtant d’une manière sans exemple. Mais si sa cote générale baisse, pas celle de ses partisans – c’est sans doute la base de sa « résistance » au Congrès. En même temps, Donald Trump poursuit sa logique fiscale et boursière – même si les résultats… au Congrès tardent. Son idée était en effet de répudier l’Obamacare, ce qui permettait des économies budgétaires. Elles laissaient de la place à la baisse des impôts, de façon à soutenir la bourse. La bourse a tout de suite « acheté » cette politique dès son élection, et continue. Elle ajoute les simplifications effectivement mises en place dans la vie des affaires et dans l’accès au crédit, mais sans que l’Obamacare ait été repoussé. Le Congrès semble en effet bloqué, le budget en retard et le plafond de la dette fiscale tout proche, pouvant conduire entre mi et fin septembre à la fermeture de certaines activités publiques (shutdown) si rien n’est fait pour rehausser ce plafond. Remarquable, sinon inouï !

Donald Trump a ainsi réussi à prolonger la reprise par un jeu d’annonces fiscales, pour encourager la bourse, et politiques, pour faire voter le Congrès selon ses souhaits – mais sans grand succès pour l’heure. On peut cependant remarquer que cette action, au minimum paradoxale, conduit à deux résultats positifs. Le premier est de faire baisser le dollar, le deuxième est de modérer la hausse des salaires. On peut en effet avancer l’idée que la politique, très dure en matière de santé de la part de Donald Trump, qui envisage de ne plus couvrir des millions d’Américains, plus celle de son Directeur du Budget, qui ne veut pas développer de politique sociale, pèsent sur les revendications, même en plein emploi.

Car cette reprise américaine est paradoxale et fragile. C’est la troisième, par sa durée, de l’histoire américaine. C’est celle qui conduit au plein emploi avec la plus faible montée des salaires (la moitié de la précédente). C’est celle, surtout, où le nombre de nouveaux chômeurs est le plus faible depuis quarante ans, alors que le chômage de long terme ne baisse pas et que la population active est toujours en retard. Tout se passe comme si l’économie était donc tout proche de son potentiel, les effets attendus de la politique extérieure de Donald Trump (pas très clairs) ne pouvant guère être immédiats. Au fond, tous les Américains qui veulent et peuvent (par leurs capacités) trouver un emploi le font. 

Et pourtant, Donald Trump et ses conseillers veulent aller plus avant, avec des incitations fiscales, plus de crédit, et moins d’immigration. Ils parlent d’une croissance à 3%, et Donald Trump va au-delà ! Mais le risque est de plus en plus inflationniste. Il pousserait la Fed à monter les taux courts – sachant que les taux longs pourraient alors réagir très vite et pousser l’économie dans la récession.

Au total, Donald Trump semble avoir poussé au maximum l’activité et l’emploi aux Etats-Unis, en jouant sur des effets d’annonce fiscaux et boursiers, dans un contexte de reprise supposée « classique ». Mais l’importance du chômage de longue durée et la situation de la population active montrent que la situation n’est pas « classique ». Le chômage et les chocs de la grande récession continuent de peser (licenciements, fortes baisses de salaires, faillites, expulsions), tandis que la révolution technologique en cours écrème les jeunes embauches et pèse sur les « anciens » emplois. 

Il est donc à souhaiter que Donald Trump prenne la mesure des divers aspects de l’amélioration actuelle, dans une économie qui ne peut battre son record de durée qu’en étant traitée avec soin. Donald saura-t-il faire ? 

Succès des premiers six mois : oui, mais dans la poursuite d’une économie qui allait déjà mieux depuis des années, dans un monde qui va mieux depuis des mois, avec Janet Yellen qui reste aux commandes (pour combien de temps ?) et avec des politiques économiques qui mettraient l’accent sur la formation – sans compter un contexte politique mondial qui peut se retourner. Les six premiers mois de Donald Trump ont été bons – et surprenants. Surtout, ils ont été plus faciles que les six qui viennent.

Quel constat faire sur les questions de sécurité, notamment en ce qui concerne le cas de l'Etat Islamique et la gang des MS-13 qui sévit aux États Unis, deux dossiers abordés nommément par Donald Trump ?

Alain Rodier : Il convient de distinguer les deux dossiers qui sont totalement différents. D’abord Daech dont la structure « étatique » est aujourd’hui fortement combattue aussi bien en Irak qu’en Syrie. Sans revenir trop sur ce sujet abondamment traité par ailleurs, Daech a perdu Mossoul - la « capitale économique » de l’« Etat » islamique - et rencontre des difficultés croissantes au niveau de Raqqa, sa « capitale politique ». Cela dit, cette organisation salafiste-djihadiste reste une bête sauvage, certes blessée, mais d’autant plus dangereuse.

Les campagnes pour reconquérir Mossoul et Raqqa ont débuté bien avant l’arrivée de Donald Trump aux affaires. Il est donc un peu osé de récupérer ces bonnes nouvelles à son compte. Certes, Trump a renforcé la présence de militaires US auprès des Irakiens légalistes et des Forces Démocratiques Syriennes (FDS) constituées majoritairement de Kurdes syriens. Il a donné des instructions pour aller de l’avant, peut-être avec plus d’énergie que son prédécesseur. Son action s’inscrit cependant dans la continuité de l’administration précédente et les résultats obtenus sur le terrain sont le fruit de plusieurs années d’efforts. Il en faudra bien d’autres pour arriver à bout de la bête aux multiples tentacules.

Au passage, si la situation s’est améliorée en Irak, c’est aussi dû à l’action des milices chiites soutenues par Téhéran (même si cela doit poser de graves problèmes de gouvernance des populations sunnites dans l’avenir) et en Syrie, les FDS profitent de l’affaiblissement général de Daech qui est contraint de se battre sur d’autres fronts contre les forces légalistes syriennes soutenue énergiquement par Téhéran et surtout par Moscou.

Le bilan est bien moins flatteur en Afghanistan, en Libye et aux Philippines où la situation empire progressivement sans que personne ne puisse inverser la tendance, du moins pour l’instant.

En ce qui concerne le MS-13 (ou Mara Salvatrucha), ce gang d’origine salvadorienne qui compte quelques 70.000 membres répartis sur tout le continent américain (dont environ 10.000 rien qu’aux États-Unis), la politique anti-immigration menée par la nouvelle administration n’a fait que le renforcer. En effet, elle pousse une partie de la population latino-américaine dans la clandestinité où le crime organisé tient le haut du pavé.

A noter que le MS-13 est loin d’être seul gang car le crime organisé est omniprésent aux États-Unis (et au Canada voisin). Aux multiples gangs issus d’Amérique latine il convient d’ajouter la mafia italo-américaine connue sous l’appellation de « La Cosa Nostra », les Triades chinoises, les gangs irlandais, les bandes de motards, les Caucasiens, etc. Mais il semble que le président américain a surtout eu l’attention attirée par le MS-13 et n’évoque pas les autres gangs issus du Salvador dont le plus important est le Mara-18 qui compterait plusieurs dizaines de milliers de membres rien qu’à Los Angeles.

La politique étrangère ne paraît pas être la priorité de Donald Trump qui semble avoir une vision assez simpliste du fonctionnent des autres pays. Il a détricoté ce qu’avait initié Obama en direction de l’Iran et de Cuba et qui allait dans le sens de la détente ; il n’est pas parvenu à reprendre des relations apaisées avec la Russie. Son vrai succès, c’est de vendre des armes à profusion à l’Arabie saoudite qui en profite pour accentuer sa pression sur le malheureux Yémen. Par contre, les États-Unis sont au bord d’un déclenchement de guerre avec la Corée du Nord et n’excluent pas des incidents maritimes graves avec la Chine.

Et surtout, Trump ne semble pas avoir de stratégie claire sur le long terme ce qui est très inquiétant. En fait, il prépare déjà la prochaine élection présidentielle et il sait qu’il la gagnera (ou la perdra) sur des problèmes de politique intérieure. Son seul but est donc de favoriser le développement économique des États-Unis au détriment de tous ses concurrents potentiels (surtout l’Europe et la Chine). C’est par ce biais que l’on peut tenter de comprendre sa politique étrangère et intérieure.

Donald Trump revendique sa capacité à mobiliser son électorat; la "Trump base", en citant notamment les Etats de Pennsylvanie, Iowa, Ohio, et de Virgini occidentale. Dans quelle mesure Donald Trump est il parvenu à consolider sa base au cours des derniers mois ?

François Durpaire :Il faut prendre deux échelles concernant Donald Trump. Sur le plan global, on sait qu'il a un taux de  popularité qui est faible. En se basant sur le sondage Rasmusen, souvent favorable aux conservateurs, on voit que le président des Etats-Unis est tombé à 39%. Si il est tombé sous les 40% chez Rasmusen, c'est vraiment que ce ne va pas bien. C'est cette absence de popularité qui lui empêcher d'abroger Obamacare. Si on prend maintenant l'échelle de ceux qui ont voté pour Trump, c’est-à-dire les républicains qui l'ont soutenu pendant la campagne, on peut dire qu'il s'est maintenu à un très fort taux de satisfaction dans cet électorat. Il a une base solide : 6 sur 7 revoteraient pour lui. Pourquoi ? Parce qu'il n'a pas trahi cet électorat. Au contraire, son discours n'a pas changé : il est sorti des accords de Paris, il encourage les forces de police à être plus sévères et interdit les transgenres dans l'armée américaine. Tout cela sont des signes très positifs. Tout ce qu'on peut commenter dans la presse progressiste sur la faiblesse législative, et le bilan absolument très faible de ces sept premiers mois, ne tient pas de Donald Trump aux yeux de son électorat, mais au blocage du système qui freine Donald Trump. Il est une victime. C'est une force pour le président des Etats-Unis, parce qu'il possède un électorat mobilisé pour les élections 2018. 

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